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Le père Michel Kamanzi,SJ, co-auteur et coéditeur de l'ouvrage collectif "Reinventig Theology in Post-Genocide Rwanda" Le père Michel Kamanzi,SJ, co-auteur et coéditeur de l'ouvrage collectif "Reinventig Theology in Post-Genocide Rwanda" 

Repenser l’évangélisation dans le Rwanda post-génocide

Comment parler de Dieu dans une société post-conflit où la mémoire a besoin de guérison et de reconstruction? Comment penser la réconciliation lorsque les fils de Dieu se sont entre-déchirés? Des pistes de réflexion sur ces questions sont proposées dans l’ouvrage collectif «Reinventing Theology in Post-Genocide Rwanda» paru en mai 2023. Dans une interview accordée à Vatican News, le père jésuite Michel Kamanzi, co-auteur et co-éditeur, fait une présentation de ce livre.

Stanislas Kambashi, SJ – Cité du Vatican

Ce livre, a déclaré le père Michel Kamanzi, est le fruit d’un colloque tenu à Kigali en 2019, à l’occasion de la commémoration des 25 ans du génocide perpétré contre les Tutsis au Rwanda. Cet évènement tragique, qui a marqué l’histoire du pays de la région des Grands-Lacs, en Afrique centrale, a fait plus d'un million de morts, selon des estimations. Pour faire mémoire des nombreuses personnes disparues et particulièrement de trois jésuites – les pères Innocent Rutagambwa, Chrysologue Mahame et Patrick Gahizi – les jésuites rwandais avaient organisé un temps de réflexion et d’examen de conscience sur les conséquences de ce drame. Il s’agissait aussi de voir ce que l’Église a déjà fait dans le processus de réconciliation. Les interventions et échanges ont été recueillis dans cet ouvrage collectif Reinventing Theology in Post-Genocide Rwanda - «Réinventer la Théologie dans le Rwanda post-Génocide», paru en mai 2023.


Repenser l’évangélisation dans le Rwanda post-génocide

Ces assises avaient rassemblé plusieurs chercheurs, particulièrement des théologiens africains et occidentaux. Étaient également présents trois évêques rwandais, le cardinal Kambanda, archevêque de Kigali; Mgr Philippe Rukamba, évêque de Butare et Mgr Smaragde Mbonyitege, évêque émérite de Kabgayi. Il s’agissait pour les participants de réfléchir sur une nouvelle forme d’évangélisation à proposer, une nouvelle manière d’être Église après le génocide qui a touché aussi bien l’église que la société. «Peut-on continuer à célébrer la messe comme on la célébrait avant le génocide?», avait demandé une chrétienne à Mgr Mbonyitege. Pour les éditeurs de ce livre, cette question prouve que «quelque chose avait failli». Il y avait donc quelque chose à «réinventer», ou à revoir dans cette société à majorité chrétienne. Les réflexions sont orientées sur la manière dont on peut repenser l’Église famille de Dieu dans le Rwanda post-génocide et sur quelle théologie proposer dans ce contexte.

Écouter et accueillir l’autre, pour parvenir à la réconciliation

Le génocide de 1994 a laissé des «conséquences profondes» aussi bien au Rwanda que dans la région des Grands-lacs. Devant une telle situation, il fallait entamer un processus de réconciliation. Dans cet ouvrage de 434 pages, le mot réconciliation est parfois mis aux côtés de la formulation «post génocide au Rwanda». Il y aussi un chapitre du cardinal Kambanda, sur «le rôle de l’Église dans le processus de réconciliation au Rwanda». L’archevêque de Kigali partage les chemins que l’Église a parcourus et ce qu’est sa contribution. Parmi les pistes exploitées, l’Église et la société rwandaises ont notamment fait recours aux juridictions Gacaca, une forme de justice populaire, pour faire la lumière sur ce qui s’était passé. Cette méthode, tout comme le synode organisé, visaient à créer un espace où l’on pouvait prendre la parole et écouter les souffrances de l’autre, afin d’avancer sur le chemin de compassion et de pardon. C’est le même cheminement que proposent les auteurs, afin d’améliorer le vivre ensemble au Rwanda.


Reconstruire la mémoire dans un pays où le génocide a laissé des traces très profondes

29 ans après le génocide, beaucoup de rwandais gardent encore de vifs souvenirs de cette tragédie. Face à un passé si dramatique, beaucoup de personnes relèvent l’importance de la reconstruction de la mémoire. Chaque année, le mois d’avril est dédié à la mémoire de ceux qui sont morts au cours de ces événements malheureux, pour «que nous prenions davantage conscience combien ce qui est arrivé pouvait être évité, comment ce qui est arrivé était grave de conséquences», a déclaré le père Kamanzi. Se souvenir des personnes nommées et de celles qui ne sont pas nommées est une manière de les honorer, a poursuivi le prêtre jésuite. Au Rwanda, plusieurs mémoriaux ont été construits en leur honneur. Le bibliste jésuite espère que ces monuments deviennent des lieux de mémoire pour tous, y compris ceux qui ont protégé leurs compatriotes, au nom de leur foi. Cela aiderait la société à se reconstruire, espère-t-il.

Toute guerre est un échec et conduit à des conséquences désastreuses

Pour le père Kamanzi, il y a plusieurs défis à relever au Rwanda, 29 ans après le génocide. Comme Église, le plus grand est de «construire une culture de la paix et de rétablir la confiance entre les personnes», le lien social ayant été brisé avec ce désastre. Le travail de reconstruction ne regarde pas seulement le développement du pays au niveau des infrastructures, mais concerne aussi les «cœurs, les liens sociaux, la confiance, la cohabitation» communautaire et ecclésiale. Le jésuite rwandais espère que ce livre puisse contribuer à cette reconstruction, à travers les différentes propositions des auteurs.

Pour la région des Grands-lacs, pour d’autres zones en conflits en Afrique et dans le monde, cet ouvrage pourra aider à prendre conscience des conséquences des guerres. «Toute guerre est finalement un échec quelque part et conduit à des conséquences désastreuses» rappelle-t-il. Le livre propose des pistes qui peuvent aider non seulement à prévenir des conflits, mais aussi à mettre les sociétés qui en ont été marquées à se reconstruire et à se réconcilier.


Respecter la sacralité de la personne humaine

Dans cet ouvrage collectif, le bibliste rwandais a signé un article intitulé «“The Temple of His Body” (Jn 2:21): Rediscovering Churches and Human Beings as Sacred Spaces». Pendant le génocide, beaucoup de chrétiens se sont réfugiés dans les églises en espérant y trouver des lieux sûrs et de paix. A l’époque, les églises étaient très respectées, étant des lieux sacrés. Mais c’est aussi en ces endroits que beaucoup ont été tués. Le non-respect de la sacralité a beaucoup marqué ce futur professeur de Bible. Au-delà de la sacralité de l’espace, le père Kamanzi a voulu penser l’être humain comme un espace sacré. Spécialiste de saint Jean, il part de cet épisode où, dans le quatrième évangile, Jésus répond aux juifs qu’il reconstruirait le Temple en trois jours, en parlant «du temple de son corps» (Jn 2,12-22). Saint Paul affirme par ailleurs que nous sommes le temple de l’Esprit Saint (1Co 3,16; 6,19). Redécouvrir en chaque être humain cet «espace sacré» peut aider à retrouver le respect et la dignité dont revêt toute personne. Les églises, notamment celles où on a tué, peuvent aussi être ces lieux de mémorial, d’évangélisation et d’éducation.

Le père Kamanzi espère que cet ouvrage soit «une petite contribution» dans l’Église, mais aussi pour la résolution des conflits dans la région des Grands-lacs. Il souligne que ce livre contient toute une partie éthique, «l’éthique de la responsabilité, de la mémoire», ainsi que des témoignages des personnes et leaders de la sous-région. Avec cette publication, les auteurs et éditeurs espèrent «pousser des personnes à devenir vraiment responsables, à prendre aussi des positions pour aider notre région des Grands Lacs meurtris à se reconstruire, à se réinventer et surtout à vivre ensemble de nouveau la fraternité».

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27 juin 2023, 17:40