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Des chars de l'armée tadjike à la frontière entre le Tadjikistan et l'Afghanistan en août 2021. Des chars de l'armée tadjike à la frontière entre le Tadjikistan et l'Afghanistan en août 2021.   Les dossiers de Radio Vatican

Le Tadjikistan, terreau fertile pour l'État islamique

Quatre ressortissants tadjiks ou d’origine tadjike figurent parmi les auteurs présumés de l’attentat du 22 mars dernier au Crocus City Hall, près de Moscou. Ce pays d'Asie centrale est l'un des terrains de bataille de l'État islamique au Khorassan (EI-K), branche afghane de l'organisation qui a revendiqué l'attaque. Retour sur l'origine de l'islamisme radicale dans la région avec le chercheur David Gauzère, président du Centre d'Observation des sociétés d'Asie Centrale (COSAC).

Entretien réalisé par Alexandra Sirgant - Cité du Vatican 

Lundi 8 avril, un ressortissant tadjik était arrêté à l’aéroport de Rome. L’homme, qui faisait l’objet d’un mandat d’arrêt international, était parti combattre en Syrie en 2014 dans les rangs de l’État islamique. Le Tadjikistan est sous les projecteurs depuis l’attentat meurtrier de Moscou le 22 mars dernier.

Il y a trois semaines, des hommes armés ouvraient le feu dans une salle de concert dans la banlieue moscovite, faisant au moins 144 morts et des centaines de blessés. L’attentat était revendiqué par l’organisation de l’État islamique. Parmi les quatre assaillants présumés, aujourd’hui placés en détention provisoire et encourant une peine de prison à perpétuité, au moins l’un d’entre eux est originaire du Tadjikistan, pays d’Asie centrale en proie au djihadisme islamique depuis des décennies.

En 2014, les organisations islamistes du Khorassan, région située au carrefour de l’Afghanistan, du Pakistan, de l’Iran, du Turkménistan, de l'Ouzbékistan et du Tadjikistan se sont rattachées à l’État islamique. Aujourd’hui, le Tadjikistan pourrait bien devenir le futur «siège» de l’EI, selon David Gauzère, chercheur associé au Centre français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) et président du Centre d'Observation des Sociétés d'Asie Centrale (COSAC). Il est également co-auteur du livre "Le chaudron vert de l'islam centrasiatique: Vers un retour des ethnies combattantes en Asie centrale post-soviétique". 

Entretien avec David Gauzère, chercheur associé au CF2R et président du Centre d'Observation des Sociétés d'Asie Centrale (COSAC).

Pourquoi est-ce que le radicalisme islamiste a gagné du terrain dans ce pays d’Asie centrale?

Le Tadjikistan comprenait déjà des noyaux forts du conservatisme islamiste à la fin du XIXᵉ siècle pour faire face aux troupes impériales russes. Ensuite, il y a eu plus de 70 ans d'athéisme officiel soviétique, ce qui n'a d’une part pas éteint la poursuite des pratiques religieuses, mais aussi d’autre part, cela n’a pas éteint la résistance de cellules radicales qui sont restées clandestines.

En revanche, l'athéisme officiel a cassé la connaissance livresque de l'islam, la connaissance du Coran. Ainsi, quand il y a eu en 1991 les indépendances nationales des pays de la région, les Tadjiks ont finalement renoué avec l'islam, mais ce n'était plus le même islam, c'était l'islam de la «globalisation»,  devenu trop radical.

Il faut aussi noter que pendant cette période, l'islam radical est venu se substituer à l'État central en termes de social. Car à la fin de l'Union soviétique, beaucoup de gens ont perdu leur emploi, il n'y avait plus de travail pour les jeunes. Mais, les organisations islamistes radicales avaient les financements que les pouvoirs centraux n'avaient plus.

Qu'est ce qui a par la suite encouragé le rattachement de ces cellules islamistes au Tadjikistan à l'organisation État islamique?

Cela a été encouragé par la dureté du pouvoir politique et l'absence d'opposition légale au Tadjikistan. Cet islamisme radical s’est réfugié au nord de l'Afghanistan, où il a prospéré. Ainsi, la wilayat Khorasan de l’organisation État islamique a été créé en 2014, et a confédéré trois groupes: il y a les cellules dormantes du Tadjikistan, dont une partie attend le signal de déstabilisation du pouvoir central pour passer à l’action. L’autre partie est réfugiée dans le nord de l’Afghanistan, il s’agit de militants islamistes tadjiks qui sont opposés aux talibans. Et puis, troisième origine du réseau, les cellules diasporiques, c'est-à-dire de l'émigration, essentiellement en Russie, mais également à Istanbul, en Turquie; et enfin, dans une moindre mesure, bien que cela commence à monter en force, dans les capitales européennes.

Quelle est l'importance hiérarchique au sein de l'organisation État islamique de la branche Khorasan aujourd'hui?

Cette organisation est une wilaya de Daesh. Mais Daesh, n'ayant plus de territoire «pérenne» aujourd'hui, peut délocaliser sa maison mère. C'est-à-dire que l'organisation état islamique Khorassan pourrait aussi devenir le prochain Daech. Dans l'imaginaire collectif djihadiste, l’objectif est la mise en place du califat mondial, et donc tous les moyens sont bons pour y arriver. Les cellules dormantes du Tadjikistan seront prêtes à agir, à mon avis, dès que Poutine aura quitté le pouvoir, soit de manière naturelle ou manière non naturelle, sachant que le Russie a dégarni son armée sur la frontière tadjiko-afghane. Sur les 7000 hommes déployés dans le pays, entre 1500 et 2000 ont été envoyés en Ukraine.

Comment interprétez-vous la stratégie voulue derrière l'attentat de Moscou?

D'une part, d'un point de vue local, elle montre que l’organisation EI du Khorassan est là, qu'elle est forte, et qu'elle a vraiment un pouvoir de nuisance sérieux pour le Tadjikistan, qui pourrait sombrer à la suite de la fin du pouvoir de Vladimir Poutine. C'est pourquoi les Occidentaux, s'ils souhaitent une victoire de l'Ukraine, devraient accompagner cette victoire ukrainienne d'une alternative crédible au Tadjikistan pour éviter que le pays ne tombe à la fin de la guerre.

D’autre part, il y a aussi le fait que pour cette organisation, une victoire au Tadjikistan, voir même une victoire sur la large zone tenue durablement au nord de l'Afghanistan, permettrait une assise dans la région, et donc le «transfert» des attributions de la maison mère de Daesh là-bas, ce qui aurait un retentissement, du coup, mondial.


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11 avril 2024, 16:10