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Colloque historique sur le premier Concile de l'Église catholique en Chine, à l'Université pontificale urbanienne de Rome, le 21 mai 2024. Colloque historique sur le premier Concile de l'Église catholique en Chine, à l'Université pontificale urbanienne de Rome, le 21 mai 2024.  

Benoît Vermander: avec la Chine, l’histoire peut servir à faire renaître des espérances

Un siècle après le Concile pour la Chine, une conférence internationale a braqué les projecteurs à Rome sur cette expérience synodale afin d'en saisir la portée et la pertinence pour le cheminement de l'Église catholique en Chine. Décryptage du jésuite et sinologue Benoît Vermander SJ.

Delphine Allaire – Cité du Vatican

Les catholiques chinois peuvent contribuer à la paix. Le Souverain pontife argentin, qui s’est adressé à de multiples reprises aux fidèles de l’Empire du milieu, de son Message de 2018 à la Mongolie plus récente, les a une nouvelle fois encouragés dans leur foi, mardi 21 mai, à l’occasion d’un colloque historique à l’Université pontificale Urbanienne de Rome pour les cent ans du Concilium Sinense de Shanghai en 1924.

Entretien avec le jésuite et sinologue Benoît Vermander

Shanghai 1924. Quelle a été la portée ecclésiale en Chine de ce premier et unique concile de l’Église catholique en Chine?

Elle a été assez rapide. L'une des décisions prises était d'accélérer la sinisation du clergé et notamment d'amener à nommer des évêques chinois, deux ans plus tard, le Pape nommait déjà des évêques chinois. Mgr Celso Costantini (1876-1958), premier délégué apostolique en Chine, à l'initiative de ce concile, a tout fait pour que les décisions prises à Shanghai en 1924 soient appliquées le plus rapidement possible.

La Chine est un immense pays aux réalités diverses et multiples. Quelle a été alors l'ampleur de la valeur synodale de ce concile?

Il a réuni une grande assemblée à Shanghai avec des représentants de toute l'Église de Chine, aussi bien des prêtres chinois, des laïcs importants que des missionnaires. Les photos devant la porte de la cathédrale de Shanghai sont d’ailleurs impressionnantes. Les pères conciliaires se sont rendus en pèlerinage à Sheshan, et c'est à ce moment-là que la Chine est consacrée à Marie. C'est également l'officialisation du grand pèlerinage marial de Sheshan.

 

Ainsi par certains côtés c'est un concile de dévotion, mais c'est surtout un concile qui veut accélérer la sinisation de la Chine, d'abord dans sa hiérarchie, c'est l'élément principal, mais également dans la manière dont les décisions sont prises dans l'art, dans la liturgie, etc. Après 1924, on voit un effort très important pour siniser les arts, en créant par exemple des départements d'art chinois dans la faculté catholique de Fu-Jen, en accélérant les traductions. Mais surtout, pour que les responsabilités soient transférées aux prêtres chinois et que des évêques chinois soient ordonnés le plus rapidement possible. Cela ne va pas sans crispations, car beaucoup de sociétés missionnaires appréhendaient ce tournant. Elles n'étaient pas prêtes à abandonner les responsabilités historiques qui avaient été les leurs. Le Vatican, en alliance avec une minorité de ces missionnaires et avec le clergé chinois, va en être l'accélérateur.

Comment la voie de l'inculturation et de la sinisation a-t-elle ensuite évolué au fil de ce siècle qui nous sépare du premier concile?

L'effet du concile de Shanghai a été fort, mais court. 25 ans après, d'autres problèmes se sont posés; et les problèmes d’après 1949 ne sont pas ceux de 1924. Peu à peu après 1980, la question de l’indigénisation de l’Église de Chine va de nouveau se poser.

Un double mouvement apparaît: d'un côté, il faut que l'Église de Chine intègre les changements de l'Église universelle et notamment le Concile Vatican II, qu'elle opère son universalisation; de l’autre, il faut qu'elle devienne plus appelante pour l'ensemble des Chinois, c'est-à-dire qu'elle montre son enracinement dans la tradition chinoise.

Cette dynamique est toujours à l'œuvre aujourd'hui, mais pour le moment, le volet indigénisation, celui de l’expression dans la société chinoise même de l'enracinement chinois de l'Église catholique, est la question la plus discutée.

Ce processus enclenché d'inculturation marque-t-il le début d'une meilleure connaissance mutuelle et réciproque?

Certainement, car il n'y a pas de contradiction de fond entre l'universel et le particulier. C’est quand l’on est vraiment soi-même que les gens peuvent vous apprécier tel que vous êtes. Cela dit, si ce processus est réel, il a toujours été lent et difficile.

Jusqu'à nos jours, on ne peut pas dire que l'Église universelle connaisse bien l'Église de Chine, qui reste difficile à connaître. Dans le même temps, l'Église de Chine ne vit pas encore tout à fait au pouls de l'Église universelle. Elle fait tout ce qu'elle peut, mais certaines barrières et un long passé rendent parfois les communications difficiles.

En 1924, dans le contexte ecclésial et politique de l'époque, quelle était la nature des relations entre Rome et Pékin?

Les relations entre le gouvernement chinois et le Vatican étaient bonnes dans l'ensemble. En tout cas, elles n'étaient pas marquées par le conflit, ne serait-ce que parce que de grands hommes politiques chinois étaient catholiques. Quelques années plus tard, elles seront plus difficiles car un mouvement anti-chrétien se déclenchera dans une bonne partie des élites politiques chinoises, y compris du Kuomintang. Mais vers 1924, nous sommes dans une situation où les relations dans l'ensemble sont bonnes et où le Vatican se montre extrêmement actif dans tout l'Extrême-Orient.

Le Vatican insiste aujourd'hui sur le devoir des catholiques chinois à être de bons citoyens autant que de bons croyants. Comment cela peut-il être perçu en Chine?

Pour l'immense majorité des catholiques chinois, la question ne se pose même pas. Ils sont de bons citoyens, tout simplement. Ils savent très bien qu'ils ont une double fidélité à observer et cette double fidélité, dans l'ensemble, est extrêmement bien observée. Les catholiques chinois ont appris à faire la différence entre le politique et le religieux. Ils doivent tenir cette différence ferme dans leur pays, donc ils sont des bons citoyens. Comme l'a dit l'évêque de Shanghai à la conférence, cela ne touche pas à l'essence et au contenu de la foi. C’est très clair. Ils sont des catholiques qui embrassent la foi de l'Église universelle et qui, en même temps, comme les chrétiens du monde entier, ont à cœur le développement et le bien-être de leur pays.

Ce genre de colloque, comme celui promu par le dicastère pour l'Évangélisation à l'Urbanienne mardi, est peu fréquent. Ils ont une vocation scientifique et non commémorative. En quoi sont-ils précieux et utiles?

Ils sont précieux s'ils aident des personnes différentes à tirer des leçons similaires de l'histoire. L'histoire a encore beaucoup à nous apprendre. Et en Chine même, le souvenir du Concile de 1924 s’est totalement estompé. Cela se comprend, car tant de choses se sont passées depuis. Si ces souvenirs d'événements qui ont à voir avec les débats d'aujourd'hui et qui ont trouvé à l’époque des éléments positifs dans lequel l'Esprit a soufflé, peuvent être rappelés à différents niveaux et vers des interlocuteurs différents, on peut dire que l'histoire joue son rôle, qui n'est pas seulement de nous avertir des désastres qui peuvent se produire, mais également des espérances qui peuvent renaître.

Ce vendredi 24 mai, fête de Notre Dame de Sheshan, marque la journée mondiale de prière pour l'Église catholique en Chine, instaurée par Benoît XVI en 2007. Quelle est l'ampleur de la dévotion mariale en Chine?

Notre Dame de Sheshan est la dévotion mariale principale en Chine, fortement liée au Concile de 1924. La dévotion mariale l’a précédée, car elle commence dans les années 1870, mais elle est officielle et devient nationale, et pas seulement shanghaienne, à partir de 1924. C'est en commémoration du Concile de 1924 aussi que la nouvelle basilique de Sheshan est érigée dans sa forme actuelle. 1924 n'est pas simplement un congrès de droit canon d’ecclésiologie, mais un congrès qui réaffirme la dévotion spéciale des catholiques chinois à Marie. Cette dévotion est toujours active et présente.

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22 mai 2024, 18:00