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L'émir du Qatar et le président de la FIFA, le 20 novembre, lors de l'ouverture de la Coupe du Monde. L'émir du Qatar et le président de la FIFA, le 20 novembre, lors de l'ouverture de la Coupe du Monde.   Les dossiers de Radio Vatican

La Coupe du Monde de football, outil d'influence du Qatar

Jamais sans doute l'évènement-phare du sport mondial n'aura suscité autant de polémiques en raison de son pays-hôte. Analyse des ressorts de la puissance qatarie à travers le sport.

Entretien réalisé par Olivier Bonnel-Cité du Vatican

Le Qatar au centre de l’attention planétaire: la 22 ème coupe du monde de football s’est ouverte hier dans l’émirat, une première pour un pays du Golfe. Jusqu’au 18 décembre, 32 équipes vont tenter se succéder à la France et soulever le trophée le plus populaire du sport mondial.

Pour cette édition, les enjeux vont bien au-delà du sport: cette coupe du monde qatarie est sans doute la plus controversée de l’histoire. Entre les soupçons de corruption lors de son attribution en 2010, la construction de stades climatisés dans le désert, véritable désastre écologique, et les conditions de travail de milliers de migrants sur les chantiers des stades, le Qatar est montré du doigt.

Comment expliquer que le petit émirat ait misé sur le sport -et le foot en particulier- pour asseoir son influence géopolitique ? Éclairge avec Raphaël Le Magoariec, spécialiste de la géopolitique du Golfe, il vient de publier l’ouvrage « L’empire du Qatar, le nouveau maître du jeu ?», édition Les Points sur les I. 

Entretien avec Raphaël Le Magoariec, spécialiste de la géopolitique du Golfe

Le Qatar cherche des secteurs, des domaines, qui ont une portée en termes d'influence afin de pouvoir diversifier ses relations et sortir de sa dépendance au secteur gazier ou au secteur pétrolier. Le Qatar va donc s'appuyer sur des domaines centraux de la mondialisation pour gagner en influence et pour agrandir sa superficie, s'extraire aussi d'un environnement régional qui est fait de tensions.

Au cours des années 1990, des tensions répétées ont eu lieu en effet dans cette région, Doha fait donc le choix de s'en extraire en investissant dans un domaine comme le sport, un domaine d'influence. C'est au début de la décennie 2000 que commence réellement cette stratégie, et cette recherche d'un secteur porteur pour sa politique étrangère. Le Qatar, lui, est le pays le plus entreprenant en termes d'investissements du sport comme outil d'influence.

Par exemple, face au Qatar, il y a l'Émirat de Dubaï, qui est dans une politique opposée de l'investissement du Qatar dans le sport. C'est-à-dire, pour Dubaï, le sport est un vecteur économique, tandis que pour le Qatar, c'est un vecteur d'influence avant tout. Il faut bien comprendre que pour le Qatar, investir dans le sport c'est comme investir dans le milieu de la défense et c'est pourquoi parfois les sommes peuvent apparaître démentielles pour un public européen.

On a pu entendre souvent que l'émirat du Qatar n'avait pas de tradition sportive ou de tradition footballistique, mais en fait, c'est un cliché…

En fait, c'est la décennie 1990 qui casse la dynamique qu'avait cette tradition sportive au Qatar. Depuis l’Europe, on a l'impression que ce pays n'a pas de tradition sportive. Dans les années 1990, le grand père de l'actuel émir, l'émir Khalifa, avec son ministre de l'Éducation qui gérait la partie sportive, va développer un projet sportif pour structurer sa société et pour développer un semblant de nationalisme autour de la figure de l’émir. Il faut bien comprendre qu'à ce moment-là, l'émirat du Qatar est dans un contexte d’indépendance où il faut développer, structurer la politique intérieure de l'émirat. Et le sport va contribuer à cette structuration.

C'est à ce moment-là qu’on voit «la génération dorée» du football qatarien qui apparaît au début de la décennie 1980, avec notamment un premier exploit qui est d'atteindre la finale de la Coupe du monde espoirs en 1981 contre la République Fédérale d'Allemagne, après avoir battu notamment le Brésil et l'Angleterre. Au cours de cette décennie, ils vont continuer à briller, même si le Qatar ne sera jamais à la Coupe du monde, contrairement au Koweït ou aux Émirats Arabes unis. Dans ces années-là, il y a vraiment une tradition sportive qui apparaît.

“Pour le Qatar, investir dans le sport c'est comme investir dans le milieu de la défense”

Sur un plan footballistique, le Qatar appartient à la Confédération asiatique et donc appartient à une confédération qui n'est pas centrale au sein du foot mondial. Ce qui fait que la tradition sportive a moins de place pour s'exprimer sur la scène internationale, contrairement par exemple aux équipes européennes qui, elles, ont toujours eu une grande place au sein des Coupes du Monde. Voilà pourquoi on a l'impression, vu d'Europe, que ce pays n'a pas de tradition sportive.

Comment le football en particulier a t-il été mis au service du nationalisme qatarien ?

Il y a un sentiment que le pouvoir souhaite toujours à structurer et cette Coupe du monde participe à donner ce sentiment de fierté nationale, toujours autour de la figure dominante de l'émir. C'est l'émir qui offre cette Coupe du monde à sa société et qui place le Qatar au sein même de l'échiquier mondial.

Quelle que soit l'issue de cette Coupe du monde de football, peut-on dire que Doha a déjà pris un temps d'avance dans la géopolitique régionale par rapport à ses voisins ?

On peut dire que Doha a réussi, parce qu'il ne faut jamais perdre de vue que ce que Doha recherche avant tout, ce n'est pas l'image, mais c'est l'influence grâce à l'investissement dans le sport et dans l'industrie du sport mondial. Le Qatar est toujours en recherche de cette influence et de cette légitimité auprès des puissants acteurs du sport mondial.

Dans ce contexte Doha a pris un temps d'avance parce qu’il a développé depuis maintenant deux décennies, de manière très offensive, une politique dans ce domaine et est très bien placé aujourd'hui, bien que son image en Occident soit en grande partie négative. Le Qatar a réussi son pari de peser sur les sphères du pouvoir et sur les sphères qui, en fin de compte, font le monde d'aujourd'hui.

Faut-il craindre que la Coupe du monde une fois achevée, plus personne ne s'intéresse au Qatar et notamment aux conditions de vie des travailleurs étrangers ?

En fait, le risque, c'est qu'il y ait l'effet Coupe du monde, l'effet buzz du moment et que ça retombe après. Ce serait dramatique parce qu'après la Coupe du monde, le Qatar va continuer à se développer et à construire son pays. Il faut bien voir que le Qatar, depuis deux décennies, est un immense chantier, il y a des constructions en permanence nuit et jour et donc cela ne va pas forcément cesser avec la Coupe du monde.

C'est pourquoi il est important de continuer la pression, même au-delà de la Coupe du monde. Le risque est qu’il y ait un effet boomerang et qu’après cette Coupe du monde, il y ait moins d'intérêt porté au Qatar et au sort des travailleurs étrangers qui y vivent. Pour cela, les ONG vont continuer à faire leur travail là-bas et continueront à faire cette pression. Il faudra que les médias soient aussi toujours présents autour de cette question et le mettent en lumière, pour éviter le fait que ces ouvriers retombent dans l'ombre et vivent toujours dans ces mêmes conditions, en grande partie inhumaines.

 

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21 novembre 2022, 16:18