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Le président Guillermo Lasso en avril 2021 Le président Guillermo Lasso en avril 2021 

Le pari sécuritaire du président équatorien

Depuis une semaine les militaires patrouillent dans les rues des villes équatoriennes. C’est la principale conséquence de l’état d’exception ordonné par le président Lasso pour lutter contre le narcotrafic. Mais cette politique de fermeté pourrait bien masquer les difficultés rencontrées par le chef de l’État, six mois à peine après son arrivée au pouvoir.

Entretien réalisé par Xavier Sartre – Cité du Vatican

Officiellement, cet état d’exception ne doit durer que deux mois, le temps de combattre une insécurité grandissante en Équateur. Le pays n’est plus simplement une plaque tournante du trafic de drogue : la consommation de stupéfiants y a explosé et avec elle les violences qui lui sont liées. Les affrontements sanglants et meurtriers dans les prisons fin septembre entre gangs rivaux, et qui ont causé la mort de 119 personnes – un bilan sans précédent dans l’histoire récente du pays – ont traumatisé une bonne partie de la population.

Mais selon Matthieu Le Quang, docteur en science politique à Quito, spécialiste de l’Équateur, le président Guillermo Lasso, élu il y a six mois, pourrait vouloir profiter de ce problème sécuritaire pour faire oublier le contexte social et économique qui ne lui est guère favorable. Ce mardi, des organisations indigènes, syndicales et étudiantes doivent manifester dans la capitale contre la hausse des prix des carburants. Vendredi, le président a ordonné une hausse allant jusqu’à 12%, mais a annoncé dans la foulée la fin de leur augmentation automatique mensuelle. Depuis 2020, l’Équateur ajustait chaque mois les prix à la pompe en fonction des prix internationaux, ce qui a provoqué une hausse de 70 % du gallon américain de diesel.


Cet état d’exception est perçu comme «une excuse pour dissuader les mobilisations sociales» explique le chercheur. «Il y a une certaine peur au sein de la droite politique de revivre les très fortes mobilisations indigènes et des classes populaires et des classes moyennes de Quito d’octobre 2019» précise-t-il. Autre élément qui le fait douter de la bonne foi de l’exécutif dans sa volonté d’imposer d’état d’exception à la seule fin de lutter contre l’insécurité : les récentes déclarations de Guillermo Lasso contre trois de ses principaux opposants, accusés de vouloir tenter un coup d’État.

La fébrilité du pouvoir tient à sa mauvaise élection, estime Matthieu Le Quang. Guillermo Lasso a recueilli encore moins de suffrages cette année que lors de ses précédentes candidatures. Il semble ne devoir son arrivée à la magistrature suprême qu'à l’effondrement de la Révolution citoyenne, le parti des précédents présidents Rafael Correa et Lenin Moreno. De plus, il a dû changer son programme entre le premier et le second tour pour attirer les suffrages de la gauche, faisant une sorte de grand écart dans ses promesses.

Autre circonstance aggravante pour le nouveau président, sa rupture avec son principal allié de droite, le parti social-chrétien pour mieux former une alliance à l’Assemblée avec le mouvement indigène Pachakutik et la Izquierda democratica, la gauche démocratique.

Si les premiers mois du mandat furent dominés par la réussite de la campagne de vaccination contre la Covid-19, permettant au pays de retrouver un semblant de vie normal, l’économie n’est pas repartie et la crise dans les prisons a semé le trouble. «Petit à petit, il y a eu une décrédibilisation de la parole de Lasso» considère Matthieu Le Quang. Le conflit ouvert avec l’Assemblée qui fait resurgir le spectre des années 1990-2000 marquées par l’instabilité, fait également passer le chef de l’État comme «incapable de dialoguer avec l’opposition» et ajoute à sa fébrilité. Autant d’éléments qui pourraient le pousser à faire ce pari sécuritaire.

Entretien avec Matthieu Le Quand, chercheur en science politique à Quito

 

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25 octobre 2021, 14:06