Recherche

Bénédictins du monastère de Saint Anselme, à Rome Bénédictins du monastère de Saint Anselme, à Rome 

La Règle de Saint Benoît, source de sagesse pour l’Église aujourd’hui

Le 11 juillet, l’Église universelle fête saint Benoît de Nursie, fondateur de l’ordre bénédictin, auteur d’une Règle que suivent encore aujourd’hui des milliers de moines, moniales et laïcs. Des lignes qui donnent des repères précieux pour l’Église et pour tout homme en quête de Dieu, comme l’explique dom Guillaume Jedrzejczak, cistercien trappiste.

Entretien réalisé par Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican

«Qui veut la vie? Qui désire le bonheur?» (Ps 33, 13): c’est pour proposer un chemin vers la réponse à cette interrogation –citée dans le Prologue– que saint Benoît prend la plume au VIe siècle et rédige une Règle qui a traversé les âges, constituant pour ceux qui la suivent une boussole fiable.

Saint Benoît, riche de son expérience d’abbé dans ses premières fondations de Subiaco et du Mont-Cassin, souhaite organiser la vie de la communauté monastique, toute orientée vers la recherche de Dieu.


Ces 73 chapitres offrent un enseignement dense, tissé de citations bibliques, mais son auteur lui-même le reconnaît avec humilité, «pour courir tout droit vers notre Créateur», il faut aussi aller puiser à la source, dans les pages de la Bible et celles des Pères de l’Église.

À qui s’en approche aujourd’hui, la Règle de saint Benoît continue d’inviter à cultiver la discrétion, l’écoute, la pauvreté et la douceur. Elle propose un équilibre de vie entre la prière, l’étude et le travail. Elle décrit de quelle manière exercer l’autorité en vue du bien commun. Entretien avec dom Guillaume Jedrzejczak, cistercien trappiste, abbé émérite de l’abbaye du Mont-des-Cats, président de la Fondation des Monastères, et auteur de Ta lumière sur ma route. Commentaires de la Règle de saint Benoît (éd. Salvator).

«Écoute, ô mon fils, les préceptes du Maître, et prête l’oreille de ton cœur». Ainsi débute le Prologue de la règle de saint Benoît. L’écoute semble le socle de cette règle et de sa mise en pratique. À l’époque actuelle, notre opinion –ou notre «réaction», faite d’émotion- est sollicitée sur tous les sujets, y compris au sein de l’Église. Comment saint Benoît nous apprend-t-il l’art de l’écoute?

Il ne s’agit pas seulement, pour Benoît, de tendre l’oreille à ce qui est dit, même si ce ne serait déjà pas si mal. En fait, la Règle parle de l’oreille du coeur, c’est-à-dire cette dimension intérieure, spirituelle, profonde de l’écoute. Mais là encore, nous risquerions de nous tromper en assimilant le cœur à nos sentiments, ce qui nous émeut et nous touche. Pour Benoît, le cœur est, comme dans les Écritures, le centre le plus intime de la personne. Les sensations et les sentiments nous retiennent à la surface de nous-mêmes. Le cœur qui écoute devient attentif aux vibrations profondes de la vie qui se cachent bien souvent derrière la surface des mots.

Que favorise cette écoute désintéressée?

Il ne s’agit pas du tout d’une écoute désintéressée. Bien au contraire, cette écoute nous concerne intimement, car elle touche le mystère de notre être, de nos déchirures, de nos contradictions et de nos peurs les plus secrètes. Écouter est intimement lié à notre désir de vivre, notre amour de la vie. La guérison de l’oreille de notre cœur est absolument nécessaire, vitale même, pour que la vie véritable puisse jaillir en nous et porter du fruit. Dieu seul peut écouter de manière désintéressée. Nous, par contre, nous jouons notre vie dans l’écoute.

Dans la règle, une grande place est accordée à l’abbé, qui représente le Christ au sein du monastère. Qu’est-ce qui est exigé de lui pour exercer son autorité telle que la conçoit saint Benoît?

Deux images utilisées par saint Benoît au chapitre 27 de la Règle me viennent à l’esprit. Ce chapitre se trouve au cœur de ce que l’on nomme parfois le code pénitentiel de la règle. Saint Benoît y livre la clé de tout exercice de l’autorité à travers deux images bibliques, le médecin et le bon pasteur. Prendre soin et aller chercher qui s’est égaré. Benoît conseillera ailleurs de ne pas éteindre la mèche qui fume encore, ou de ne pas briser le roseau froissé. L’autorité donne la vie parce qu’elle espère tout, croit tout, supporte tout, comme le dit saint Paul. L’autorité bénédictine est une autorité de compassion et de guérison. Mais ne nous y trompons pas, cela ne signifie jamais faiblesse ou laisser-aller. Ailleurs Benoît demande de haïr le vice et d’aimer le frère, et aussi d’avoir le courage de l’exigence, parfois jusqu’à l’impossible. L’autorité a pour mission de faire grandir, de donner la vie. Elle fait le choix fondamental de la vie et non de la loi.

L’abbé ne gouverne pas seul, il est entouré d’un conseil. De quelle latitude dispose ce dernier pour remplir son rôle? En quoi peut-il être un rempart contre les abus de pouvoir?

Le processus de décision n’est jamais, dans la règle, un processus démocratique où une majorité imposerait sa volonté à une minorité. Tous sont appelés à donner leur avis, quels que soient leur âge ou leur compétence. L’une des qualités requises de l’abbé, c’est d’apprendre à écouter tous les frères. Benoît se méfie de l’expérience qui prétend trouver dans la répétition du passé les solutions pour l’avenir. Il est attentif à ce que proposent les plus jeunes qui ne sont pas encombrés de leur savoir. Mais l’avis de la communauté n’est qu’une première étape. Le chapitre 3 décrit ce long processus où chacun est appelé à donner son avis, écouter les autres puis laisser les choses se décanter. L’abbé a pour mission de trouver ensuite ce qui sera le plus ajusté à la situation sans pour autant bloquer l’avenir.

L’abus de pouvoir est toujours possible, du côté de l’abbé comme du côté des groupes de pressions ou des personnes plus charismatiques de la communauté. Les meilleures institutions peuvent être dévoyées, avec les meilleures intentions du monde. C’est pourquoi la tradition successive a mis en place des structures de contrôle et de vérification à travers les visites canoniques et les recours à des tiers. Encore faut-il que ceux-ci fonctionnent.

Y aurait-il un enseignement à tirer de cette manière de gouverner pour l’Église, spécialement en ces temps de «processus synodal» et de lutte contre les abus?

Dans sa lettre pour le nouveau millénaire, le Pape Jean-Paul II avait cité le chapitre 3 de la règle de saint Benoît à propos de l’approche synodale, dans la partie consacrée à la spiritualité de communion. Il suffirait de reprendre ce texte prophétique et de le méditer. Cependant il me semble illusoire de croire qu’une structure pourrait éviter les abus. Tant qu’il y aura des êtres humains, il y aura ce risque. Cependant l’Église est l’une des rares réalités, peut-être même la seule, dont les institutions ont traversé les siècles en étant capables de se renouveler sans cesse, malgré toutes les crises traversées. N’oublions pas que saint François est vu en rêve par le Pape de l’époque comme celui qui va sauver l’Église en train de s’effondrer. Ce ne sont pas les structures qui sauvent, mais les saints!

Quelle place est accordée aux petits, aux «derniers»?

Il y a, en chacun d’entre nous, une part de fragilité, de petitesse, d’ultime qu’il nous faut consentir à reconnaître et accueillir. C’est souvent trop facile de chercher le pauvre au dehors, alors qu’il est d’abord en nous. Cette part d’impuissance nous fait tellement peur que nous préférons la projeter sur un autre que nous prétendons aider et secourir. En fait, tant que nous n’accueillons pas cet enfant qui nous habite, nous sommes incapables d’approcher l’autre dans sa propre faiblesse. La miséricorde authentique naît de cette communion avec ce qu’il y a de plus pauvre en l’autre, parce que j’ai découvert ma propre limite. Sinon elle se transforme en idéologie et en violence.

Avec cette règle, saint Benoît se révèle non seulement un homme de foi, mais aussi un homme de loi. En quoi se montre-t-il aussi... un homme, conscient de la complexité du cœur humain, et de la juste distance à trouver dans toute relation humaine pour rester fidèle à sa vocation?

On a souvent voulu voir en Benoît un législateur. En fait, lorsqu’il parle de l’abbé, Benoît le présente toujours comme celui qui dispense de la loi et qui tient compte des circonstances de temps et de lieu, de la fragilité ou de la capacité des personnes. Lorsqu’il reprend la norme des Actes de Apôtres: «on donnait à chacun selon ses besoins», au chapitre 34 de la règle, Benoît résume parfaitement la complexité du rapport à la norme, à la loi. Tous sont égaux, mais tous n’ont pas les mêmes besoins. Tous sont frères, mais tous n’ont pas les mêmes responsabilités. Il faut éviter de lire la règle avec la mentalité légaliste et égalitaire de notre époque. La loi est au service de l’homme et non l’inverse. En ce sens, il tient toujours compte de la complexité non seulement du cœur humain, mais aussi de son corps et de son histoire.


Saint Benoît rédige sa règle au VIe siècle. Trouve-t-on dans ses lignes, en filigrane, une préoccupation face à des défis de l’époque, voire une réponse à ceux-ci?

La règle de Benoît fut écrite à un moment où le monde romain antique se désagrégeait sous les coups de boutoir des invasions barbares. La vie de Benoît par le Pape saint Grégoire en fait état. Dans cette époque de décomposition et de violence, le monastère de Benoît propose un espace où l’homme peut vivre son humanité. Benoît n’est pas naïf, mais il voit plus loin, et cet autre regard lui permet de proposer à des femmes et des hommes de son temps un chemin pour poursuivre leur aventure spirituelle, malgré les aléas de l’histoire. Les empires passent, les royaumes s’effondrent et disparaissent, mais la vocation de chaque homme demeure.

Quelle conception de l’Église se dégage de cette règle? Dans quelle mesure est-elle encore valable aujourd’hui?

Benoît situe la communauté monastique dans l’Église et la société de son temps. Les évêques et les abbés des environs ont la responsabilité de veiller à la ferveur de la communauté. L’office divin qui rassemble la communauté plusieurs fois de jour et de nuit est celui de l’Église de Rome. Les hôtes et les pèlerins ne manquent pas en communauté. Des prêtres peuvent entrer en communauté, mais sans prétendre à un rang plus élevé. La communauté monastique est donc une petite Église locale en lien avec la grande Église. Et cela se marque aussi par la référence aux Pères de l’Église, nos Pères dans la foi qui sont, avec les Écritures, le point d’ancrage de la vie de la communauté.

Un dernier mot en ce jour de fête pour les moines et moniales…

Le plus important n’est pas le nombre de monastères ou de moines. L’Histoire a connu des hauts et des bas depuis 18 siècles. Même s’ils ont accompli beaucoup de choses, transformé des paysages, développé les cultures et l’artisanat, sauvegardé les œuvres littéraires et artistiques de l’Antiquité, inventé de multiples productions qui font encore la joie de nos contemporains et bâti des monuments magnifiques, tout cela n’est rien en comparaison de leur principale mission qui reste toujours actuelle. En effet, les moines, par leur seule existence, aussi pauvres et insignifiants soient- ils, d’orienter notre regard vers ce qui ne se voit pas. Tant qu’il y aura des moines, l’humanité ne pourra oublier la grandeur de sa vocation, l’extraordinaire de sa destinée!


Merci d'avoir lu cet article. Si vous souhaitez rester informé, inscrivez-vous à la lettre d’information en cliquant ici

11 juillet 2022, 12:14