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Le palais du Quirinal, résidence officielle du président de la République italienne, sur la colline du Quirinal à Rome. Le palais du Quirinal, résidence officielle du président de la République italienne, sur la colline du Quirinal à Rome.   Les dossiers de Radio Vatican

Crise politique en Italie, symptomatique du règne des partis

Chaque été en Italie apporte son lot de crises politiques. Cette année n’y aura pas échappé. Les Italiens se rendront aux urnes pour des élections législatives anticipées le 25 septembre prochain, après l’échec du maintien de la coalition au pouvoir. Décryptage de décennies de parlementarisme, emblématiques d'une «partitocratie» pour certains, d’une vitalité démocratique pour d'autres.

Entretien réalisé par Delphine Allaire – Cité du Vatican

Depuis la démission fin juillet du président du Conseil, Mario Draghi, faute de majorité, la campagne électorale bat son plein. La droite est favorite du scrutin. Il s’agira du 63e gouvernement italien depuis la fin de la Seconde guerre mondiale et la proclamation de la République en 1946. Une instabilité chronique du régime parlementaire instauré dans le pays après le fascisme mussolinien des années 1920. Entretien avec Jean-Yves Frétigné, spécialiste de l’histoire politique de l’Italie contemporaine à l’université de Rouen.

Entretien avec Jean-Yves Frétigné, historien de l'Italie contemporaine

Quelle est la particularité du système politique italien qui le rend si instable?

L'instabilité existe à nos yeux parce que nous sommes habitués, surtout avec la Ve République, à un système dans lequel les majorités, sauf exception, dépendent d'un scrutin majoritaire, d'un fort pouvoir politique de l'exécutif, en particulier du chef de l'État. Si nous étions des femmes et des hommes de la IVe République, nous ne jugerions pas l'Italie comme particulièrement instable.

Toutefois, ce qui rend la péninsule politiquement instable, si l’on souhaite conserver ce terme, est à la fois un système électoral proportionnel et une conception de la démocratie fondée sur la vie des partis politiques. Le cœur de la vie politique italienne, ce sont les partis politiques.

Ce bicamérisme parfait est-il une impasse, quels en sont toutefois les avantages?

Il a les avantages de ses inconvénients et les inconvénients de ses avantages. Comme avantage, il y a cette ductilité qui fait qu'on va chercher des alliances sur tel ou tel projet. Au fond, il y a une vraie vie démocratique, mais qui a été jusqu'aux années 1980, fortement médiatisée, au sens étymologique du terme, c'est-à-dire qui est passé par le média des partis politiques. L’on parle en Italie de partitocratie, de pouvoir des partis.

Durant longtemps, il est vrai qu’il n'y avait même pas un seuil minimal pour être représenté au Parlement, 5% des voix n’étaient pas requis. Mais si l’on regarde au-delà des vicissitudes conjoncturelles, il y a plus ou moins un système bipartisan.

La démocratie chrétienne a longtemps régné, avec quelques partis satellites laïcs autour, puis le Parti communiste. Il n'y avait pas d'alternance, le bipartisme était certes incomplet. C’est après la crise des mani pulite en 1992-1993 que s'est remis en place un système bipartisan avec d'un côté, la droite Forza Italia de Berlusconi, l'Alliance nationale et la Ligue, de l'autre des forces de gauche dont la figure dominante était le Parti démocratique. Cela ressemble, en moins structuré du fait du mode électoral, au système politique britannique.

Comment expliquer alors l'arrivée paradoxale parfois de technocrates au pouvoir?

Il y a un jeu politique, certains diront politicien, qui peut être très fort. Et en attendant, il faut bien que le pays continue d'être gouverné. Alors ou le chef de l'État demande au président du Conseil sortant de continuer et de gérer les affaires courantes ou l’on fait appel à un gouvernement technocratique avec une figure super partes, au dessus des partis, mais dont l’on sait qu’il ne durera que le temps que se préparent les prochaines élections. La Belgique a connu cela aussi. L’on se rend compte que quelques fois, ces gouvernements prennent et font des mesures qui peuvent être importantes, surtout en temps de crise.

Quelles sont les raisons historiques à l'instauration d'un tel régime?

Il fallait tourner la page du fascisme. Le fascisme a mis fin dès 1922 et assurément dès 1924, au système parlementaire qui existait en Italie, instaurant une dictature.

Cela s’est produit par une transformation de la Chambre des députés en une chambre des corporations, ce qui a d'ailleurs beaucoup séduit des milieux technocratiques de l'entre-deux guerres et pas simplement des milieux d'extrême droite qui étaient fascinés par le fascisme mais qui justement, ont regardé cette expérience avec une certaine bienveillance en la balayant.

Il fallait établir pleinement la démocratie, retrouver une chambre élue et y ajouter un Sénat élu. Car il faut bien comprendre que le Sénat, qui est une vieille création de l'histoire italienne, le Sénat, était toujours nommé par le souverain, en l'occurrence par le roi. En Italie, il n'était pas possible d'imaginer un autre système pour établir la démocratie que deux chambres élues l'une et l'autre au suffrage universel, et donc un vrai bicamérisme.

Depuis la fin de la Seconde guerre, l’Italie a connu 62 gouvernements. Quelles ont été les plus fortes crises politiques qui ont marqué ces dernières décennies?

Lorsqu'il y a des grands moments de tension en Italie, c'est qu'il y a des problèmes qui ne relèvent pas de la simple cuisine électorale ou politicienne. Celle-ci peut d'ailleurs avoir un effet positif de ralentir une crise, de la diluer un peu ou au contraire, de l'accélérer.

Évidemment, l'Italie a connu bien des tensions liées à la guerre froide, un président du Conseil a été enlevé et assassiné Aldo Moro, des tensions entre une Italie encore très catholique et liée au Vatican et une Italie qui commençait à se laïciser. Par exemple, la tension autour du référendum sur le divorce, ce sont des tensions qui dépassent le strict cadre de la logique parlementaire.

Pourquoi dit-on souvent, dans l'écosystème politique européen, que la vie politique italienne fait office de «laboratoire»?

C'est un laboratoire pour le bien et le mal, puisque finalement la première grande formation, première grande dictature de l'entre deux guerres, c'est Mussolini dès 1922, il ne faut jamais l'oublier. Et puis laboratoire dans le sens ou s'élabore justement une vie démocratique permanente.

La limite de l'expression, c'est qu'en général, en laboratoire, on peut reproduire une expérience. Là, quel pays peut reproduire l'expérience italienne? Quel pays peut connaître un tel développement, quand même économique, avec de telles difficultés politiques? En connaissant 62 gouvernements depuis 1946, n’ayant connu entre 1946 et 1994 aucune alternance politique.

Avec son parlementarisme patent et sa décentralité, l’Italie est-elle une nation politique?

Selon la célèbre formule prêtée à Massimo d'Azeglio, l’un des penseurs du Risorgimento, contemporain de Camillo Cavour au XIXe: «L'Italie est faite, il reste à faire les Italiens». Depuis 1861, la nation italienne s'est construite, mais il est vrai, surtout en comparant peut-être à la France, qu'il y a toujours quand même une série de tensions dans ce pays entre le Nord et le Sud, entre les différentes classes sociales, entre les différentes générations. Des fossés peut-être plus marqués. Aujourd'hui, il s'illustre par les divergences entre europhiles et eurosceptiques. 


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09 août 2022, 08:00