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Dante Alighieri ou la quête de Dieu par l'élévation de soi

Prophète d’espérance et témoin de la soif d’infini inscrite au cœur de l’homme. Ainsi le Pape François qualifie Dante Alighieri dans la Lettre apostolique qu’il lui consacre. Intitulée «Splendeur de la lumière éternelle» -Candor Lucis Aeternae-, elle est parue le jour de l’Annonciation, jeudi 25 mars. Décryptage de la pensée dantesque avec Didier Ottaviani, maître de conférences en philosophie à l’ENS Lyon.

Entretien réalisé par Delphine Allaire – Cité du Vatican

François n’est pas le premier Pape à rendre hommage à cet homme d’art, de lettres et d’humanités, il s’agit là d’une tradition et d’une proximité certaine qui s’est installé entre Dante et les récents Papes au fil de ces derniers siècles.

Auteur fondamentalement chrétien, Dante expose dans les vers de la Divine Comédie, sa principale œuvre, toute sa quête de Dieu et de la vie céleste, en passant par les vicissitudes humaines, toujours guidé par l’espérance, même en ce bas-monde.

Dante ou la recherche de Dieu par l’élévation de soi… Didier Ottaviani le résume ainsi. Ce spécialiste de la philosophie médiévale et renaissante à l’École normale supérieure de Lyon, explique la portée de l’héritage du «plus grand poète», et toute sa pérennité.

Entretien avec Didier Ottaviani, spécialiste de philosophie médiévale

Quelle est la vision de la religion et de la transcendance livrée par Dante?

Dante est un auteur fondamentalement chrétien. La conception de la religion qu’il développe est une élévation de soi, une recherche de Dieu passant par une exigence proprement humaine, dans la mesure où il s’agit de prendre en charge sa propre élévation. La Divine Comédie le symbolise: se rendre compte de sa déviance à travers l’Enfer, ensuite effectuer sa purgation, qui sera le moment du Purgatoire pour réussir à retourner vers le Principe et l’élévation paradisiaque. C’est une démarche personnelle.

Comment Dante approche-t-il l’espérance?

C’est le moteur de sa dynamique. Parce qu’il y a espérance, l’on pourra trouver son chemin. La vertu théologale n’est pas seulement l’espoir qu’il y ait une vie après la mort, mais l’espoir qu’il y ait une guérison et une atteinte de la transcendance dans cette vie elle-même par le cheminement de l’individu et sa propre métamorphose.

Dante est-il un prophète ou un humaniste? Comment percevoir la tension qu’il affiche entre le divin et l’humain dans son œuvre?

Il se constitue comme un prophète à partir de l’idée que l’on en a à son époque, à savoir l’idée que l’élévation intellectuelle permet d’arriver à de nouvelles capacités permettant d’une certaine manière de voir l’avenir. Une dimension prophétique, essentiellement symbolique, même s’il a cette volonté d’annoncer des événements plutôt politiques: une prophétie impériale, par exemple.

Sa dimension humaniste se réfère elle plutôt à montrer comment l’humanité peut se sauver par elle-même, et comment elle va passer par un respect de l’autre, une acceptation d’autrui. Ces dimensions prophétiques et humanistes vont surtout se sentir dans ses écrits politiques.

Quel est le but de la Divine Comédie?

L’exigence centrale est la possibilité de se découvrir soi-même. Évidemment, au terme du trajet, Dieu est atteint, mais en réalité le but est de s’atteindre soi-même. Il y a dans la Divine Comédie une véritable écriture de soi. L’œuvre est écrite à la première personne du singulier, fait rare pour l’époque. Elle est destinée à montrer que par la création l’individu, en tant que poète, se crée lui-même. L’espérance tend vers une vie céleste après la mort, mais en cette vie-là, l’espérance est la conquête du soi, donc la démarche de la Divine Comédie est une tentative de se reconquérir soi-même, alors qu’on était perdu «au tout début de l’Enfer, l’on a perdu la voie droite» comme le marque le tout premier vers du chapitre.

Comment l’œuvre s’inscrit-elle dans son contexte historique, la Toscane érudite et médiévale, berceau artistique et intellectuel de la péninsule?

Par la présence de philosophes, de poètes, d’hommes politiques, de militaires, de dignitaires ecclésiastiques, tous présents dans la Divine Comédie, embrassant et représentant ainsi toute la culture d’une époque. Notable aussi la présence des sciences, avec de l’astronomie, de la médecine, de l’optique. Dante cherche à ressembler à l’œuvre de son maitre Brunetto Latini qui a écrit le Livre du Trésor, encyclopédie philosophique. Dante est à l’orée de la Renaissance, nous sommes en train de quitter le Moyen-Âge pour entrer dans une nouvelle culture.

Nombre de Papes ont à chaque fois commémoré Dante, pourquoi cet attachement particulier, et quelles relations existaient entre le poète et l’institution de l’Église?

Si les Papes aujourd’hui ou par la suite ont célébré Dante, à son époque à lui, il est en conflit avec l’institution pontificale. Un rapport d’amour haine. Il considère le pontificat de son époque -Boniface VIII- comme une structure dévoyée, devenue une pure puissance politique qui cherche à prendre contrôle du pouvoir temporel par le pouvoir spirituel. La première relation dans l’œuvre est donc conflictuelle.

D’un autre côté, Dante va participer à construire une figure pontificale proche de celle d’aujourd’hui, d’un Pape gouverneur des âmes, indiquant les directions éthiques à prendre. S’il rejette l’idée que le Pape puisse être un guide politique pour s’occuper des affaires de la Cité, il en fait en creux un guide spirituel et moral. 


Comment Dante manifeste aujourd’hui son actualité?

Au niveau individuel, la possibilité perpétuelle de se perdre soi-même, et au niveau politique, son questionnement sur le Bien commun. Il s’inscrit dans le cadre des communes italiennes du XIIIème siècle, qui sont des républiques dans lesquelles il y a des élections. Son angoisse principale est de voir comment le pouvoir de l’argent a complètement politiquement détruit Florence. Il dénonce les gains trop rapides, les banques, la recherche perpétuelle de la richesse, qui est pour lui, la ruine de la concorde entre les hommes.

Face à l’ampleur de l’œuvre dantesque, comment ne pas être pris de vertige. À quel fil directeur de sa pensée, simple et sobre, se raccrocher?

Sans doute au fil de l’amour. Dante est avant le poète d’amour, il se présente comme «l’intelletto d’amore». Un amour qui s’élève progressivement vers un amour divin. Donc il y a un véritable trajet de la notion amoureuse; un amour qui passe de l’amour charnel vers un amour de plus en plus spiritualisé. Cette notion permet de comprendre à la fois l’amour inter-individuel, l’amour pour la communauté, et bien sûr la transcendance de l’amour divin, terme de son pèlerinage.

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26 mars 2021, 07:00