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Une femme iranienne devant une affiche anti-israélienne en Iran. Une femme iranienne devant une affiche anti-israélienne en Iran.   (ANSA) Les dossiers de Radio Vatican

L’attaque iranienne contre Israël, un tournant pour les deux États

L’Iran a lancé plusieurs centaines de drones contre Israël dans la nuit du samedi 13 avril. Cette attaque directe constitue un tournant dans l’affrontement entre les deux pays depuis plus de 40 ans assure Hasni Habidi, directeur du CERMAM, le centre d’étude et de recherche sur les mondes arabe et méditerranéen.

Xavier Sartre – Cité du Vatican

L’attaque iranienne dans la nuit du samedi 13 avril contre Israël a fait craindre pendant plusieurs heures à la communauté internationale un embrasement de tout le Proche-Orient. Présentée par Téhéran comme des représailles à la destruction du consulat iranien de Damas par Israël début avril, elle n’a débouché sur aucune riposte israélienne à cette heure. Tel Aviv est freiné par ses principaux alliés qui veulent éviter tout élargissement du conflit dans la bande de Gaza.

Cette attaque inédite de la part de l’Iran s’inscrit dans le cadre du contentieux existant entre Iraniens et Israéliens depuis 1979 et le début de la Révolution islamique. Ce contentieux met souvent aux prises les deux pays au travers d’intermédiaires, comme le Hezbollah libanais par exemple. Mais cette attaque constitue cependant un tournant comme l’explique Hasni Habidi, chargé de cours à l’université de Genève et directeur du CERMAM, le centre d’étude et de recherche sur les mondes arabe et méditerranéen.

Entretien avec Hasni Habidi

Quel Message ont voulu adresser les Iraniens par leur intervention directe contre Israël?

C'est un double message à la fois adressé aux Iraniens, qui étaient en partie impatients de voir leur pays répondre à l'humiliation faite lors de l'attaque du bâtiment consulaire à Damas, début avril. Mais aussi, c'est un message adressé aux pays de la région, la dissuasion qui a marqué la relation entre Israël et l'Iran est très importante pour la survie du régime iranien.

C'est pourquoi cette réponse était attendue et il était important qu'elle soit une riposte contrôlée et modérée pour ne pas compliquer la situation à la fois à l'intérieur de l'Iran mais aussi à l'extérieur.

Est-ce simplement le contentieux qui existe de manière historique entre Téhéran et Israël qui est à l'origine de cette attaque? Ou bien est-elle motivée par le conflit à Gaza?

Pour le conflit dans la bande de Gaza, les Iraniens avaient sous-traité la défense de ce qu'on appelle «l'axe de la résistance» et l'unité du front a ses relais dans la région: les Houthis, le Hezbollah et certaines milices irakiennes. C'est plutôt le contentieux qui existe depuis 1979 qui est en jeu, depuis la révolution et la victoire de la révolution islamique iranienne. Ce qui est nouveau, c'est que ce conflit sort de l'ombre. Cette nouveauté constitue un tournant. L'attaque contre le consulat iranien s'ajoute bien sûr à l'assassinat par les Américains de Qassem Soleimani, deux événements qui ont constitué une accumulation. Il était dès lors impossible pour le régime iranien et notamment la garde révolutionnaire, proche de Guide suprême, de ne pas répondre à la fois pour laver l'affront, mais aussi rétablir sa dissuasion.

Est ce qu'on peut s'attendre à ce que l'Iran, par ses partenaires régionaux, continue toutefois sa politique de «harcèlement» ou de «menaces» contre Israël?

Le régime iranien tient à préserver des acquis qui sont importants sur le plan nucléaire, sur le plan de la négociation avec les Américains qui se déroule à Oman pour plusieurs questions régionales, sur la question des fonds qui sont bloqués. L'Iran n'est pas prêt à sacrifier tous ces acquis qui s'ajoutent à la nécessité de la survie du régime afin de ne pas s'exposer à une réponse israélienne ou américaine. Par contre, en cas d'une riposte israélienne importante sur le sol iranien, on va dépasser le stade du harcèlement, ou cette pratique de narguer les forces américaines ou israéliennes. On l'a vu par exemple à Erbil, en s'attaquant à un bâtiment proche des éléments israéliens et américains. On va dépasser ce stade de harcèlement pour arriver à une confrontation directe qui a commencé ce week-end, mais qui garde toujours un niveau du contrôle, empêchant cette escalade de devenir régionale.

Présentation par Tsahal d'un missile envoyé par l'Iran lors d'une visite pour les médias. .
Présentation par Tsahal d'un missile envoyé par l'Iran lors d'une visite pour les médias. .

Du côté des Israéliens, vous pensez qu'on a compris le message et que là aussi, les Israéliens vont mettre un peu d'eau dans leur vin par rapport à l'Iran et à ses agissements dans la région?

Oui, le message a été reçu par les Israéliens, mais lesquels? Aujourd'hui, il existe une divergence au sein du cabinet israélien. Vous avez une voix qui veut absolument répondre et frapper Israël, soutenue d'ailleurs par une autre partie des États-Unis. Une autre voix estime que la facture a été soldée puisque les Iraniens ont répondu à cette humiliation par une frappe transparente dont le timing a été envoyé aux Américains et aux alliés de l'Iran. C'est toute la mission difficile qui incombe aux Américains d'empêcher leur allié israélien de commettre l'irréparable. Une réponse substantielle à l'attaque iranienne est en mesure de faire basculer la région dans une situation du chaos puisque les Iraniens n'hésiteraient plus à frapper d'autres intérêts, que ce soit des intérêts israéliens ou américains, notamment en Méditerranée, en Mer Rouge et même dans certains États du Golfe comme l'Arabie Saoudite ou les Émirats arabes unis.

Vous disiez donc qu'il y avait deux courants au sein des Israéliens, un pour qui l'apaisement, et puis l'autre au contraire plutôt partisan de la surenchère. Israël a vraiment intérêt à jouer la surenchère face à l'Iran?

La surenchère israélienne est un art car elle permet aux Israéliens d'obtenir les garanties nécessaires, le flux financier et militaire nécessaire à une autre guerre, celle qui se déroule à Gaza. Et probablement aussi pour avoir moins de pression de la part de l'administration Biden sur le gouvernement israélien dans sa guerre à Gaza. Le soutien américain, mais aussi de certains pays comme l'Allemagne et la France, a montré qu’Israël n'était pas si isolé que ça. Mais ce soutien a un prix: c'est de ne pas répondre à cette frappe iranienne, mais probablement aussi avoir une autre approche à Gaza.

Concernant le soutien de la France, de l'Allemagne et évidemment des Etats-Unis, on a vu lors de ces frappes un soutien également de la part de plusieurs pays arabes. Est-ce que finalement cette frappe iranienne n'a pas révélé quelque chose de plus inattendu?

Je crois qu'il est nécessaire de relativiser la participation arabe. La Jordanie a participé, mais les défenses anti-aériennes en Jordanie sont d'abord de conception américaine et la Jordanie bénéficie à la fois du soutien américain, mais également du soutien israélien sur le sol jordanien. Les autres États du Golfe ont observé une certaine neutralité qui est proche bien sûr d'un soutien à Israël, mais sans qu'il ne soit prononcé pour ne pas attirer les foudres du régime iranien. Les pays arabes ne peuvent pas s'exposer à des sanctions iraniennes. Il y a une fermeture de l'espace aérien: c'est un service minimum donné par les pays arabes. Mais je crois que ces pays avaient compris que l'Iran est une menace pour la région, ce qui explique en partie les accords d'Abraham et cette tendance à normaliser les relations avec Israël. C'est pourquoi l'Iran, en ripostant à l'attaque du consulat iranien, voulait aussi rétablir une certaine dissuasion, puisqu'il est difficile de revendiquer un rôle de leader dans la région pour les Iraniens sans répondre à cette attaque. En quelque sorte, nous assistons aussi à une guerre d'influence et une guerre de leadership entre Israël et l'Iran dans la région.

Le Premier ministre israélien lors d'un cabinet de guerre le samedi 13 avril.
Le Premier ministre israélien lors d'un cabinet de guerre le samedi 13 avril.

La communauté internationale joue l'apaisement. Est-ce que cela peut avoir un impact sur le conflit dans la bande de Gaza?

Théoriquement, les deux conflits ne sont pas liés. Mais dans les faits, ce qui se passe entre l'Iran et Israël est une continuation des événements du Gaza. La faillite sécuritaire israélienne et américaine lors de l'attaque du 7 octobre a montré finalement qu'il était possible de pénétrer à l'intérieur d'Israël, que l'infaillibilité du système de sécurité est tout à fait discutable. Le deuxième élément, c'est le gouvernement, et surtout son Premier ministre Benyamin Netanyahou, qui a cherché une diversion avec l'attaque du consulat iranien, malgré les mises en garde des États-Unis, car il sait que cette opération va souder l'opinion publique et va attirer le soutien de certains pays qui étaient jusque-là réservés quant à la gestion de Benyamin Netanyahu, voire opposés à la gestion actuelle de la crise à Gaza, notamment concernant le volet humanitaire. Les deux dossiers sont liés. Mais Benyamin Netanyahou cherche un répit. Il a toujours excellé dans la dynamique conflictuelle et pas la dynamique de paix. Mais je pense que pour les Américains et les Européens, le soutien est plutôt destiné à Israël et pas à Netanyahou en personne.

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16 avril 2024, 16:51