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Catherine Colonna, ministre française des Affaires étrangères, arrive au G7 Affaires étrangères à Münster en Allemagne, le 3 novembre 2022. Catherine Colonna, ministre française des Affaires étrangères, arrive au G7 Affaires étrangères à Münster en Allemagne, le 3 novembre 2022.   Les dossiers de Radio Vatican

Maurice Vaïsse: le Quai d’Orsay n’a plus le monopole de la diplomatie

La contestation née de la réforme de la haute fonction publique, en particulier du corps diplomatique voué à disparaître en tant que spécificité à partir de 2023, a des racines bien plus profondes, estime l’historien de la diplomatie française, Maurice Vaïsse.

Entretien réalisé par Delphine Allaire - Cité du Vatican 

Des états généraux de la diplomatie ont été ouverts le 28 octobre dernier à Paris par la ministre des Affaires étrangères française, Catherine Colonna, ancienne ambassadrice elle-même. Cet exercice inédit est censé apaiser le malaise patent chez une grande partie des agents du ministère depuis l’annonce de la réforme affectant leur carrière.

La réforme supprime le corps diplomatique en tant que tel, pour l’intégrer dans un nouveau corps «interministériel» des administrateurs de l’État, actant la fin d’une spécificité diplomatique certaine. La France, fière de son troisième plus important réseau diplomatique mondial -après la Chine et les États-Unis-, a ainsi assisté à la seconde grève de l’histoire du Quai d’Orsay, en juin 2022.

Les discussions débutées en interne permettront aux diplomates de partager leurs réflexions en matière d’évolution des missions diplomatiques et des métiers qui en découlent. Lorsque prendra fin la première phase de large consultation, une phase de débat, de restitution et de synthèse, aura lieu les premières semaines de l'année 2023.

Maurice Vaïsse, professeur émérite d’histoire des relations internationales à Sciences Po, directeur de la Revue d'histoire diplomatique, décrypte le contexte d’opposition à cette réforme.

Entretien avec Maurice Vaïsse, historien français des relations internationales

Dans le cadre de la réforme de la haute fonction publique, du corps diplomatique en particulier, des «états généraux de la diplomatie» souhaités par le personnel, ont été inaugurés. Est-ce une démarche inédite dans l’histoire récente de la diplomatie française?

La crise existentielle du Quai d’Orsay couve depuis plusieurs années, en raison de facteurs divers qui ne tiennent pas tous à cette dernière réforme. Il s’agit de la relative marginalisation du ministère des Affaires étrangères dans la diplomatie française d’une façon générale, et de l’affaiblissement du ministère au profit d’opérateurs extérieurs. Le ministère des Affaires étrangères se retrouve dévitalisé à plusieurs égards. Quand s’ajoute à cela, une réforme des corps les plus importants, cela produit une très vive crainte chez les diplomates de voir le métier diplomatique apparaître de moins en moins attractif, et la diplomatie française d’être affaiblie.

 

La diplomatie française a subi une déperdition de moyens très importante ce demi-siècle écoulé, en ce qui concerne les effectifs et le budget. Le personnel en 1990 était de 20 000 agents, il est passé à 13 000 en 2019. Il y a eu une grève en 2003 du temps de Dominique de Villepin, car il y avait constamment ces diminutions, alors qu’on demandait toujours plus d’efforts. La réforme des corps est, elle, inédite.

“La diplomatie française a subi une déperdition de moyens très importante ce demi-siècle écoulé, en ce qui concerne les effectifs et le budget.”

À quoi imputez-vous la «dévitalisation» du ministère des Affaires étrangères français?

Ce phénomène concerne tous les ministères des Affaires étrangères, d’une façon générale, pour une raison simple: ces quarante dernières années, la diplomatie a été le fait du pouvoir exécutif dans les démocraties, et, surtout, dans les pays autoritaires.  De plus en plus, l’administration des affaires étrangères est considérée comme un instrument. L’exécutif prend les décisions, les contacts. Nous le voyons de tous les côtés, ce sont les chefs d’État et de gouvernement qui traitent directement des affaires étrangères, s’arrogeant en priorité le rôle diplomatique.

Tout le monde veut s’occuper de questions internationales, le ministère des Affaires étrangères n’en a plus le monopole, et se voit concurrencé par le ministère de l’Économie et des finances, celui de la Défense, et d'autres.

“Les chefs d’État et de gouvernement traitent directement des affaires étrangères, s’arrogeant de plus en plus le rôle diplomatique en priorité.”

Qu’observez-vous de l’évolution récente de la pratique diplomatique, à l’heure des réseaux sociaux, impliquant immédiateté, célérité, hypertransparence..?

Ces questions posent en effet problème aux machines diplomatiques traditionnelles. L’un des arguments d’Emmanuel Macron pour la réforme des corps diplomatique est précisément d'ouvrir les diplomates à ces questions. Dans son discours aux ambassadeurs fin août dernier, il a tenté d’expliquer que cette réforme était faite pour eux afin qu’ils puissent justifier de leurs prérogatives dans un monde nouveau.

De quoi s'inspirer dans le modèle de carrière au sein des chancelleries d’autres pays?

En faisant un tour d’horizon de pays voisins, l’on se rend compte que les problèmes sont identiques à ceux du Quai d’Orsay. Les ministères des Affaires étrangères rencontrent les mêmes problèmes d’adaptation, car ce sont des ministères traditionnels. Il y a des difficultés en Allemagne: la ministre allemande des Affaires étrangères, provenant des Verts, Annalena Baerbock, a initié une réforme de la diplomatie, suscitant, elle aussi, controverse et opposition. Elle argumente sur la diversification du personnel diplomatique, la lutte contre la désinformation. Le parti chrétien-démocrate est allé jusqu’à évoquer «la dégradation possible de la qualité des diplomates allemands» et jusqu'à parler d’un «népotisme vert».

Réforme des corps, adaptation aux nouveaux problèmes. D’une façon générale, les diplomates, français ou étrangers, sont de très grande qualité. Une adaptation est simplement nécessaire. Ces quarante dernières années ont vu le monde se transformer brutalement. Cela nécessite aussi une adaptation de la part des diplomates.

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10 novembre 2022, 07:00