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Le cardinal Christoph Schönborn, archevêque de Vienne en Autriche. Le cardinal Christoph Schönborn, archevêque de Vienne en Autriche.  

Schönborn: «La synodalité est le moyen de vivre la communion dans l'Église»

Entretien de l’archevêque de Vienne avec les médias du Vatican sur l’assemblée générale du synode qui s’ouvrira à Rome le 4 octobre prochain.

Andrea Tornielli - Cité du Vatican

«La synodalité est le modus operandi de la communion ecclésiale, de la participation qui touche également aux questions et aux décisions de gouvernance, aux aspects de la vie de l'Église. Le synode sur la synodalité est un synode sur la façon dont la communion ecclésiale est vécue de manière évangélique, le “marcher ensemble“ de tous les membres du peuple de Dieu». C'est par ces mots que le cardinal Christoph Schönborn, archevêque de Vienne, résume, dans un entretien accordé aux médias du Vatican, le point central de la prochaine assemblée synodale, en soulignant le lien entre le synode que l'Église vit actuellement et le synode de 1985 consacré à la communion ecclésiale. Un accent qui montre clairement que la communion et la recherche de l'unité - ut unum sint - précèdent les différences de positions, dans l'espoir qu'elles déterminent également la manière dont elles sont présentées et discutées.

Éminence, le premier des deux synodes sur la synodalité est sur le point de commencer: qu'attendez-vous de ce travail commun ?

Il peut se passer beaucoup de choses dans ce synode, nous ne le savons pas. Le Pape François nous a mis sur un chemin assez unique, celui de l'écoute et du discernement. Ce sont des choses qu'il faut toujours faire, ce sont des choses élémentaires pour la vie de l'Église, mais le Pape a mis un accent beaucoup plus explicite sur la question du discernement: qu'est-ce que le Seigneur nous montre ? Que veut-il pour nous aujourd'hui, pour l'Église ? Le synode est donc une tentative d'approfondir, d'apprendre, d'expérimenter ce chemin de discernement".

Dans l'Église de Vienne, il y a quelques années, vous avez célébré un synode diocésain. Que s'est-il passé?

Je dois vous corriger un peu, car il ne s'agissait pas d'un synode diocésain. Le synode diocésain a des règles très précises fixées par le droit canonique. J'ai eu l'idée, et nous l'avons partagée avec beaucoup, d'emprunter une autre voie, celle des assemblées diocésaines. Nous en avons fait cinq, chacune avec 1 400, 1 500 délégués des paroisses, des institutions, des ordres, de toutes les réalités du diocèse. L'idée directrice était celle que le Pape François a mentionnée à plusieurs reprises, celle du concile des apôtres, que nous lisons dans les Actes des Apôtres. J'ai proposé au diocèse: parlons entre nous de manière ordonnée de ce que nous avons vécu de notre cheminement avec le Seigneur, de ce que Dieu nous a fait percevoir dans nos vies et dans nos paroisses.

Qu'est-ce qui vous a le plus frappé dans le déroulement de la démarche?

La méthodologie était celle des Actes des Apôtres. A l'époque, il y avait un problème, celui des païens devenus chrétiens: fallait-il les baptiser ou non? Et s'ils étaient baptisés, devaient-ils aussi assumer la loi juive ou la foi au Christ suffisait-elle? Pour résoudre cette question dramatique, ils ont écouté les expériences et discerné. Pierre a parlé, puis Paul et Barnabé, et enfin toute l'assemblée a écouté et prié. Finalement, ils sont parvenus à cette conclusion: "L'Esprit Saint et nous avons décidé...". Lorsque le Pape François m'a demandé de faire une introduction pour le 50e anniversaire de l'institution du synode en 2015, dans la salle Paul VI, avant son célèbre discours sur la synodalité, j'ai dû faire une synthèse de ce qu'est le synode et j'ai parlé tout d'abord de l'expérience de l'Église primitive. Et je pense que ce chemin - le Pape François l'a souvent répété - le chemin à raconter, de l'écoute et du discernement est une bonne voie pour le cheminement synodal que nous sommes en train de vivre.

Quel est le bilan des assemblées diocésaines?

Ce que nous avons essayé de faire dans le diocèse a certainement approfondi la communion entre nous, encouragé les initiatives pastorales. Nous n'avons pas voté, ni pris de résolutions, ni publié de textes: nous avons seulement partagé la vie de l'Église à la lumière de nos expériences. Telle a été la méthode de ces cinq assemblées diocésaines. Ce fut une expérience très positive, dans une période difficile, car il y a eu tout le drame des abus et la crise de crédibilité de l'Église. Mais nous avons vraiment vécu une expérience forte de foi et de communion et cela nous a certainement aidés à aller de l'avant sans nous décourager.

"Synode sur la synodalité": ce titre peut sembler éloigné de la sensibilité des gens, un titre un peu technique. Qu'en pensez-vous?

J'ai participé au synode de 1985 non pas en tant qu'évêque mais en tant que théologien. J'ai été l'un des théologiens qui ont collaboré à ce synode qui s'est tenu 20 ans après la clôture du Concile et dont le thème était la communion, la communio, un mot essentiel de Vatican II. Même ce synode n'avait pas de thème spécifique, mais c'était presque un synode sur la communion: la communio, comme note essentielle de l'Église, comme caractéristique de la vie ecclésiale. Et je pense que le synode sur la synodalité est quelque chose de similaire. La synodalité est très simple: c'est le modus operandi de la communion ecclésiale, la participation qui touche également aux questions et aux décisions de gouvernance, aux aspects de la vie de l'Église. Le synode sur la synodalité est un synode sur la façon de vivre de manière évangélique, d'une manière qui correspond à la vie de l'Évangile, à la communion ecclésiale, au “marcher ensemble“ du peuple de Dieu, de tous les membres du peuple de Dieu. Bien sûr, on peut dire que la plupart des synodes après 1965 ont eu un thème plus spécifique: par exemple, la pénitence ou la famille, comme nous l'avons eu en 2014-15. Mais je pense que ce thème de la synodalité est un pas de plus dans la réception du Concile Vatican II, de la communio et du modus operandi de la communio, la synodalité. Il ne faut pas non plus oublier que le “marcher ensemble“ de la synodalité ne se fait pas seulement dans le temps présent, mais aussi dans l'histoire. Ainsi, la synodalité signifie aussi se souvenir du chemin de ceux qui nous ont précédés dans la foi.

Le Pape François insiste sur le fait que le synode est fait de prière, d'écoute de la voix de l'Esprit Saint, d'écoute mutuelle et de discernement. Et il est différent du travail d'un parlement - tout aussi positif - qui est soumis à la logique de la majorité et de la minorité.

Vous avez dit que le travail d'un parlement est une chose positive. Nous sommes reconnaissants à tous les pays qui ont un parlement, un vrai parlement, une démocratie parlementaire. Je voudrais ajouter une petite note. Bien sûr, le parlement n'invoque pas explicitement le Saint-Esprit: dans certains parlements, il existe une tradition de prière, qui est rare, mais qui existe. Je pense à ce magnifique discours du Pape Benoît XVI au parlement de Londres, où il a mis en évidence que même dans une démocratie parlementaire, il y quelque chose qui tient du discernement… Il avait parlé de la conscience de Thomas Moore, qui devait adopter une attitude contraire à celle du roi, mais il avait surtout parlé d'une décision du parlement de Londres, sur l'abolition de l'esclavage, montrant comment les débats parlementaires avaient fait progresser la prise de conscience que l'esclavage était contraire à la dignité humaine. C'est pourquoi je voudrais ajouter un mot positif sur le travail du parlement. Le synode n'est certes pas un parlement, mais cela ne veut pas dire que le travail parlementaire n'est pas une bonne chose.

Pouvez-vous expliquer cette différence entre le synode et le parlement?

La différence est que la synodalité, la vie dans l'Église, est toujours une recherche de l'unanimité, non pas dans le sens parlementaire où tout le monde doit voter de la même manière - comme cela arrive dans les dictatures ou le communisme - mais comme une orientation vers l'unité. Il s'agit d'écouter la voix de l'Esprit Saint qui progresse dans la recherche de la vérité, dans la recherche du bien, jusqu'à la quasi-unanimité. C'est ce qu'ont fait les conciles et aussi les synodes que j'ai connus: la règle du synode est qu'il y a des votes, mais ceux-ci doivent obtenir les deux tiers des voix. N'oublions pas non plus que le synode est consultatif, ce n'est pas un organe législatif. Il s'agit d'écouter ensemble la voix de l'Esprit Saint. C'est pourquoi le Pape a voulu, tant pour le synode sur la famille que pour celui-ci sur la synodalité, deux étapes ou plusieurs étapes, locale, continentale, etc. Et à la fin deux réunions de l'assemblée synodale parce que c'est un chemin vers une unanimité qui doit toujours être ut sint cor unum et anima una, comme on dit de l'Église primitive: ils n'avaient qu'un cœur et qu'une âme. Cette concorde est le signe de l'Esprit Saint.

Que signifie concrètement "écouter la voix de l'Esprit"?

Le Pape nous a enseigné - et nous la pratiquons déjà avec succès - la méthode de l'entretien spirituel. En quoi consiste-t-elle? C'est s'écouter les uns les autres avec respect, avec accueil, pour arriver à un discernement, pour comprendre quelle est la volonté de Dieu. Et pour moi, j’étais impressionné par le fait que dans le document “Querida Amazonia“, le Pape François propose un écho au synode sur l'Amazonie, auquel j'ai pu assister. Il a dit à certains moments: ici je sens qu'il y a un manque de discernement, nous avons besoin de plus de discernement. Comment savons-nous que nous avons fait le discernement nécessaire pour arriver à une décision? C'est certainement l'art du gouvernement du Pape mais aussi de la concorde du synode, des membres du synode. Je pense donc que nous allons vivre une expérience ecclésiale forte dans cette écoute. Bien sûr, sur de nombreuses questions et de nombreux sujets, la liste est longue, il y aura beaucoup de temps pour la discussion et l'échange, mais toujours dans la perspective de l'écoute de l'Esprit.

Un élément certainement nouveau de ce synode a été la tentative d'impliquer et d'écouter largement les Églises locales, en associant les communautés et même ceux qui se sont éloignés de l'Église aux travaux. Cette méthode est-elle importante et, si oui, pourquoi?

Oui, il est important d'écouter aussi la voix de ceux qui ne sont pas "dedans", qui se sont éloignés, parce que cet écho nous permet de mieux discerner. Et puis écouter la voix des fidèles. Il suffit de lire le célèbre petit livre de St John Henry Newman sur l'écoute des fidèles en matière de foi. Ce petit livre écrit autour du Concile Vatican I est très important pour notre situation de recherche de la synodalité.

Que signifie écouter la foi du peuple de Dieu? 

C'est le sensus fidei. Bien sûr, cela ne se découvre pas dans les statistiques. Si nous ne faisons pas ce travail d'écoute du sensus fidei, nous n'écoutons pas l'Esprit-Saint parce que ce qui vit dans le sensus fidei du peuple de Dieu, on le voit, c'est le fond, le cœur de la foi de l'Église. Je pense à une expérience personnelle lorsque j'étais un jeune étudiant en théologie et que l'on nous enseignait toutes les idées de Bultmann et de l'Entmythologisierung (démythologisation, ndlr). Une remise en question radicale de la foi chrétienne. Je suis rentré à la maison et j'en ai parlé à ma mère qui m'a écouté et qui, au bout d'un moment, m'a regardé d'un air un peu surpris et m'a dit simplement ceci: "Mais si Jésus n'est pas le fils du Dieu vivant, notre foi est vide". J'ai toujours dit que cette leçon de ma mère a été pour moi cette écoute du peuple de Dieu, la foi des gens simples. C'est pourquoi l'insistance du Pape François sur la religiosité populaire, sur la foi du peuple - une insistance que l'on retrouve déjà dans le document d'Aparecida - est très importante. Je me souviens du célèbre sermon du cardinal Ratzinger à l'époque de la crise avec Hans Küng, lorsqu'il a dit: la théologie qui ne se met pas humblement au service, à l'écoute de la foi du peuple de Dieu, n'est pas utile, c'est une gnose, mais ce n'est pas le service de la foi. Je pense donc que la méthode consistant à impliquer un grand nombre de fidèles et de personnes qui se sont éloignées de l'Église est importante pour le discernement.

La participation de membres non évêques et l'inclusion d'un nombre significatif de fidèles laïcs, et surtout de femmes, est une autre caractéristique de ce synode. En quoi la physionomie du synode change-t-elle et quelles en seront, selon vous, les conséquences?

Dans les synodes des 50 dernières années, il y a toujours eu des laïcs, hommes et femmes, qui ont participé en tant qu'experts, auditeurs et vérificateurs. Aujourd'hui, pour la première fois, un grand nombre de laïcs, hommes et femmes, sont membres à part entière du synode. Je pense que cela ne change pas fondamentalement la physionomie du synode, car il s'agit bien d'un synode d'évêques, la majorité reste des évêques, car la tradition synodale est avant tout celle de la rencontre des évêques de la région, de la nation, etc. J'ai participé à un bon nombre de synodes et je me souviens d'interventions d'hommes et de femmes, de laïcs, parmi les experts, parmi les auditeurs, qui ont profondément marqué les travaux. Cette fois-ci, un pas de plus sera franchi pour impliquer ces voix. Il y aura encore dans ce synode des experts, même des délégués d'autres Églises fraternelles. Je pense qu'il s'agit simplement d'un enrichissement. Mais il faut aussi se souvenir du synode créé par Paul VI il y a plus de 55 ans. Ce synode est conçu comme la voix de l'épiscopat de l'Église universelle auprès du successeur de Pierre. Nous le savons bien, il y a des votes et des scrutins très significatifs, mais ces votes sont l'expression du sensus fidelium, des attentes du peuple de Dieu qui sont finalement transmises au Pape pour son discernement ultérieur. Cette nouvelle participation ne change pas la substance du sens d'un synode postconciliaire.

L'une des conséquences de cette large participation a été l'inclusion dans l'Instrumentum laboris synodal de nombreux sujets qui ont été discutés pendant des décennies. Par exemple, l'appel à des réformes spécifiques pour une plus grande participation des laïcs et des femmes à la vie de l'Église, ou une nouvelle réflexion sur certains sujets liés à la théologie morale. Quel sera leur poids au sein du Synode?

Je ne peux pas répondre à cette question, nous verrons.  Ce que j'ai perçu, c'est que les synodes continentaux et aussi l'écho de nombreuses conférences épiscopales dans le monde insistent certainement sur la question de la participation des laïcs à la vie de l'Église. Il s'agit déjà d'un thème central du Concile Vatican II. La participation des laïcs est au cœur des intentions du Concile et il reste encore beaucoup à apprendre et à faire. Saint Jean XXIII avait déjà dit que la question des femmes dans la vie de l'Église est un des signes des temps, c'est une des grandes questions qui émergent dans le monde et cette thématique sera certainement présente. Cependant, je suis un peu sceptique quant au fait que la liste des sujets hautement débattus, en particulier dans le monde occidental sécularisé, soit si centrale pour l'ensemble de l'Église. J'en donne un exemple. Lors du synode sur l'Amazonie, certains groupes ont exercé une forte pression pour qu'une décision soit prise sur les viri probati, l'ordination sacerdotale des hommes mariés. On me reprochera peut-être d'en parler, mais cela a été dit au synode. Certains se sont interrogés: Comment se fait-il qu'il y ait jusqu'à 1 200 prêtres colombiens, un pays qui a beaucoup de vocations sacerdotales, qui vivent aux États-Unis et au Canada? Pourquoi cent ou deux cents d'entre eux ne partent-ils pas en Amazonie? Le problème du manque de prêtres serait résolu. Je pense donc qu'il faut parfois un peu plus de discernement et d'honnêteté pour voir la complexité des problèmes. En ce sens, je suis convaincu que le synode sera une occasion belle et forte, une opportunité de discerner ensemble ces questions.

La sécularisation progresse dans les sociétés occidentales, la transmission de la foi qui se faisait dans la famille semble s'être arrêtée. Comment revenir à l'annonce de l'Évangile dans ces contextes? Comment le prochain Synode peut-il y contribuer?

Vous l'avez dit, la transmission de la foi se faisait au sein de la famille. Il est vrai que si celle-ci ne se fait pas dans la famille, la transmission de la foi n'est pas impossible, mais elle est beaucoup plus difficile. C'est pourquoi le double synode 2014-15 sur la famille est très important pour la transmission de la foi. J'ai confiance que la transmission de la foi se fait et elle se fait parce qu'elle est l'œuvre du Seigneur. C'est le Seigneur qui appelle, qui invite, c'est le Seigneur qui agit dans le cœur des gens, qui attire comme Jésus l'a dit: "quand je serai élevé de la terre, j'attirerai tout le monde à moi". Cette attraction de Jésus opère dans le monde entier, mais il y a aussi besoin de ceux qui aident à saisir cet appel, cette œuvre du Seigneur. Bien sûr, la sécularisation est un grand défi. Mais une fois de plus, je me souviens de Benoît XVI qui a dit des choses étonnantes sur la société sécularisée. Je me souviens que lorsqu'il s'est rendu en République tchèque, un pays très sécularisé, il a dit: ici, il y a aussi des occasions d'agir pour l'Esprit-Saint, d'être opérationnel. Et c'est vrai. La sécularisation n'est donc pas seulement un inconvénient, elle a aussi un côté positif, en ce sens que les questions existentielles personnelles se posent d'une manière peut-être plus directe. Le Seigneur est donc à l'œuvre. C'est cela l'Évangile: c’est une force de vie, il suscite la vie, et en ce sens, je suis convaincu que ce synode, malgré toutes les critiques qui ont déjà été formulées, sera un pas pour faire avancer la communion de l'Église.

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19 septembre 2023, 13:59