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Mgr Charles Scicluna, archevêque de Malte et secrétaire-adjoint de la CDF Mgr Charles Scicluna, archevêque de Malte et secrétaire-adjoint de la CDF 

Abus: «assez de sermons, passons à l'action», lance Mgr Scicluna

L'archevêque de Malte, secrétaire-adjoint de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi réagit à la publication du rapport Sauvé sur les abus sexuels commis au sein de l'Église de France.

Fabio Colagrande - Cité du Vatican

Mgr Scicluna, quel commentaire faites-vous du rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église en France qui vient d'être publié ?

Je partage les sentiments du Pape François, qui a exprimé sa tristesse et sa proximité avec les victimes, car nos premières pensées doivent aller aux nombreuses victimes de cette grande tragédie qui marque une génération. Mais, comme le Pape nous l'a rappelé, ce qui s'est passé doit aussi être l'occasion de nous arrêter et de dire avec conviction que nous devons faire plus. Nous devons reconnaître que l'Église a fait de grands progrès ces dernières années. Mais comme j'ai eu l'occasion de l'écrire dans un livre publié en France sur ce triste phénomène des abus sexuels sur mineurs commis par des clercs, nous devons faire une sorte de deuil. Chaque deuil a ses phases. Dans ce cas, la première phase est celle où nous sommes paralysés et ne pouvons même pas digérer cette triste et dramatique réalité. Mais alors, nous devons passer du deuil à une détermination et une conviction renouvelées pour agir. Cela suit la ligne tracée par le Pape François qui déjà dans sa Lettre au Peuple de Dieu en août 2018 avait rappelé que «si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui». Dans cette citation de saint Paul, que le Pape adresse à nous tous, se trouve la théologie de la solidarité et notre réponse. Nous devons comprendre que les victimes - qui ont subi des abus, des humiliations, puis aussi le traumatisme de la couverture institutionnelle - font partie de nous. Pour cela, nous devons agir de manière plus déterminée et plus positive.


Le rapport français mentionne au moins 216 000 victimes d'abus entre 1950 et 2020 et environ 3 000 prêtres et religieux impliqués dans des crimes pédophiles. Ces chiffres sont-ils surprenants selon votre expérience ?

Nous sommes évidemment les seuls - et à mon avis nous avons raison de le faire - à fournir ces informations et à réaliser ces études. J'aimerais également voir d'autres études, d'autres rapports, impliquant la réalité de l'environnement éducatif, de l'environnement culturel. Ce sont des chiffres qui nous surprennent certainement car, comme le dit le Pape, un seul cas d'abus est un cas de trop pour nous. L'expert qui a coordonné cette louable initiative de l'Église française a déclaré que ces chiffres représentent 3 % de tous les cas d'abus commis en France au cours des dernières décennies. Cela signifie qu'il y a 97% des cas qui ne font toujours pas l'objet d'une enquête, qui ne sont pas mis en lumière. Espérons que ce rapport, bien que triste sans aucun doute, soit le début d'un plus grand processus de prise de conscience dans la société que ce phénomène endémique doit être arrêté.

Que peut-on faire de plus dans l'Église, à votre avis ?

Si vous me demandiez si nous devons faire de nouvelles lois, je dirais non. Assez de documents, assez de sermons, nous devons passer à l'action. Tout d'abord, nous avons besoin d'un nouvel engagement pour la formation de la communauté. Donc la formation des familles, des jeunes, mais aussi des futurs prêtres et des prêtres eux-mêmes. Nous devons pouvoir disposer de toutes les informations nécessaires pour être en mesure d'identifier les situations dangereuses, d'identifier les personnes susceptibles d'abuser de quelqu'un. Je le répète, dans ce domaine, la formation est essentielle. Ensuite, nous avons besoin de la détermination nécessaire pour réagir clairement à une plainte pour abus. Nous devons être convaincus que nous ne devons jamais étouffer une plainte déposée de bonne foi, mais la suivre, car nous disposons désormais des instruments législatifs appropriés. Nous avons aussi une nouvelle loi, voulue par le Pape François, sur la responsabilité de nous, pasteurs de l'Église et je me réfère à “Comme une mère aimante”, son Motu Proprio de 2016. Et puis il y a aussi son Motu Proprio “Vos estis lux mundi” de 2019 qui non seulement nous enseigne la nécessité de penser à la victime, de lui offrir notre soutien, mais qui stigmatise toute tentative de dissimulation des abus et donc toute tentative d'omerta. Il me semble donc clair que les lois sont là et qu'elles sont bonnes, seulement la réception de ces normes fait défaut. Nous devons assimiler ces valeurs et les mettre en pratique.

Commentant le rapport, le président de la commission, Jean-Marc Sauvé, a déclaré qu'il espérait que la pratique canonique dans les cas d'abus permettrait désormais des procès plus équitables et que les victimes seraient informées de l'avancement des procès. Qu’en dites-vous ?

C'est un changement que j'ai moi-même suggéré dans un article publié dans la revue “Periodica de Re Canonica” éditée par l'Université Pontificale Grégorienne. J'ai également reçu récemment une invitation à participer à un séminaire organisé par la Commission pontificale pour la protection des mineurs, consacré précisément aux droits des victimes dans les procès canoniques, à une étude comparative pour comprendre exactement comment elles agissent dans d'autres juridictions civiles et pour pouvoir suggérer des pratiques utiles en droit canonique. Déjà dans la loi “Vos estis lux mundi ” du Pape François, il est indiqué que - une fois qu'une enquête contre un membre du clergé accusé d'abus a commencé - celui qui la mène doit notifier au représentant de la victime la fin et aussi le résultat de l'enquête elle-même. Nous avons donc déjà un petit signe d'ouverture vers un dialogue plus institutionnel, disons plus structurel, avec les victimes.


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07 octobre 2021, 13:00