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Une Ukrainienne au cimetière de Mariupol, photo d'illustration. Une Ukrainienne au cimetière de Mariupol, photo d'illustration. 

Le Pape dénonce une «famine de fraternité» et appelle à dire «non» à la guerre

Dans un discours lu par Mgr Paul Richard Gallagher devant le Conseil de sécurité de l'ONU à New York, le Pape déclare que «la paix est possible si elle est désirée. C'est le rêve de Dieu, mais avec la guerre, ce rêve se transforme en cauchemar». François met en garde contre le recul de l'humanité vers un «nationalisme exagéré et agressif» et demande d'appliquer «la Charte de l'ONU sans arrière-pensées».

Salvatore Cernuzio - Cité du Vatican

Le temps est venu de dire sérieusement «non» à la guerre, d'affirmer que ce ne sont pas les guerres qui sont justes, mais que seule la paix est juste. Et la paix est «possible, si elle est vraiment voulue». Avec des mots simples et percutants, le Pape a interpellé le Conseil de sécurité des Nations unies pour réitérer son appel à mettre fin à la violence, aux conflits et aux armements, fruits d'une «famine de fraternité» qui marque le monde d'aujourd'hui. Le message de François, hospitalisé depuis le 7 juin à l'hôpital Gemelli de Rome après une laparotomie, a été lu par le secrétaire pour les Relations avec les États et les organisations internationales au cours de d’une réunion sur «Les valeurs de la fraternité humaine dans la promotion et le maintien de la paix», en présence du Secrétaire général des Nations unies, António Guterres, et du grand imam d'Al-Azhar, le cheikh Ahmed Mohamed el-Tayeb

La troisième guerre mondiale en morceaux

Le texte du Pape s'ouvre sur une analyse du «moment crucial» que traverse l'humanité, «où la paix semble succomber à la guerre» et où il semble que «nous retournons à nouveau en arrière dans l'histoire, avec la montée de nationalismes fermés, exaspérés, rancuniers et agressifs, qui ont déclenché des conflits non seulement anachroniques et dépassés, mais encore plus violents».

“Les conflits se multiplient et la stabilité est de plus en plus menacée. Nous vivons une troisième guerre mondiale en morceaux qui, plus le temps passe, plus elle semble s'étendre.”

Non aux idéologies et aux intérêts particuliers

«Aux yeux des peuples», le Conseil de sécurité lui-même, dont le mandat est de veiller à la sécurité et à la paix dans le monde, «semble parfois impuissant et paralysé», estime le Pape. «Mais votre travail, apprécié par le Saint-Siège, est essentiel pour promouvoir la paix», et pour cette raison, le Pape invite «de tout cœur» les membres de cette instance «à affronter les problèmes communs en vous éloignant des idéologies et des particularismes, des visions et des intérêts partisans».

Une mise en œuvre transparente de la Charte des Nations unies

Une seule intention doit animer leur travail: «travailler pour le bien de toute l'humanité». En effet, écrit le Pape, «on attend du Conseil qu'il respecte et applique la Charte des Nations unies avec transparence et sincérité, sans arrière-pensées, comme un point de référence obligatoire de la justice et non comme un instrument pour masquer des intentions ambiguës».

“Dans le monde globalisé d'aujourd'hui, nous sommes tous plus proches, mais pas plus frères. Au contraire, nous souffrons d'une famine de fraternité, qui émerge de tant de situations d'injustice, de pauvreté et d'inégalité, de l'absence d'une culture de la solidarité.”

Le recul de l'humanité

François cite son message pour la Journée mondiale de la paix 2023, en affirmant que les nouvelles idéologies, caractérisées par la généralisation de l'individualisme, de l'égocentrisme et du consumérisme matérialiste, affaiblissent les liens sociaux, en alimentant cette mentalité de "mise au rebut", qui induit le mépris et l'abandon des plus faibles, de ceux que l'on considère comme "inutiles". Ainsi, déplore-t-il, «la coexistence humaine devient ainsi de plus en plus un simple "do ut des" pragmatique et égoïste».

Le pire effet de cette famine de fraternité sont les conflits armés et les guerres, qui «antagonisent non seulement des individus, mais des peuples entiers, et dont les conséquences négatives se répercutent sur des générations». Il s'agit donc d'un recul de l'humanité, note le Pape, par rapport à l'époque qui a suivi les deux «terribles» guerres mondiales, alors qu'avec la naissance des Nations unies, il semblait que la leçon avait été apprise, et que l’on mesurait l’importance de «progresser vers une paix plus stable, pour devenir enfin une famille de nations».

Les gains faciles des armes

En «homme de foi», le Pape assure que la paix est «le rêve de Dieu pour l'humanité». Mais il ne peut s'empêcher de constater avec regret qu'«à cause de la guerre, ce rêve merveilleux est en train de se transformer en cauchemar». La racine du problème est également économique, reconnaît François: «La guerre est souvent plus tentante que la paix, car elle favorise les gains, mais toujours de quelques-uns et au détriment du bien-être de populations entières ; c'est pourquoi l'argent gagné par la vente d'armes est de l'argent souillé par le sang innocent».

Renoncer à des «profits faciles» afin de préserver la paix nécessite selon François bien plus de courage que de vendre des armes toujours plus sophistiquées et plus puissantes. Il faut plus de courage pour rechercher la paix que pour faire la guerre, résume-t-il, et ajoute qu’il faut plus de courage pour favoriser la rencontre que la confrontation, pour s'asseoir à la table des négociations que pour poursuivre les hostilités.

Le danger du nucléaire

Pour construire la paix, insiste le Pape, «il faut sortir de la logique de la légitimité de la guerre», notamment parce que si dans le passé les conflits armés avaient une portée plus limitée, «aujourd'hui, avec les armes nucléaires et les armes de destruction massive, le champ de bataille est devenu pratiquement illimité et les effets potentiellement catastrophiques». Le moment est donc venu de «dire sérieusement "non" à la guerre» et de réaffirmer au contraire le "oui" à «une paix stable et durable, non pas construite sur le périlleux équilibre de la dissuasion, mais sur la fraternité qui nous unit».

“Nous marchons en effet sur la même terre, tous frères et sœurs, habitants de la même maison commune, et nous ne pouvons pas assombrir le ciel sous lequel nous vivons avec les nuages du nationalisme.”

Patience, prévoyance, ténacité, dialogue et écoute

Où en serons-nous si chacun ne pense qu'à soi ? demande le Pape. C'est pourquoi, rappelle-t-il, «ceux qui travaillent à la construction de la paix doivent promouvoir la fraternité». Un travail «artisanal» qui exige «passion et patience, expérience et prévoyance, ténacité et dévouement, dialogue et diplomatie». Il faut aussi «écouter», en particulier les cris de ceux qui souffrent des conflits, principalement les enfants. «Leurs yeux pleins de larmes nous jugent ; l'avenir que nous leur préparons sera le tribunal de nos choix actuels», avertit François.     

Le Saint-Père conclut en assurant que rien n'est perdu. «Nous avons encore le temps d'écrire un nouveau chapitre de paix dans l'histoire, nous pouvons faire en sorte que la guerre appartienne au passé et non à l'avenir». Et le mot décisif est «fraternité», ce ne peut pas rester une idée abstraite. Ce doit devenir «un point de départ concret».

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14 juin 2023, 22:23