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Un migrant vénézuélien et son enfant viennent de traverser la frontière entre la Bolivie et le Chili, le 15 février dernier Un migrant vénézuélien et son enfant viennent de traverser la frontière entre la Bolivie et le Chili, le 15 février dernier 

L’Église chilienne face aux mutations du pays

Le Chili, à nouveau frappé par la pandémie de Covid, entrera bientôt dans une nouvelle phase politique avec l’investiture prochaine du président Boric, et la possible approbation d’une nouvelle constitution. L’Église touchée par une crise de confiance après le scandale des abus, tâche d’accompagner ces changements.

Michele Raviart – Cité du Vatican

Le 11 mars prochain, le président élu Gabriel Boric, 35 ans, prendra officiellement ses fonctions.  Son équipe composée de 14 femmes et de 10 hommes -des ministres jeunes issus de la gauche ou, en partie, de la société civile-, succèdera à l’administration de Sebastian Pinera, ouvrant un nouveau chapitre de la vie politique chilienne. La coalition de gauche, qui n’a pas la majorité dans aucune des deux chambres, devra organiser le référendum d’approbation de la future loi fondamentale,  élaborée depuis juillet dernier par une Assemblée constituante ; décision qui suivit de longs mois de contestations dans le pays. Le prochain gouvernement devra également gérer les conséquences nombreuses de la pandémie. Le pays est confronté à une nouvelle vague d'infections, avec près de 30 000 cas par jour la semaine passée, les chiffres les plus élevés depuis 2020. Pourtant la population est vaccinée à plus de 80% et une quatrième dose a été administrée aux personnes les plus exposées.

Mgr Alberto Lorenzelli, évêque auxiliaire de Santiago, revient sur le rôle de l’Église dans cette phase de mutation du Chili.

Nous traversons un processus de changements qui n'est pas seulement culturel, mais aussi social, politique et disons même, religieux et spirituel. La société a avant tout exprimé toute sa douleur face aux différences et aux inégalités entre ceux qui vont très bien et ceux qui vont très mal. Nous avons alors entamé un processus pour rédiger une nouvelle constitution, incluant les demandes des peuples autochtones qui sont des demandes sociales, des demandes de changement, et qui concerne aussi la culture et les idéologies.

Même au niveau religieux et spirituel de l'Église, nous vivons un moment d'incertitude. Tout d'abord parce que nous avons vécu douloureusement toutes les questions liées aux drames des abus sexuels, mais aussi spirituels et de conscience, ce qui a lentement conduit à une méfiance envers l'Église en tant qu'institution. Je ne crois pas qu'il y ait une crise de la foi, du moins parmi les croyants, mais la crédibilité de l'Église s'est lentement érodée, et son rôle dans ce processus de grands changements devient donc beaucoup plus difficile.

Quels projets l’Église souhaite mener à bien ?

La Conférence épiscopale a choisi d'être présente à l'Assemblée constituante sur certaines questions particulières et de s'exprimer sur la liberté religieuse et la reconnaissance des valeurs de la vie, de la naissance à la mort, et sur l'éducation - avec la possibilité pour les parents de décider de la méthode éducative qu'ils souhaitent pour leurs enfants - tout en respectant certaines des libertés déjà promues dans la Constitution actuelle. La Conférence épiscopale a également présenté des documents à l'Assemblée constituante sur le thème de la migration. Le Chili subit actuellement une très forte pression de la part des personnes en provenance du Venezuela, de la Colombie, d'Haïti et de l'Équateur, qui se pressent aux frontières, tant celles qui ont obtenu un permis que celles qui tentent d'entrer dans le pays. Malheureusement, cela a créé des tensions et nous savons qu'il y a souvent un refus de la part des Chiliens eux-mêmes [de les accueillir]. Ils ont campé dans des villes comme à Iqique et il y a eu une réaction assez violente et inacceptable de la part de la population locale.

Ndlr: quelque 672 militaires et 100 policiers ont été déployés le 16 février dernier pour aider les unités déjà sur place à contrôler l'immigration clandestine dans quatre provinces du nord du Chili, à la frontière avec la Bolivie et le Pérou, dans le cadre de l'état d'urgence décrété par le gouvernement. De nombreux migrants, notamment des Vénézuéliens qui fuient la pauvreté et le régime en place, ont péri de froid en tentant de traverser des points de passage montagneux, avec des cols culminant à plus de 4.000 mètres d'altitude.

Quelle est la position de l’Église face à ces arrivées de migrants ?

Dans les diocèses d'Arica et d'Iqique, qui se trouvent dans l'extrême nord du pays, là où la pression est la plus forte, des jésuites ont une activité pour les migrants. Ensuite, il y a les vicariats épiscopaux sociaux qui agissent non seulement auprès du gouvernement pour que ces personnes soit acceptées, mais qui essaient aussi de les accueillir et de créer une culture d'accueil qui n'est pas toujours facile. Ils s'occupent de leurs premiers besoins dès leur arrivée et les accompagnent ensuite pour qu'ils ne tombent pas, surtout les plus jeunes, dans de mauvaises mains, car cela arrive souvent. Les pères scalabriniens font également un excellent travail dans ce domaine.

Il y a aussi, malheureusement, une résurgence des cas et des décès dus au coronavirus. Quelle est la situation dans cette nouvelle phase de la pandémie ?

Déjà plus de 85% de la population, y compris les enfants, sont vaccinés avec au moins deux doses. En ce moment, même si c'est l'été, il y a une augmentation du variant Omicron qui, bien qu'il n'ait pas causé beaucoup de décès, a plutôt provoqué de nombreuses contagions. Aujourd'hui, on compte 35 000 nouveaux cas, ce qui est beaucoup pour une population de 17 millions d'habitants, et surtout avec une vaccination étendue. L'Église, en particulier avec les travailleurs de l'Université catholique, l'Université pontificale, a fait un excellent travail dans ce domaine. Nous avons également vécu de très beaux moments, qui nous ont fait prendre conscience de ce que nous vivions. Non seulement la pandémie a provoqué des situations de pauvreté, de douleur, de mort et de souffrance, mais certaines de ces choses étaient déjà là avant et cela nous a permis d'ouvrir les yeux et de dire que cette douleur, cette souffrance, cette pauvreté existaient déjà. La pandémie a rendu la situation plus aiguë.

Dans notre diocèse de Santiago, 33 prêtres se sont portés volontaires pour accompagner les malades de Covid dans les hôpitaux, donner l'onction des malades, maintenir le contact avec leurs familles, car ils étaient isolés. Personne n'a été infecté et ils ont pu accompagner beaucoup d'entre eux lors des derniers adieux au cimetière. Je pense que c'est un premier signe de charité pastorale. Puis les paroisses se sont impliquées, distribuant chaque jour le déjeuner et le dîner à de nombreuses personnes. Ils cuisinaient ce que nous appelons des "pots communs", y compris, mais pas seulement, pour les gens de la rue. Ils ont apporté de la nourriture à de nombreuses familles qui ont vraiment vécu une expérience difficile, en distribuant des boîtes de conserve de maison en maison.

Au Chili, la pastorale est avant tout très sacramentelle, et la pandémie nous a permis de créer une pastorale un peu plus large, celle de la Parole de Dieu. Les rencontres virtuelles, avec la lecture de la Parole de Dieu, les commentaires (de l’Évangile), la réflexion, ont fait naître de nouvelles motivations dans le travail pastoral. Mais il est certain, comme je l'ai dit au début, que l'Église doit faire un grand effort pour reconstruire le tissu de confiance et de crédibilité qu'elle a perdu. Beaucoup d'efforts sont faits pour s'assurer que le problème des abus ne se répète pas


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22 février 2022, 13:04