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Le Pape recevant les représentants du corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, en salle des Bénédictions du Palais apostolique, le 9 janvier 2023. Le Pape recevant les représentants du corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, en salle des Bénédictions du Palais apostolique, le 9 janvier 2023.  (Vatican Media) Les dossiers de Radio Vatican

Papauté et diplomatie, grands principes et droits concrets

Traditionnels vœux au corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège. Devant 180 diplomates réunis au Palais apostolique, le Pape argentin fixe ce lundi 8 janvier les priorités internationales du Vatican pour l’année 2024, concernant les différents théâtres de guerre ou enjeux globaux. Retour sur les particularités historiques de la démarche diplomatique du Siège apostolique, faisant de l’Église catholique, universelle par essence, la seule confession à avoir accès aux relations diplomatiques.

Entretien réalisé par Delphine Allaire – Cité du Vatican

Seule institution religieuse à disposer d'un statut de droit international, le Saint-Siège jouit d’un réseau diplomatique couvrant la quasi-totalité de la planète. 184 États entretiennent aujourd’hui des relations diplomatiques avec le Vatican. Le premier en date fut le Royaume de France au XVe siècle, le dernier, le sultanat d’Oman en 2023.

L’intérêt manifeste des États à s’y rendre présent témoigne de la puissance d’influence du Pape et du réseau d’informations unique parvenant au Vatican par les Églises et communautés locales des quatre coins du monde. Le Saint-Siège ne défend d’intérêt ni temporel ni matériel, ses objectifs étant d’ordre moraux ou visant à protéger les communautés catholiques dans le monde. Comment l’originalité de cette diplomatie pontificale a-t-elle évolué au gré de l’histoire moderne et contemporaine? Rencontré aux Missions étrangères de Paris à la faveur d’un colloque portant sur la diplomatie pontificale, le professeur émérite Claude Prudhomme, historien de la stratégie missionnaire du Saint-Siège, en esquisse une physionomie.

Entretien avec Claude Prudhomme, historien

Comment définir la diplomatie pontificale, quelles sont ses caractéristiques traditionnelles par rapport à une diplomatie d’État classique?

Depuis le XIXᵉ siècle, dès lors que le Pape n'avait plus d'État temporel, il a fallu qu'il redéfinisse sa fonction. Le premier ayant cherché à se poser de manière internationale a très vite compris que c'est en tant que référence spirituelle, en tant qu’homme de paix qu'il pouvait le faire. Léon XIII (Pape de 1878 à 1903) avait commencé en se proposant comme conciliateur dans des conflits armés, mais en se tenant au-dessus. La diplomatie pontificale se nourrit d'abord de cette nouvelle manière pour la papauté de trouver sa place dans le monde d'aujourd'hui. Pendant longtemps, ce fut limité car le Pape parlait sans support étatique lui permettant d'être présent dans les institutions. Sa voix portait, mais dès qu'il y avait une conférence internationale, il ne pouvait avoir de représentant. Cela commence à être possible le jour où l’État de la Cité du Vatican est créé en 1929, permettant au Saint-Siège d'être à la fois une entité religieuse et d'avoir un support étatique.

 

Quels ont été les traits permanents de la diplomatie pontificale à l'époque moderne et contemporaine?

La diplomatie vaticane a deux volets. Le premier rappelle les principes. Dans leur formation, on apprend aux diplomates qu'ils sont d'abord là pour rappeler les valeurs religieuses auxquelles un catholique doit pouvoir se référer. Le deuxième volet concerne l’adaptation de ces principes à des problèmes concrets. Les Églises d'hier comme d'aujourd'hui ont besoin de liberté religieuse et de garanties concrètes. Les diplomates sont à la manœuvre pour obtenir des droits reconnus par la loi et veiller à leur respect.

Cela a parfois posé problème et pas seulement dans les régimes communistes: pourquoi permettre à l'argent venant de l'étranger de venir soutenir une Église qui donc est une Église étrangère? Pour rompre cela, et c'est aussi le rôle des diplomates, il faut montrer que le but de ces institutions locales, sociales généralement ou scolaires, qui sont ouvertes, n'est pas pour une puissance quelconque, mais pour le service de la société. On retrouve bien ici François. Parfois, c'est impossible. Le Pape Benoît XV (1914-1922), par exemple, est le premier à en avoir fait les frais car il est, à l’époque, le seul homme à stature internationale à dire que la Première Guerre mondiale est un massacre entre frères, et qu’il faut arrêter tout de suite. Il a été accusé par les deux camps d'être un traître parce qu'il ne voulait pas les soutenir. Si vous ne soutenez pas un camp, vous devenez l'adversaire de l'autre, mais finalement, des deux. En témoigne notre plus brûlante actualité. Il y a des moments où il est impossible de faire accepter qu'on ne prenne pas parti. Si vous posez un geste ou dites une parole qui dans votre esprit va dans le sens d'une tentative de pacification des esprits, automatiquement les gens qui eux veulent que la paix n'arrive pas vous le reprocheront.

Cela traverse toute époque et a conduit l'Église à être très réticente à certaines formes de nationalisme, surtout quand elles avaient pour conséquence des formes de domination. Au fil des années, la diplomatie pontificale s'est davantage tournée vers le soutien et la diffusion des grands principes, et sur le plan concret, encore une fois, permettre à l'Église, surtout dans les pays où elle est fragile et minoritaire, de pouvoir vivre et survivre.

Comment la diplomatie vaticane s'est-elle progressivement insérée dans le concert des nations, le multilatéralisme et quelles relations particulières noue-t-elle avec l'ONU?

Une des grandes réussites de la très atypique diplomatie du Saint-Siège a été de réussir à faire de sa fragilité, l'absence d'État, une force. On ne peut l’accuser de poursuivre des objectifs politiques, économiques, ou militaires. Quand l’ONU fait appel à Paul VI pour qu'il intervienne lors de l'Assemblée générale, l’organisation y voit d'abord une force, soit philosophique pour les uns, soit spirituelle pour les autres, un discours qui, justement, n'est pas le discours tenu habituellement par les chefs d'État.

Comme on dit tout le temps à Rome, pour définir ce qu'est le Saint-Siège, il est sui generis du latin pour dire qu’il n'appartient à aucune catégorie. Il est propre. Il peut ne pas dire ce que les autres disent tout en étant assis à la table des États, ce qu'aucune autre religion n'a. Il n’y a aucun représentant des bouddhistes, des musulmans ou des protestants, qui peut intervenir en se faisant entendre bien au-delà de sa propre confession, capable de tenir un discours qui soit de cet ordre.

Pour les États, quel est l'enjeu principal d'une accréditation diplomatique près le Saint-Siège?

L'enjeu essentiel quand on est à Rome, et cela depuis le XIXᵉ siècle, tous les ambassadeurs, notamment français, près le Saint-Siège, le disent: c'est à Rome, auprès du Saint-Siège qu'on trouve le plus d'informations sur ce qui se passe dans le monde.

On est face à des réseaux d'information et d'influence potentielle dont ils ne peuvent pas se priver. C'est d'abord un lieu où il y a de l'information. Les archives de la Secrétairerie d'État, celles des missions dites de la Propagande Fide n’ont pas d'équivalent dans le monde. C'est le seul lieu où arrivent de manière indéterminée, indistincte, de l'information et des problèmes du monde entier.

Vous êtes décentrés, vous ne voyez plus le monde à partir de la France, de l'Angleterre, de l'Allemagne ou des États-Unis, vous le voyez à partir de Rome, lieu hors sol si j’ose dire car cela vient de partout, avec des discours et des demandes complètement contradictoires. Et il faut faire avec tout ça. Les ambassadeurs en ont vivement conscience. La politique de la chaise vide est très dangereuse près du siège de Pierre.

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07 janvier 2024, 14:00