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Négociations à Cuba entre l'ELN et le gouvernement colombien Négociations à Cuba entre l'ELN et le gouvernement colombien  (CESAR CARRION) Les dossiers de Radio Vatican

La Colombie renouvelle le cessez-le-feu et poursuit le dialogue avec l’ELN

Jeudi 3 août à Bogota, le président Gustavo Petro renouvellera pour six mois le cessez-le-feu avec l’ELN, dernier mouvement de guérilla à ne pas avoir signé d’accord de paix avec le gouvernement.

Entretien réalisé par Jean-Charles Putzolu – Cité du Vatican

Le gouvernement colombien de Gustavo Petro et le mouvement de guérilla de l’ELN doivent renouveler pour six mois le cessez-le-feu conclu fin 2022 et poursuivre les pourparlers de paix. Sept ans après l’accord historique de démobilisation des FARC, l’Armée de Libération nationale (ELN) est le dernier groupe armé important à ne pas avoir encore déposé les armes. Un premier cycle de négociations sous l’impulsion du président Juan Manuel Santos s’ouvre en 2017, un an après la paix conclue avec la guérilla des FARC. Mais en 2019 le dialogue est interrompu par le président conservateur Ivan Duque, qui s’était opposé à l’accord de paix avec les FARC. La situation est à nouveau renversée en 2022 après l’élection de Gustavo Petro, qui devient le premier président colombien issu des rangs de la gauche. À peine élu, il rouvre les voies du dialogue avec l’ELN, dans l’espoir d’aboutir à un accord global de paix.

À la veille du prolongement du cessez-le-feu, Frédéric Massé, universitaire à Bogota et spécialiste de la Colombie a accordé un entretien à Radio Vatican- Vatican News.

Entretien avec Frédéric Massé

Frédéric Massé, que pouvez-vous nous dire de l’ELN, quels sont ses objectifs, ses actions et ses sources de financement?
L’ELN est un groupe de guérilla, né au début des années 1960 dans la mouvance des groupes de guérilla marxiste-léniniste en Amérique latine. Ses dirigeants sont des Colombiens qui sont partis à Cuba et qui, à leur retour, fondent le deuxième groupe de guérilla en Colombie, après les FARC. L’ELN est donc un groupe ancien, proche de certains idéaux de la théologie de la libération puisque certains de ses dirigeants ont été membres du clergé, comme Manuel Pérez, un prêtre espagnol installé en Colombie et qui a dirigé l’ELN jusqu'à sa mort. Aujourd’hui ce mouvement compte environ 2500 hommes et femmes armés, plus un certain nombre de miliciens et qui continue d'avoir un certain nombre de revendications, et c'est le dernier groupe de guérilla de gauche révolutionnaire qui est resté en armes en Colombie.

Le président Gustavo Petro a relancé le dialogue avec l’ELN en 2022, est-ce que le profil de ce chef de l'État y est pour beaucoup dans l'avancée des négociations?
Oui, parce que Gustavo Petro est un ancien guérillero, membre d’un mouvement, le M19, né au début des années 1970. C'est un président de gauche radicale comme on le qualifie en Colombie, relativement proche d'un certain nombre de revendications de l'ELN. Cela facilite effectivement le rapprochement, mais cela n'en fait pas pour autant un processus de paix facile. Cette proximité peut générer une certaine forme de tension car, en sus, on ne sait pas précisément quelles sont les revendications exactes de l'ELN, ni jusqu’où le gouvernement de Gustavo Petro est prêt à aller.

Quelles sont les questions qui doivent être encore affrontées et aplanies entre les autorités colombiennes et ce mouvement?
Pour l'instant, les négociations n'ont pas porté sur les thèmes de fond, mais sur la configuration des négociations, c'est à dire qui va participer, comment on va s’organiser… Et jusqu’ici, les points qui sont en train d'être traités sont à la fois un cessez-le-feu et la participation de la société civile.

Par rapport aux FARC, qui ont signé la paix en 2016, quelles sont les différences substantielles si on les compare à l’ELN?
Les différences sont à la fois profondes et ténues. On a l'habitude de dire que l’ELN a des revendications plus fondamentales encore que les FARC. Les FARC avaient des revendications révolutionnaires, mais finalement, l'accord qui a été signé entre les FARC et le gouvernement colombien n’est pas un accord qui génère des transformations profondes dans la société. L’ELN a des revendications beaucoup plus transformationnelles et moins transactionnelles, que ce soit sur les thèmes politiques, économiques, sociaux, etc.

Éclairez-nous sur ces revendications radicales. Donnez-nous quelques exemples…
Il faut d’abord dire qu’il n’est pas toujours très facile d’avoir une vision claire des revendications de l’ELN car le mouvement dit toujours que ses revendications sont celles du peuple colombien, sans rentrer forcément dans beaucoup de détails. Cela étant, l’ELN est assez proche par exemple du socialisme du XXIᵉ siècle, de Hugo Chavez, de la révolution bolivarienne, et donc on a des revendications assez classiques de type marxiste-léniniste, avec une étatisation d'un certain nombre de secteurs de la société, avec une demande de démocratie participative et non représentative, mais avec un certain nombre d'ambiguïtés dans toutes ces revendications. On a également un thème très cher à l’ELN qui est celui de la souveraineté énergétique, impliquant tout le secteur pétrolier, minier où là encore, les revendications ne vont pas nécessairement vers une étatisation totale, mais vers une meilleure maîtrise, gestion et autonomie ou souveraineté énergétique de la Colombie.

Ces revendications sont-elles dans le domaine de l’acceptable par ce gouvernement?
Sur tous les thèmes mentionnés, le diagnostic qui est fait tant de la part du gouvernement que par l’ELN est relativement similaire. Il peut y avoir un certain nombre de divergences dans les solutions proposées et dans l'amplitude ou dans la profondeur des transformations envisagées, que ce soit sur le secteur de la santé, sur le secteur énergétique, sur le secteur économique en général et le pouvoir politique. Les deux parties vont dans la même direction, mais il est vraisemblable que l’ELN, pour des raisons tactiques ou pour des convictions profondes, fasse une espèce de surenchère sur un certain nombre de questions et aille beaucoup plus loin dans la revendication de certaines transformations ou dans la profondeur de ces transformations.

Au-delà de l’ELN, quels sont les principaux défis que la Colombie doit relever pour consolider la paix dans le pays après la démobilisation des mouvements armés?
On a eu effectivement une démobilisation des FARC qui comptaient entre 10 000 et 15 000 hommes en armes, mais en dépit de la nature des accords de paix, de la remise des armes et des cessez-le-feu qui ont suivi, différents analystes considèrent que la Colombie n'est toujours pas en paix dans la mesure où on a toujours un nombre important de personnes en armes qui appartiennent à des groupes armés organisés. Certains sont des groupes dissidents des FARC; on a aussi des groupes armés organisés héritiers ou issus des groupes paramilitaires qui ont été officiellement démobilisés dans les années 2000 et, évidemment, l’ELN. Ce qui fait que sur le territoire colombien, il y a toujours aujourd'hui plus de 10 000 hommes et femmes en armes, organisés dans des structures différentes. Le premier défi est donc d’ordre sécuritaire. Le second grand défi est socioéconomique. On a toujours des inégalités profondes. La Colombie reste l'un des pays les plus inégalitaires d’Amérique latine et fait face à un certain nombre de défis classiques dans ce genre de situation.

Quelle perception a la communauté internationale de ce processus de dialogue?
Il y a un appui et un intérêt de la communauté internationale, mais également un optimisme modéré car ce n'est pas la première fois que des négociations ont lieu avec l’ELN. Le mouvement a négocié ou en tout cas a entamé un processus de paix avec la majorité des précédents gouvernements au cours des cinq dernières décennies. Si on en est encore là, aujourd’hui, c'est parce que ce mouvement n’a jamais pu ou voulu conclure un accord de paix avec les différents gouvernements. Il faut être très prudent sur la suite, et ceci montre que l’ELN n'est pas vraiment pressé. Un certain nombre de déclarations de ses dirigeants montrent que si l'accord n'est pas signé avec ce gouvernement, les négociations pourraient continuer avec les prochains gouvernements. Il y a un autre point qui pose problème, c'est celui du financement de l'ELN. D’ordinaire, c'est une question qui se pose généralement à l'issue des négociations, une fois les accords de paix signés, une fois ces groupes démobilisés. Ces organisations, durant les conflits, extorquent, rançonnent ou ont des ressources financières à travers des économies illégales.

Or, ici, la question a été posée récemment par le président colombien, avant même la signature des accords de paix. La possibilité a été envisagée de financer l’ELN au cours de ces négociations pour compenser les pertes dues au cessez-le-feu. Sur le plan pratique, c'est une vraie question, mais cela relève assez fortement d'un certain cynisme dans la mesure où la société colombienne est absolument opposée à tout financement d'une organisation de guérilla tant qu'elle n'a pas déposé les armes. Cette question pose à la communauté internationale des problèmes d’ordre politique, éthique et juridique dans la mesure où l'ELN continue de figurer, par exemple, sur la liste des organisations terroristes des États-Unis. Pour Washington, il est évidemment hors de question de financer une organisation terroriste.

Est-ce qu'une rupture du cessez-le-feu peut se produire?
Oui, mais il y a plusieurs niveaux de rupture. Vous avez ce qu'on pourrait appeler des incidents, c'est à dire des violations du cessez-le-feu, sans que le cessez-le-feu en lui-même soit rompu; vous pouvez avoir des violations provoquées intentionnellement, et on sait qu'à l'intérieur de l’ELN, il y a certaines branches qui ne sont pas forcément favorables aux négociations et qui pourraient, dans le cas où les négociations avancent relativement rapidement, provoquer un certain nombre d'incidents afin de rompre le cessez-le-feu.

 

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01 août 2023, 08:00