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Marioupol, en avril 2023. Marioupol, en avril 2023.   (AFP or licensors)

De Marioupol à la renaissance, l'histoire de Pavlina

Que se passe-t-il avec le temps pour les blessures de l'âme, la douleur et les terribles souffrances endurées? Le témoignage de cette femme de 76 ans, qui s'est échappée avec son mari de la ville du sud de l'Ukraine rasée et occupée par l'armée russe, nous apprend que grâce à l'étreinte des proches, au soutien des autres et à la possibilité d'en parler, elle peut vivre avec ces souvenirs et les utiliser pour devenir encore plus reconnaissante de la vie.

Svitlana Dukhovych - Cité du Vatican

«Le pire, c'était de voir tout ce que nous avions construit en 40 ans partir en flammes, et de nous retrouver avec un sac à la main contenant un costume et des sous-vêtements. Nous sommes restés là, pétrifiés, à regarder le bâtiment en flammes. Nous ne pleurions pas, nous ne criions pas... il faisait froid, il faisait 14 degrés en dessous de zéro, un blizzard». Il ne s'agit pas d'une scène d'un film dramatique, mais du témoignage de Pavlina, qui, avec son mari, a réussi à quitter Marioupol un peu plus d'un mois après le début de l'invasion, puis de l'occupation de la ville par les troupes russes.

Pavlina nous a accordé un entretien téléphonique depuis la région de Transcarpathie, où elle et son mari vivent actuellement avec sa nièce Iryna et sa famille: son mari et ses deux enfants âgés de six et trois ans. C'est ici, dans une zone beaucoup plus sûre, qu'ils ont trouvé un logement grâce au soutien de la Congrégation des Sœurs de Marie de la Médaille Miraculeuse.

La difficulté de partir

Le 24 février 2022, lorsque les habitants de Marioupol, ainsi que ceux d'autres villes ukrainiennes, ont entendu les premières explosions, Iryna, accompagnée de son mari et de ses jeunes enfants, a décidé de quitter la ville et a demandé à ses grands-parents de partir avec eux. Ces derniers ne voulaient pas quitter l'endroit où ils avaient passé toute leur vie. «J'ai 76 ans et mon mari en a 70», explique Pavlina. «Nous sommes tous deux diplômés de l'université, nous avons travaillé pendant 40 ans, moi en tant que technologue en restauration et mon mari en tant qu'ingénieur en chef dans une usine, et nous avons gagné notre retraite. Il nous a été difficile de tout quitter, de quitter notre appartement, nous pensions que dans quelques jours tout se calmerait. Je n'aurais jamais pensé que nous aurions à vivre cette terrible expérience».

L'immeuble en feu

La situation s'est aggravée de jour en jour. Le 1er mars, dans le quartier où vivait le couple, l'électricité, le gaz et l'eau ont été coupés - il n'y avait plus rien. Les Russes tirent des roquettes les unes après les autres, détruisant les bâtiments, tout. «Pour nous protéger, nous avons commencé à descendre dans les sous-sols, même si c'était difficile pour nous, les personnes âgées, de descendre», se souvient Pavlina.

«Pendant que nous descendions, les soldats russes nous criaient de laisser les clés et les appartements ouverts. Lorsque nous sommes remontés, nous avons vu nos maisons saccagées. Un autre jour, nous sommes montés et les fenêtres avaient été brisées par les bombardements. Je me suis dit: "D'accord, on va réparer, on va ramasser le verre". Mais les roquettes ont commencé à voler les unes après les autres et les portes ont été défoncées. Un jour, alors que nous étions au sous-sol, nous avons senti une odeur de brûlé. Les jeunes femmes de notre immeuble, qui étaient là avec leurs enfants, sont montées voir ce qui s'était passé et nous ont dit : "Tout brûle". Nous nous sommes précipités à l'étage, notre petit sac à la main, nous sommes restés près de la clôture et nous avons regardé le bâtiment brûler».

La peur d'Iryna

Entre-temps, Iryna est arrivée dans la région de Transcarpathie. «Lorsque nous sommes partis, nous ne savions pas où aller, nous ne savions pas où passer la nuit», se souvient la jeune femme, «Les premiers jours, tous les hôtels, motels et auberges de Transcarpathe étaient pleins. Pendant un certain temps, nous avons été hébergés par des habitants qui nous ont offert des vêtements et une chambre.»

Les images de Marioupol détruite circulaient dans le monde entier, mais il était très difficile d'obtenir des informations sur les proches ou les amis restés sur place, car tous les canaux de communication étaient coupés, explique-t-elle. Parfois, des jeunes de Marioupol grimpaient sur les toits des grands immeubles et parvenaient à envoyer et à recevoir quelques messages.

C'est ainsi qu'Iryna a réussi à contacter une connaissance, un ancien camarade de classe, qui s'était rendu dans le quartier de ses grands-parents. «À son retour, se souvient-elle, il m'a écrit qu'il avait vu deux cadavres brûlés près de l'entrée de l'immeuble et qu'il était impossible de les identifier. Je ne savais pas quoi penser. J'avais aussi vu une photo sur Internet montrant le bâtiment brûlé. Ce mois-là a été un enfer pour moi».

Au-delà de la faim et de la soif

Après avoir vu leur immeuble ravagé par les flammes, les grands-parents d'Iryna, comme les autres habitants de l'immeuble, ne savaient pas où aller. Des soldats russes qui se trouvaient à proximité leur ont permis de dormir dans un grand magasin d'électroménager, vide car pillé.

«Nous y avons passé quinze jours, nous dormions sur des cartons et des morceaux de caoutchouc mousse», se souvient Pavlina avec émotion. «Personne ne nous a fourni de nourriture ni d'eau. On ne pouvait pas sortir car c'était dangereux, mais les plus jeunes femmes ont réussi à convaincre les soldats russes de les laisser aller chercher de l'eau. Je demandais aux filles de remplir une petite bouteille pour moi et mon mari. Les filles couraient rapidement pour en chercher et pour étancher la soif de leurs enfants, mais elles étaient très généreuses et remplissaient également notre petite bouteille. Mon mari et moi avons essayé d'économiser l'eau, nous n'en avons bu qu'à petites gorgées, car nous ne savions pas si nous en aurions le lendemain. Même la faim a été surmontée grâce aux petites réserves de nourriture que chacun a apportées et partagées avec les autres.»

Les difficultés du voyage

Au bout de deux semaines, les militaires russes ont autorisé les personnes qui s'étaient réfugiées dans le magasin abandonné à marcher jusqu'à l'arrêt du bus d'évacuation qui pouvait les emmener dans la zone contrôlée par l'armée ukrainienne. Ils sont partis à 5 heures du matin et sont arrivés à 8h30, en suivant scrupuleusement les instructions des militaires pour éviter les mines omniprésentes. Pavlina et son mari sont épuisés. «Mon corps était enflé, notamment parce que je n'ai qu'un seul rein. Mon mari a également des problèmes de santé», explique la femme, «Lorsque nous sommes arrivés à l'endroit d'où partaient les bus, il y avait beaucoup de monde, mais vu notre état de santé, j'ai supplié l'un des soldats de nous faire sauter la file d'attente et de nous laisser monter plus tôt, ce qu'il a fait».

«Merci à Dieu et aux bonnes personnes»

En bus, le couple est arrivé à Zaporijjia, d'où il a pris le train pour Berdytchiv, où vit la sœur de Pavlina. «Nous y sommes restés un mois et demi, et nous nous sommes rétablis: notre voix est revenue et les gonflements ont disparu», raconte Pavlina. «Entre-temps, ma nièce a trouvé une maison dans la région de Transcarpathie et nous sommes allés vivre avec elle, son mari et leurs deux enfants».

Les souffrances qu'elle a endurées ont laissé des traces non seulement dans la mémoire de Pavlina, mais aussi sur sa santé: on lui a diagnostiqué un glaucome à un œil, probablement causé par la poussière. Elle n'oublie aucun détail de cette terrible expérience, mais elle n'a pas cessé de croire au bien, elle n'a pas perdu la foi en Dieu. «J'ai commencé à croire encore plus en l'existence de Dieu, dit-elle, c'est grâce à Dieu, et à lui seul, que nous avons réussi à sortir de cet enfer, de ce cauchemar. Je ne sais pas par quel miracle nous avons survécu... Seulement grâce au Seigneur Dieu et aux bonnes personnes».

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24 octobre 2023, 17:11