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Le père Federico Lombardi SJ Le père Federico Lombardi SJ 

Père Lombardi : la clarté, clef de la communication des Papes

Dans un ouvrage publié en Italie, sous le titre "Papi, Vaticano, comunicazione. Esperienze e riflessioni" (Papes, Vatican, communication. Expériences et réflexions), le père Lombardi livre avec finesse et intelligence les clefs d’une bonne communication ecclésiale, axée sur la beauté, la vérité et la clarté dans un monde dominé par la confusion.

Entretien réalisé par Manuella Affejee – Cité du Vatican

Directeur de Radio Vatican, du CTV (Centre télévisé du Vatican), et directeur du Bureau de presse du Saint-Siège, le père jésuite Federico Lombardi a été le visage de la communication vaticane pendant 26 ans. Il est aujourd’hui président de la Fondation Ratzinger.

Entretien avec le père Federico Lombardi Sj.

Vous avez passé 26 ans au service de trois Papes : Jean-Paul II, Benoît XVI et François. Ce sont là trois styles de communication très différents. Comment les définiriez-vous ?

Jean-Paul II était un géant de la communication, notamment verbale -on se rappelle ses grands discours- mais il avait aussi une capacité spontanée à poser des gestes visibles et expressifs de ce qu’il voulait communiquer. Comme il s’agit d’un long pontificat, nous avons aussi une quantité incroyable de documents mais l’on retient surtout sa manière personnelle de communiquer avec les masses. On se rappelle aussi les derniers temps, où le silence, ses difficultés de communiquer étaient son témoignage de foi durant la maladie.

Benoît XVI est un théologien, un homme de culture, de réflexion, un homme de synthèse entre pensée et spiritualité. Il a approfondi la relation entre la foi et la culture d’aujourd’hui ; donc c’est un Pape qu’il faut écouter mais qu’il faut surtout lire. Il n’y a pas le dialogue avec les masses, avec des cris et des expressions éclatantes. C’est un style différent.

François, c’est encore autre chose. Il est un homme de la proximité.

C’est une grande richesse d’avoir été au service de ces grands communicants, qui ont toujours eu des messages importants et positifs à donner à l’humanité. J’ai été honoré d’avoir pu être au service d’une communication de paix, d’amour, de pardon, de justice, de dignité de la personne, d’élévation spirituelle.

Vous avez été directeur de Radio Vatican, du CTV, mais c’est surtout comme directeur du Bureau de presse du Saint-Siège que le monde vous connait, et c’est là que vous avez été peut-être le plus exposé. Quelles ont été les qualités humaines et intellectuelles que vous avez eues à cœur de cultiver ?

Je n’avais pas vraiment envisagé d’être appelé un jour à cela. J’ai essayé de servir mes collègues en leur donnant des informatives tempestives sur ce qui pouvait se passer, en ayant aussi une expression écrite claire et univoque. J’ai donc choisi la brièveté et la clarté de l’expression, et je crois que ce sont mes études de mathématiques qui m’ont orienté sur cette voie.

Quand il y avait des choses plus complexes à affronter, j’écrivais des textes, en faisant état des principales dimensions du problème pour permettre une interprétation correcte et objective de ce problème. J’en ai choisi quelques-uns pour ce livre et ils se réfèrent à des situations difficiles : le baptême d’un musulman la nuit de Pâques dans la Basilique Saint-Pierre, l’affaire de Vatileaks, ou la déclaration des vertus héroïques de Pie XII. Dans ces cas-là, il fallait essayer d’expliquer clairement quelles étaient les raisons qui avaient poussé le Pape ou certaines institutions à dire ou faire certaines choses.

Un élément important pour moi : que la communication soit la même pour tous. Ne jamais dire quelque chose à quelqu’un, puis une autre à un autre, etc. Il fallait une communication commune et égale pour tous. Pas de favoritisme.

J’avais à cœur aussi de donner un témoignage d’une certaine humilité dans la vérité. Quand je n’avais pas la réponse à une question, je disais toujours au journaliste : “je ne sais pas. Je vais me renseigner et lorsque j’aurai la réponse, je te la donnerai”. C’était la clef de la méthode qui a été appréciée après la renonciation de Benoît XVI. Chaque jour, nous avions une énorme quantité de journalistes, qui avaient des questions plus différentes les unes que les autres. Et souvent, ces questions n’avaient pas encore de réponse ! Car la situation était totalement nouvelle. Donc, se documenter, trouver la réponse correcte pour aider le service des journalistes, c’était vraiment un exercice passionnant à cette époque et je m’en souviens avec joie.

Vous évoquez des situations difficiles, mais y en-a-t-il une qui a été particulièrement marquante, voire formatrice pour vous ?

L’expérience la plus profonde, la plus douloureuse, et en même temps la plus cruciale, pour moi et pour l’Église de notre temps, c’est celle des abus sexuels. Comme vous le savez, c’est une longue histoire – en cours d’ailleurs en France- et nous avons toujours des choses à apprendre, de nouveaux pas à faire. Apprendre à écouter, à comprendre quelles sont les souffrances, les conséquences de ces crimes, comment les affronter, par la justice, le droit, la pastorale et par le réconfort spirituel, comment organiser la formation pour prévenir tout cela… C’est un long chemin. Cette question a accompagné tout mon service au Bureau de presse, durant le pontificat de Benoît XVI et celui de François. La problématique des abus, comme chemin de conversion et de purification dans l’Église, à partir de l’écoute des victimes, a été la chose la plus importante.

Vous évoquez dans ce livre les évolutions techniques et technologiques qu’ont dû suivre les médias du Saint-Siège, surtout Radio Vatican. Même si vous vous dites «nostalgique de Gutenberg», quel regard portez-vous sur ce monde numérique, cette «communication digitale» qui domine aujourd’hui ?

L’interactivité dans la communication est fondamentale. C’est cela le grand défi : comment continuer à porter le message de Salut de l’Évangile en nageant au milieu d’une communication souvent très complexe et très confuse ? Comment accomplir ce service avec clarté et force de témoignage dans cette multiplicité de perspectives ?

Je crois qu’il est très important pour les acteurs de la communication de savoir ce qu’ils communiquent et pourquoi ils le font. Chercher la compréhension mutuelle et le dialogue plutôt que la division et le conflit. Chercher la vérité aide à trouver le juste chemin plutôt que confondre les idées des autres. Aider à voir la présence du bien dans le monde, aider à voir ce qui élève l’âme, la beauté – pas seulement physique mais spirituelle- contre la vulgarité et la violence du langage d’aujourd’hui. 

Je pense qu’il y a une dimension très importante de témoignage à travers l’attitude du communicant, dans ce monde de la communication sur les réseaux sociaux, qui risque de semer la confusion.

Vous avez traversé plusieurs crises durant votre service au Saint-Siège. Quels conseils donneriez-vous au communicant catholique qui serait aujourd’hui découragé par l’ampleur de la tâche ?

La tâche d’annoncer l’Évangile a toujours été immense, et plus grande que les forces et ressources que nous avions ! Face au monde, les apôtres n’étaient pas plus puissants que nous ! Et pourtant ils sont partis, ils ont fait ce qu’ils pouvaient, en étant aidés par la grâce du Seigneur, et ils ont vu des effets qu’ils n’espéraient pas. C’est l’expérience de la Pentecôte. Il faut continuer à réfléchir sur la communication dans l’histoire du Salut. Il y a toujours eu une communication qui a semblé faible et en crise devant les difficultés. La vie même de Jésus passe par des crises, des moments d’incompréhension de la part des apôtres eux-mêmes.

Notre mission est de communiquer sans se décourager. Je n’ai pas d’autre conseil sinon d’avoir confiance dans l’Esprit du Seigneur. À la fin du Grand Jubilé de l’an 2000, Jean-Paul II avait dit “Duc in altum ! Avance au large, sans avoir peur du 3e millénaire, comme un petit vaisseau dans l’océan, mais tu dois y aller”.

L’esprit de la communication, c’est toujours de s'en remettre au pouvoir de la vérité, à la présence du Seigneur qui travaille dans le monde d’aujourd’hui, même si cela n’est pas toujours évident.

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10 novembre 2021, 11:30