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Sur les rives du Danube, le Pape presse l'Europe de retrouver son âme

Inspiré par Budapest, son histoire, ses ponts et ses saints, le Pape François a prononcé un grand discours sur l’Europe, vendredi 28 avril rencontrant les autorités hongroises dans l’ancien monastère des Carmélites, au château de Buda. Depuis le cœur de la Mittel Europa, dans la lignée de ses discours de Strasbourg et du prix Charlemagne, le Saint-Père a interpellé le Vieux continent sur le déclin de son rêve de paix alors que grondent les bombes à ses portes orientales.

Delphine Allaire - Budapest, Hongrie

La marche hongroise de Berlioz résonnant dans la cour du château de Buda, surplombant le Danube. Le Pape François a été accueilli en grande pompe par les autorités, avant deux rencontres successives en privé avec le couple exécutif calviniste formé par la présidente Katalin Novak et le Premier ministre Viktor Orban. La jeune présidente de 45 ans a introduit la rencontre officielle avec les autorités, considérant pour sa part que ce retour pontifical en Hongrie «n’est pas une conséquence des corrélations politiques mondiales», mais «un kairos», moment et lieu opportuns «pour proclamer une paix juste», «moment où la Hongrie et l'Europe en ont le plus besoin».

Le Saint-Père, inspiré par Budapest, «lieu central de l’histoire», a filé la métaphore de la ville. Citant le poème hongrois d’Attila Jozsef Au bord du Danube, le Pape a décrit la métropole de deux millions d’habitants, comme une protagoniste du présent et de l’avenir: «Du Danube qui est futur, passé, présent, les doux flots ne cessent de s’embrasser». Poème qui continue ainsi: «La mémoire dissout en une paix posthume les luttes acharnées de nos aïeux.»

L'Europe est un berceau vital

Budapest, ville d’histoire, de ponts et de saints, peut aider, estime François. Son histoire reflète celle de l’Europe. Chaque coin de rue témoigne «de vestiges celtiques et romains», une splendeur liée à la modernité «lorsque Budapest était capitale de l’Empire austro-hongrois». Née en temps de paix, Budapest a pourtant connu de douloureux conflits: «non seulement les invasions d’autrefois mais, au siècle dernier, les violences et les oppressions causées par les dictatures nazie et communiste –comment oublier 1956 ?», a demandé le Pape, poursuivant: «Après avoir payé ce lourd tribut aux dictatures, Budapest porte en elle la mission de garder le trésor de la démocratie et le rêve de la paix», a souhaité François, comparant l’itinéraire budapestois au «chemin unitaire entrepris par l’Europe», dans laquelle «la Hongrie trouve son berceau vital».

“Après un lourd tribut aux dictatures, Budapest porte en elle la mission de garder le trésor de la démocratie et le rêve de la paix.”

Retrouver la mémoire et l'âme

Et le Pape de regretter là le triste déclin du rêve «choral» européen fait de multilatéralisme et de politique communautaire, qui ne sont plus «que des beaux souvenirs».

«Tandis que les solistes de la guerre prennent la place, l’enthousiasme pour la construction d’une communauté des nations pacifique et stable semble s’être désintégré dans les esprits», a-t-il remarqué, déplorant que les nationalismes recommencent à gronder.

Or, l’Europe est fondamentale. Elle représente la mémoire de l’humanité. «Il est donc essentiel de retrouver l’âme européenne: l’enthousiasme et le rêve des pères fondateurs, des hommes d’État qui ont su regarder au-delà de leur époque, au-delà des frontières nationales et des besoins immédiats, en mettant en œuvre des diplomaties capables de recoudre l’unité et non d’élargir les déchirures», a souhaité le Saint-Père, convoquant largement De Gasperi, Adenauer et Schuman et interpellant fortement le parterre de dignitaires. «Dans ce moment historique, les dangers sont nombreux; mais, je me demande, en pensant également à l’Ukraine meurtrie, où sont les efforts créatifs pour la paix?»

L’histoire est faite de ponts, et le Pape d’évoquer ceux de la «perle du Danube», qui font réfléchir «à l’importance d’une unité qui n’est pas synonyme d’uniformité». Budapest a plus de 20 circonscriptions, l’Europe en a 27.

Entre eux, l’harmonie est nécessaire. François rappelle un tout qui n’aplatit pas les parties et des parties qui se sentent bien intégrées dans le tout.

Gare au supranationalisme abstrait

Le Pape a dans un souhait très articulé plaidé pour «une Europe qui ne soit pas l’otage des partis, en proie aux populismes autoréférentiels, mais qui ne se transforme pas non plus en une réalité fluide, voire gazeuse, en une sorte de supranationalisme abstrait, oublieux de la vie des peuples». Ce dernier est selon le Pape la voie néfaste des “colonisations idéologiques” qui éliminent les différences, «comme dans le cas de ladite culture du genre, ou qui font passer des conceptions réductrices de liberté avant la réalité de la vie, par exemple en vantant un “droit insensé à l'avortement”, qui est toujours un échec tragique».

“Que l'Europe ne se transforme pas en une réalité fluide, voire gazeuse.”

Le Souverain pontife a loué à ce moment les politiques promouvant la famille et la natalité dont la Hongrie est un exemple selon lui -«Nous avons des pays européens où l'âge moyen est de 46-48 ans», avant d’évoquer la Constitution du pays sur la protection des minorités nationales, l’une des spécificités hongroises. «Cette perspective est véritablement évangélique, contrecarrant une certaine tendance, parfois justifiée au nom des traditions et même de la foi, à se replier sur soi-même».

Le Pape qui a eu un mot pour «une saine laïcité», qui ne tombe pas «dans le laïcisme généralisé se montrant allergique à tout ce qui est sacré pour s’immoler ensuite sur les autels du profit».

Flux migratoires, travailler à des mécanismes partagés

Enfin au sujet de l’accueil, François a rappelé combien ceux qui viennent avec des langues et des coutumes différentes «ornent le pays». Car, écrivait saint Étienne, roi fondateur de Hongrie, «un pays qui n’a qu’une seule langue et une seule coutume est faible et décadent. C’est pourquoi je te recommande d’accueillir bien volontiers les étrangers et de les considérer avec honneur, afin qu’ils préfèrent rester chez toi plutôt qu’ailleurs» (Admonitions, VI).

“Un pays qui n’a qu’une seule langue et une seule coutume est faible et décadent.”

L’accueil suscite beaucoup de débats à notre époque et est certainement complexe, a-t-il assuré, déclarant cependant, pour ceux qui sont chrétiens, l’attitude de base ne peut pas être différente de celle que saint Étienne a transmise, après l’avoir apprise de Jésus qui s’est identifié à l’étranger à accueillir (cf. Mt 25, 35). «C’est pourquoi il est urgent, en tant qu’Europe, de travailler à des voies sûres et légales, à des mécanismes partagés face à un défi historique qui ne pourra être maîtrisé par le rejet, mais qui doit être accueilli pour préparer un avenir qui, s’il n’est pas ensemble, ne sera pas», a-t-il noté. Isten, áldd meg a magyart ! (Que Dieu bénisse les Hongrois!)

En vidéo l Le Pape rencontre les autorités officielles hongroises - 28 avril 2023

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28 avril 2023, 12:50