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Présentation de Laudate Deum dans les jardins du Vatican, le 5 octobre 2023. Présentation de Laudate Deum dans les jardins du Vatican, le 5 octobre 2023.  

Laudate Deum, la voix des scientifiques et des activistes se joint au cri du Pape

Le monde de la science, de la culture, les associations catholiques et non engagées sur les questions environnementales au niveau international se mobilisent pour protéger la maison commune et soutenir l'exhortation apostolique du Pape François. Pour le prix Nobel Giorgio Parisi, un transfert massif de ressources des pays les plus avancés vers les pays pauvres est nécessaire pour créer les conditions d'un environnement durable.

Antonella Palermo - Cité du Vatican

Dans les jardins du Vatican, espace vert préservé au cœur de Rome, l’exhortation apostolique Laudate Deum a été présentée à la presse jeudi 5 octobre. Des universitaires, chercheurs, activistes, représentants de la société civile et du monde de la culture, se sont succédés pour unanimement approuver un document qui, intégrant l'encyclique Laudato si' de 2015, incite les institutions et les nations à s'engager d'urgence à faire face aux conséquences du changement climatique mondial.

Le Nobel Giorgio Parisi: les guerres rendent difficile la solidarité de l’humanité

L'exhortation apostolique est écrite de manière simple et claire. Ainsi elle s'adresse à tous, et c'est un mérite, a déclaré le prix Nobel de physique, le professeur Giorgio Parisi, qui a pris la parole à l'ouverture de la présentation. Convaincu, comme le Souverain pontife, que les plus faibles souffrent bien plus que les autres des effets du changement climatique, l'universitaire se réjouit de la manière dont le Pape souligne l'urgence d'un engagement mondial et d'une démarche équitable et solidaire: «Bloquer le phénomène avec succès demande un effort monstrueux de la part de tous», affirme Giorgio Parisi, insistant ensuite sur l'importance d'un «transfert massif de ressources des pays les plus avancés vers les pays les moins riches».

À cet égard, il cite l'exemple de l'Afrique: «On ne peut pas attendre des populations africaines qu'elles aient les moyens de construire des panneaux photovoltaïques. Nous avons besoin d'un plan mondial pour pouvoir apporter des sources d'énergie renouvelables dans ces régions». En outre, il réitère la nécessité de relever le niveau d'éducation, en particulier celui des femmes, sous ces latitudes. Cela permet de faire prendre conscience que la protection de l'environnement est un enjeu collectif indispensable. Le «point de rupture» vers lequel, selon le Pape, nous nous approchons inexorablement, est identifié par le professeur par le «conflit armé avec la Russie et le conflit économique avec la Chine». Le concept mis en avant par le prix Nobel est que «la solidarité de l’humanité est difficile s'il y a des guerres».

Giorgio Parisi
Giorgio Parisi

«La Cop28 à Dubaï est extrêmement importante. Le Pape a insisté sur la nécessité de conclure des accords vérifiables et vérifiés. L'espoir ne meurt jamais, bien sûr, je vois une situation extrêmement difficile», déclare encore le physicien. «Nous avons une guerre avec la Russie et une guerre commerciale avec la Chine qui ne laissent rien présager de bon en termes de solidarité internationale». Il ajoute qu'il est également préoccupé par la technocratie: «Cela signifie que l'on pense qu'il s'agit uniquement d'un problème technique de choix, alors qu'il s'agit d'un problème politique. Les techniciens sont au service de la politique, ils ne peuvent pas la remplacer».

Carlo Petrini: une gouvernance internationale inefficace

Vandana Shiva, scientifique et militante écologiste, est connectée à distance et se joint au chœur des voix qui soutiennent le document du Pape. Elle espère notamment qu'un tiers des émissions pourra être réabsorbé et que nous pourrons mettre un terme à l'extinction de la faune. Ses remerciements au Pape François pour cette exhortation sont explicites: «Nous devons travailler pour préserver la terre. Les solutions sont sous nos yeux. Soigner le sol est la meilleure économie». L’entrepreneur et gastronome Carlo Petrini salue l'accent mis par le texte sur le caractère dramatique du moment historique que nous traversons. Il ajoute qu'au cours des huit années qui se sont écoulées depuis Laudato si', «la sensibilité politique et la gouvernance internationales se sont révélées totalement inefficaces et ont créé les conditions pour qu'une partie significative du système environnemental soit maintenant irréversiblement compromise. Au point que de nombreuses activités vertueuses que le Pape François appelle de ses vœux et qui peuvent être mises en œuvre auront pour effet de contenir la catastrophe annoncée et non de la résoudre». Carlo Petrini fait sienne la condamnation du climatoscepticisme qui «crée une barrière face au changement». La position du Pape, commente le créateur du concept “Slow Food”, est claire, et appelle à une action décisive. L'autre élément qui, selon lui, est significatif dans le texte de François, est qu'il révèle combien le Souverain pontife est pleinement conscient de l'entrée en scène d'un nouveau sujet: les associations et les mouvements, y compris radicaux, et la société civile. Sans ces énergies «d'en bas», conclut-il, «nous ne réussirons pas. Personne ne peut rester indifférent, chacun doit devenir un sujet actif».

Jonathan Safran Foer: avons-nous la volonté de croire la science?

L’intervention de l'écrivain Jonathan Safran Foer souligne «la sagesse et le courage» du Pape. Il explique que le cerveau humain est malheureusement doué pour calculer la trajectoire d'un ouragan, alors qu'il a du mal à être empathique. C'est précisément la question des climatosceptiques qu'il souhaite approfondir: même s'il existe des signes évidents, il se peut parfois qu’on ne se sente pas concernés. «Avons-nous la volonté de croire ce que les scientifiques nous disent?», demande Safran Foer, et «Sommes-nous prêts à faire de petits sacrifices pour l'avenir?» Il va jusqu'à affirmer que «même lorsque nous mettons une inscription sur un T-shirt ou que nous participons à une manifestation, nous pouvons rester dans une forme d’abstraction». «Nous avons besoin d'une révolution également dans le domaine politique», dit-il, «et nous avons besoin d'espoir». Et, l’écrivain juif de citer saint François: «Lorsque nous serons morts, nous n'emporterons rien avec nous, seulement ce que nous aurons donné».

Jonhatan Safran Foer
Jonhatan Safran Foer

Les activistes veulent être protégés des climatosceptiques

Les discours des activistes Luisa-Marie Neubauer, animatrice des “Fridays for future” en Allemagne, et Benoit Halgand, co-fondateur des organisations françaises “Pour un Réveil Ecologique” et “Lutte et Contemplation”, sont un coup de fouet à l'engagement de chacun. Déçue par ce qu'elle appelle aujourd'hui «un conte de fées» (entendu dès son plus jeune âge dans sa famille et dans sa ville d'origine, Hambourg, selon lequel la croissance de l'économie profiterait à tous), elle raconte l'expérience d'un mouvement qui a peu à peu agrégé des milliers de personnes. Elle évoque l'histoire d'un camarade qui a été arrêté la semaine dernière au Vietnam pour avoir tenté de sensibiliser à la nécessité d'engager son pays sur la voie de la durabilité. Elle s'inquiète de ce qu'elle perçoit comme «une crise de confiance en nous». Nous avons besoin que l'Église parle. Luisa-Marie plaide pour une protection à tout prix et s'adresse aux chrétiens: «Ce message du Pape est un appel à l'Église pour qu'elle devienne une véritable alliée, elle doit persévérer dans son désinvestissement des combustibles fossiles». De son côté, le jeune catholique français développe le caractère spirituel de la cause, comme le fait le Pape dans la dernière partie de l'exhortation. Benoit Halgand évoque également ses efforts pour contrer les projets d'exploitation du groupe pétrolier français Total en Tanzanie et dans d'autres régions d'Afrique, qui «trompent les populations locales». Il met en garde contre l'idolâtrie du marché qui «nous éloigne de Dieu». Il affirme que «le mal que nous combattons n'est pas en dehors de nous, en dehors de nos Églises, il est en nous». Il invite à nous faire une pause, à nourrir la relation avec Dieu. Proclamer et vivre l'Évangile, observe-t-il, «exige aujourd'hui une réponse incarnée, ancrée dans le Christ, aux côtés des gens, de manière communautaire, et avec joie».

Ali, de Libye: le cyclone Daniel a détruit Derna

Le témoignage de Jubran Ali Mohammed Ali, jeune immigré libyen, suscite des applaudissements. Âgé de 28 ans, il est arrivé en Italie en 2020. À Tripoli, il étudiait l'économie, mais lorsque la guerre a éclaté en 2011, il a arrêté ses études et a commencé à travailler comme maçon. En Italie, il poursuit ses études de médiateur culturel. Il parle du cyclone Daniel qui a détruit la ville de Derna. Cela s'est produit non seulement à cause du changement climatique, «mais aussi parce que des maisons ont été construites sous le barrage et qu'il n'y a jamais eu de contrôle ou d'entretien», dit-il. Il remercie le Pape pour l'affection exprimée à l'égard des migrants et dit son souhait: «J'espère que mon pays changera parce que je sais que de nombreuses personnes de l'ouest libyen, même des membres de ma famille, sont allées aider les gens de l'est et que le pays s'est ainsi uni, laissant derrière lui les divisions et les souffrances du passé. J'espère également que tout le monde apprendra à respecter la nature et à défendre notre maison commune, la Terre. J'espère que mon pays changera. Alors le pays sera uni, laissant derrière lui les chagrins du passé».

Jubran Ali Mohammed Ali
Jubran Ali Mohammed Ali

Qui paiera pour la beauté perdue?

Alessandra Sarmentino, du projet Policoro de l'archidiocèse de Palerme, animatrice du mouvement Laudato si' et associée de l’Action catholique italienne, nous emmène en Sicile, où la négligence, l'inertie et la malveillance ont porté un coup dur, l'été dernier, au paysage et aux merveilles architecturales de la région envahie par les flammes.

Elle évoque avec amertume les dégâts subis par toute une région «enfermée en elle-même», et dénonce que le problème le plus triste est généré par les habitudes. «Nous nous sommes habitués au scénario de la mort et nous ne nous inquiétons que lorsqu'elle est à notre porte». Elle appelle également à une citoyenneté active, et conclut par une double question: «faisons-nous vraiment tout ce qui est possible? Qui paiera pour la beauté perdue?» Le tour d'horizon des témoignages s'est terminé par une intervention vidéo du photographe Yann Arthus-Bertrand. «Je suis un simple témoin de la beauté du monde, je ne la fabrique pas, elle est devant moi», a-t-il déclaré, ajoutant que la vie devait être protégée simplement parce qu'elle est belle. «Une beauté qui transcende la réalité», dit-il. Il rappelle quelques données, comme le fait, par exemple, que 80 % des insectes n'existent plus dans les campagnes européennes, «un phénomène que l'on ne remarque pas mais qui est à la base de la vie». Il rappelle les 27 millions de personnes contraintes de quitter leur terre à cause du changement climatique. La plupart du temps, les migrants font preuve d'un grand courage, affirme-t-il, «ils ont des choses à dire et à nous apprendre, ils ne peuvent pas être le bouc émissaire». Yann Arthus-Bertrand annonce le film "Migrants" qu'il est en train de réaliser et dont le message est optimiste: «nous avons vraiment le pouvoir d'agir». Il conclut sur la conversion écologique ne viendra pas du monde économique ou politique, «la conversion sera spirituelle», selon lui.

Vidéo de la conférence sur Laudate Deum

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05 octobre 2023, 17:04