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Le préfet du dicastère pour les Églises orientales, Mgr Claudio Gugerotti, lors de son déplacement en Syrie et en Turquie. Le préfet du dicastère pour les Églises orientales, Mgr Claudio Gugerotti, lors de son déplacement en Syrie et en Turquie. 

Témoignage de Mgr Gugerotti de retour de Syrie et de Turquie

À peine rentré des zones frappées par le tremblement de terre du 6 février, le préfet du dicastère pour les Églises orientales se fait l’écho du «stress émotionnel» des familles sinistrées, de la joie des Syriens d’être visités et il invite, notamment dans le cas syrien, à utiliser la R.O.A.C.O (Riunione Opere Aiuto Chiese Orientali) pour canaliser les aides de manière sûre et efficace.

Antonella Palermo - Cité du Vatican

Mgr Claudio Gugerotti est de retour de son déplacement de cinq jours en Syrie et en Turquie ; un voyage organisé en accord avec les nonciatures des deux pays touchés par le tremblement de terre du 6 février qui a fait plus de 46 000 morts. Le préfet du dicastère pour les Églises orientales, s’est rendu à Alep, samedi 18 et dimanche 19 février, où il a rencontré de nombreuses familles qui ont trouvé un hébergement temporaire dans des espaces gérés par les communautés religieuses, tant chrétiennes que musulmanes, ou dans des bâtiments publics comme une école. Plusieurs moments particulièrement intenses ont été vécus avec des mères, des personnes handicapées, des personnes âgées seules. Outre la réalité d'Alep - où une commission d'urgence impliquant toutes les confessions chrétiennes de la ville a été activée - il a été possible de prendre connaissance des réalités de la côte, de Lattaquié en particulier, ainsi que de la province d'Idlib. En accord avec la nonciature apostolique de Damas, dont l'activité est infatigable et essentielle pour une action concertée, un soutien sera apporté à la Commission épiscopale pour le service de la Charité, en lui adjoignant d'autres collaborateurs qualifiés.

Excellence, quel était votre sentiment au retour de votre visite en Turquie et en Syrie, pays touchés par le tremblement de terre ?

Le sentiment que j'ai eu est que nous sommes encore au milieu du drame, car il n'est pas du tout certain que les secousses soient terminées. Les gens ont toujours été habitués aux difficultés, ils ont tendance à quitter leur maison parce qu'il le faut, sinon ils risqueraient leur vie. Puis, ils reviennent mais doivent fuir immédiatement dès qu'une autre forte secousse arrive. C'est ce type de stress émotionnel qui est très frappant.

En Turquie, la situation est plus délimitée. On aura sans doute peur quand on saura combien il y a vraiment de morts. Parce qu'on a le nombre de morts retrouvés, mais sous ces bâtiments absolument bancals, avec du béton grossièrement fait, il y a des dizaines de milliers de cadavres. La Turquie a l'aide internationale, elle la centralise à travers une institution gouvernementale, ce qui rend l'intervention plus coordonnée d'une part et plus difficile à gérer d'autre part.

La situation en Syrie est différente. C'est un pays détruit. Douze ans de guerre, et surtout les résultats de certains aspects des sanctions, ont rendu la population misérable. J'étais en Syrie il y a 25 ans, je ne la reconnais pas, c'est le tiers monde. Les salaires sont presque dérisoires, il n'y a pas de travail, l'émigration est énorme, les villes sont détruites par les bombardements ; je ne vois pas la différence entre un bombardement et une destruction due à un tremblement de terre. Les gens se sont desséchés, ils n'ont plus d'espoir. Il est utile d'avoir un peu de fatalisme oriental qui consiste à dire «c'est bon, c'est arrivé, espérons en Dieu»: les musulmans le disent, les chrétiens le disent avec la même formule en arabe. La situation actuelle de guerre et de sanctions fait qu'il est très difficile de les aider. Il faut beaucoup de temps pour obtenir des visas, la transmission d'argent est impossible, puis il y a des zones qui sont sous différents contrôles. Et il y a des groupes qui ne transmettent rien, sauf à ceux qui décident. Je dois dire que beaucoup de nations européennes passent sur place par des groupes dissidents, parce qu'ils ont une position plus politique, mais ils ne contrôlent pas où va cet argent et à qui. S'il n'y avait pas quelques franciscains qui, avec des torsions mentales et une imagination infinie que seuls les Orientaux ont, se chargeraient de trouver des canaux alternatifs plus ou moins légaux, les gens n'auraient rien. J'y suis allé pour apporter avant tout la bénédiction, la proximité et l'affection du Saint-Père, mais aussi pour m'assurer que je pourrais les aider concrètement et dire aux organisations ce qu'elles ne doivent pas faire pour envoyer des aides.

Quelles sont les initiatives que vous avez prises ?

Nous avons ici la ROACO, qui regroupe les principales agences humanitaires, notamment celles qui s'occupent davantage du monde oriental. Ils sont très compétents, ils savent comment bouger, demain j'aurai à distance une réunion avec toutes ces organisations pour leur dire ce que les évêques nous ont dit afin que nous puissions emprunter le bon chemin. Le dicastère pour les Églises orientales a également mis à disposition certains outils pour débloquer ce qui pourrait être infranchissable, et cela concerne la Syrie et en partie aussi la Turquie. Nous allons activer un compte, qui existe déjà, donc l'aide sera déposée sur ce compte. Ensuite, nous verrons concrètement comment transférer l’argent là-bas, car les banques refusent. Elles n'ont pas d'interlocuteur sur place, de plus il y a une grève des banques au Liban, donc où vont-elles chercher l'argent ? Il faudrait y aller avec une mallette, mais il y a des limites à la quantité d'argent que l'on peut emporter avec soi, puis c'est très dangereux car les pilleurs sont très puissants. Nous devons, en tant que collaborateurs du Saint-Père, permettre au plus grand nombre de personnes qui veulent aider ces pays de le faire concrètement et en toute sécurité sans que l'argent ne disparaisse en cours de route. Bien sûr, il est ensuite émouvant de voir comment quelqu'un qui représente le Saint-Père est accueilli par tous avec une telle émotion, une telle consolation... Je suis allé dans une mosquée où l'on accueillait des réfugiés, par exemple.

Comment ont-ils réagi ?

Heureux ! Ils m'ont présenté des nouveau-nés qui étaient nés juste sous le tremblement de terre. Ces mères étaient inquiètes, mais aussi heureuses d'avoir donné la vie à ces enfants dans un moment aussi tragique. Se sentir visité, surtout pour les Syriens, est une chose extraordinaire car qui va en Syrie ? Comment y aller ? Il faut y aller en voiture depuis Beyrouth. Vous ne savez pas sur qui vous tombez, qui tient le poste frontière face à vous... Il y a des armées locales, des armées étrangères, c'est une chose tellement complexe, et nous pensions pouvoir la résoudre en l'isolant. Nous avons en fait détruit une population. Je connaissais bien la Syrie, c'était un joyau. C'était une réalité assez communautaire, avec toutes les difficultés que l'on connaît, il ne faut pas le nier. Lorsque nous travaillons afin de changer la situation politique, quelle situation politique alternative proposons-nous ? Nous devrions y réfléchir parce que l'alternative, c'est le chaos, l'anarchie totale, et surtout, si vous empêchez la livraison du pétrole, ou si vous vous en emparez, ou si vous empêchez d'une manière ou d'une autre le carburant, comment fonctionne une économie ? Vous réalisez un mini-projet pour maintenir les chrétiens en place, par exemple pour leur donner un toit et leur permettre de s'adonner à l'artisanat, mais ensuite, à qui vendent-ils leurs produits ? C'est une société absolument et tragiquement appauvrie, détruite. Et cela ne sert à personne.

Comment trouver une solution politique stimulante ?

Je ne peux pas donner de recettes, mais j'invite tous ceux qui sont impliqués ou qui ont été impliqués dans cette affaire à envisager des objectifs qui ne tiennent pas seulement compte du résultat politique, mais du bien concret des personnes qui vivent dans ce pays. Parce que si je change la tête et que le peuple est déjà mort, il devient un dirigeant de rien. Quand on détruit une réalité, on a détruit une réalité. On n'a pas construit la démocratie. Mais j'ai le sentiment que très souvent cette dimension du bien commun, du pauvre, de la personne simple disparaît face à l'objectif spécifique d'obtenir ce que nous voulons politiquement. Alors, non seulement on n'obtient pas ce que l'on veut politiquement, mais entre-temps on exacerbe une situation qui est impossible à supporter. Aujourd'hui, la politique est comme ça partout. Les intérêts stratégiques sont tels que le quiproquo s'applique: "je vous aide si…". Nous voyons les gens de différentes nations passer sur la scène de ces pays et nous ne nous rendons pas compte que la plupart d'entre eux y vont très souvent pour voir ce qu'ils obtiennent en retour. On ne peut pas faire une politique internationale comme ça, parce que nous sommes déjà épuisés, nous qui pensons avoir le monde entre nos mains. Nous n'avons plus d'enfants, nous n'avons plus d'espoir. Nous avons perdu beaucoup des valeurs qui font la cohésion de la société et pourtant nous sommes toujours convaincus d'être les arbitres de la situation internationale. Il s'agit d'une auto-illusion fondamentalement narcissique.

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23 février 2023, 18:21