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Audience papale au XXe congrès de l’Association Internationale de Droit pénal Audience papale au XXe congrès de l’Association Internationale de Droit pénal

Pape François: éviter tout compromis avec la culture de haine

Le Pape François a reçu ce vendredi matin les participants au XXe congrès de l’Association Internationale de Droit pénal. Dans le discours très dense qu’il leur a tenu, le Saint-Père s’est en particulier arrêté sur les omissions de la justice en terme de délits économiques et environnementaux, ainsi que sur les abus de pouvoir auxquels elle peut donner lieu.

La dernière rencontre du Pape avec cette association internationale remonte à 2014; depuis lors, le Souverain Pontife note que, nonobstant quelques avancées, le Droit pénal n’est pas parvenu à préserver les sociétés des menaces qui pèsent sur les démocraties et l’État de droit; et les juristes devraient se demander en priorité comment contrer ce phénomène qui met en péril les institutions démocratiques. Dans ce contexte, deux aspects sont mis en exergue: celui de la divinisation du marché qui nourrit un modèle d’exclusion, et celui de «l’idéalisme pénal» qui ne tient pas compte de la réalité.

Délits économiques aussi graves que des crimes contre l’humanité

Une des omissions du Droit pénal tient à l’absence d’attention prêtée aux délits de la «macro-délinquance des corporations», pointe François. La finance mondiale est en effet à l’origine de «graves délits non seulement contre la propriété mais aussi contre les personnes et l’environnement». Il s’agit d’une «criminalité organisée»,  «responsable du surendettement des États et du saccage des ressources naturelles de notre planète». Aussi, le Droit pénal ne peut-il rester étranger à des attitudes qui profitent d’une position dominante au détriment du bien-être de nations entières. Ce sont là des «délits qui ont la gravité de crimes contre l’humanité quand ils conduisent à la faim, à la misère, à la migration forcée, et à la mort en raison de maladies évitables, au désastre écologique et à l’ethnocide des peuples indigènes», assène le Souverain Pontife.

Traiter juridiquement l’écocide

Il est du devoir du Droit de ne pas laisser des crimes impunis, à l’instar de tout ce qui peut être qualifié d’«écocide», à savoir «la contamination massive de l’air, des ressources de la terre et de l’eau, la destruction à grande échelle de la flore et de la faune, et toute action capable de produire un désastre écologique ou de détruire un écosystème». «Nous devons introduire dans le Catéchisme de l'Église catholique le péché contre l'écologie, contre la Maison commune, parce que c'est un devoir».

En ce sens, le récent synode sur l’Amazonie a proposé de définir la notion de «péché écologique» comme péché contre Dieu, le prochain, la communauté, l’environnement ainsi que les futures générations, a rappelé le Pape. L’écocide doit se comprendre comme une cinquième catégorie de crimes contre la paix et devrait être reconnu comme tel par la communauté internationale. À cette aune, François lance un appel «à tous les dirigeants (…) pour qu'ils contribuent à assurer une protection juridique adéquate de notre maison commune».

Attention à l’usage disproportionné de la force

Depuis sa rencontre précédente avec l’association, le Pape observe encore l’augmentation de plusieurs abus de pouvoir dans le domaine de la justice, citant par exemple l’usage arbitraire de la détention préventive en cours dans plusieurs pays et qui contribue à la détérioration des conditions de détention.

Mais François attire surtout l’attention sur «l’incitation involontaire à la violence» et s’en explique: certains pays ont revu le principe de légitime défense et l’on prétend désormais « justifier des crimes commis par des agents des forces de sécurité comme formes légitimes d’accomplissement du devoir». Il est important que la communauté juridique se mobilise pour éviter «que la démagogie punitive ne dégénère en incitation à la violence ou à l'usage disproportionné de la force. Ces conduites sont inacceptables dans un État de droit et, en général, accompagnent les préjugés racistes et le mépris des groupes sociaux marginalisés».

La culture de haine gagne du terrain

Le Pape s’inquiète aussi de la diffusion de la culture du déchet qui, combinée à des phénomènes psycho-sociaux, tend à devenir une «culture de haine». En témoignent de nombreux et récents épisodes loin d’être isolés et dans lesquels les malaises sociaux des jeunes et adultes trouvent leur expression. «Ce n'est pas un hasard si parfois réapparaissent des emblèmes et des actions typiques du nazisme qui, avec sa persécution des juifs, des tziganes, des personnes homosexuelles, est le modèle négatif par excellence de la culture du rejet et de la haine. Il faut être vigilant, tant dans le domaine civil que dans le domaine ecclésial, afin d'éviter tout compromis possible - supposé involontaire - avec ces dégénérescences». «Je vous confesse que lorsque j'entends certains discours, certains responsables des forces de l'ordre et de gouvernement, me viennent à l'esprit les discours d'Hitler en 1934 et 1936», a ajouté le Saint-Père.

François pointe encore les fréquentes fausses accusations portées contre des dirigeants politiques, par le biais de «moyens de communication, d’adversaires ou d’organes judiciaires colonisés»; il relève l’instrumentalisation de la loi et de la lutte nécessaire contre la corruption pour «combattre les gouvernements indésirables, réduire les droits sociaux et promouvoir un sentiment d'anti-politique qui profite à ceux qui aspirent à exercer un pouvoir autoritaire».

Dans le même temps, «il est curieux que le recours aux paradis fiscaux, expédient qui sert à cacher tout type de délit, ne soit pas perçu comme un fait de corruption et de criminalité organisée». Pareillement, les appropriations massives de fonds publics passent inaperçues ou sont minimisées comme s’il s’agissait de simples conflits d’intérêt.

Grande responsabilité

Le Pape s’évertue donc à lancer un appel solennel à tous ceux qui travaillent et étudient le Droit pénal: qu’elles gardent bien à l’esprit que ce Droit sert à «protéger les biens juridiques de majeure importance pour la collectivité, que chaque devoir, chaque charge dans ce domaine a toujours une résonance publique, et un impact sur la collectivité».

«Pour que la fonction judiciaire pénale ne devienne pas un mécanisme cynique et impersonnel, nous avons besoin de personnes équilibrées et préparées, mais surtout passionnées par la justice, conscientes du sérieux de leur devoir et de la grande responsabilité qu'elles exercent. Ce n'est qu'ainsi que la loi - chaque loi, pas seulement la loi pénale - ne sera pas une fin en soi, mais au service des personnes », a lancé François.

Une justice qui restaure

Le Pape qui a conclu en plaidant pour une justice pénale qui restaure. Il existe une asymétrie entre le délit et la peine, note-il, et «l’accomplissement d’un mal ne justifie pas l’imposition d’un autre mal comme réponse». «Il s’agit de faire justice à la victime, non d’exécuter l’agresseur», affirme-t-il, rappelant que dans la vision chrétienne du monde, le modèle de justice trouve son incarnation parfaite en Jésus.

Nos sociétés sont appelées à avancer vers un modèle de justice fondée sur le dialogue et la rencontre, assure enfin le Pape, qui se dit conscient de l’immense défi que cela représente, mais qu’il faut relever «si nous voulons traiter les problèmes de notre coexistence civile d'une manière rationnelle, pacifique et démocratique».

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15 novembre 2019, 13:40