Le cardinal Joseph Ratzinger: gardien de la Foi

Entretien réalisé par Manuella Affejee – Cité du Vatican

Le père Jean-Robert Armogathe est prêtre du diocèse de Paris, historien et exégète, président de l’édition française de Communio, - revue internationale de théologie co-fondée en 1969 par Joseph Ratzinger.

En 1981, le cardinal Ratzinger est choisi par Jean-Paul II come préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi. Pourquoi ce choix ?

Jean-Paul II connaissait Joseph Ratzinger par le Concile Vatican II, où ce dernier était expert et où il a joué un rôle important. Il était déjà un théologien majeur. Tout le travail qui a été fait à la Congrégation pour la Doctrine de la foi est, d’une certaine manière, déjà contenu dans son livre, La foi chrétienne, hier et aujourd’hui, traduit en français en 1976 et que Wojtyla connaissait certainement. Il a donc fait appel à cet archevêque de Munich depuis 3-4 ans pour être préfet de la Congrégation.

Une chose me semble importante. La Congrégation pour la Doctrine de la foi – qui porte ce nom depuis 1967 et succède au Saint Office – a vu ses tâches reformulées par Jean-Paul II, mais certainement sous l’influence du nouveau préfet, pour ne plus être seulement une congrégation disciplinaire - sur les problèmes de foi, de morale, etc. – mais aussi pour aider les évêques, pour coopérer avec eux et répondre à leurs questions sur la doctrine. C’est une idée commune à Jean-Paul II et Joseph Ratzinger : faire de cette congrégation un lieu de réflexion pour promouvoir la doctrine. Cela va de pair avec les nouveaux statuts de la commission théologique internationale, promulgués 1 an après la nomination de Joseph Ratzinger.

Le cardinal Ratzinger fut préfet durant 23 ans et en tant que tel, il fut la cheville-ouvrière du pontificat de Jean-Paul II. Qu’a-t-il cherché à défendre ? Qu’a-t-il cherché à promouvoir à la tête de cette congrégation ?

Tout se tient à partir de la devise épiscopale qu’il avait choisie lors de sa nomination à Munich : « Ut cooperatores simus veritatis », « que nous soyons les coopérateurs de la vérité » (Jean 3). La collaboration entre Jean-Paul II et Ratzinger pour cette grande encyclique Veritatis splendor (1993) va, par exemple, dans ce sens.

J’ai toujours été frappé, dans les relations que j’ai eues avec Joseph Ratzinger, de son souci de vérité qui allait de pair avec un souci de clarté. Ses écrits de théologien sont caractérisés par la clarté, qui est la manière la plus efficace d’exposer la vérité.

Le cardinal Ratzinger a toujours insisté sur cette crise de foi qui s’est emparée du monde occidental contemporain et il parlait plus spécifiquement d’une crise de Dieu. Qu’implique-t-elle, cette crise de Dieu et quelle réponse lui apporter ?

Je crois que Ratzinger pensait au grand livre de celui qui fut l’un de ses maîtres à penser, Henri de Lubac, sur l’humanisme athée. Il est clair que les formes nouvelles que « les maîtres du soupçon », ainsi qu’on les appelle – Marx, Freud –, ont apportées dans l’horizon intellectuel moderne sont des formes d’athéisme.

Ce que Ratzinger a essayé de mettre en place, c’est d’abord une formation. D’où l’importance, pour lui, de la catéchèse. Il a d’ailleurs été l’un des acteurs de la rédaction du Catéchisme de l’Église catholique. Ce travail à la congrégation a été démultiplié, si j’ose dire, lorsqu’il est devenu Pape par ses encycliques et exhortations apostoliques, et a été poursuivi dans l’écriture d’ouvrages de théologie. Cet énorme travail, c’est exposer la foi sans cesse, depuis le catéchisme des enfants jusqu’à la formation des adultes.

Pour le cardinal Ratzinger, le christianisme n’est pas une philosophie, ni davantage un moralisme. Alors, qu’est-ce que c’est ?

C’est une manière de vivre. Ratzinger le soulignait : c’est une rencontre personnelle avec Jésus. C’est, au fond, l’essentiel. Et ce qui fait qu’il ne s’agit pas de moralisme.

Il n’empêche que sur le plan de la morale, il fut le premier à dénoncer les abus sexuels, il s’est fortement opposé à l’impression du marxisme dans la doctrine sociale de l’Église, avec ses deux instructions, non pas contradictoires mais complémentaires : celle de 1984 contre la théologie de la libération et celle de 1986, encourageant la théologie du peuple, qui est aujourd’hui annoncée et diffusée par le Pape François.

Durant ce long mandat, le cardinal Ratzinger a rencontré de nombreuses oppositions, essuyé des critiques. De quelle manière y-a-t-il répondu ?

Il est clair qu’être préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi n’a jamais été une source de grande sympathie, en raison précisément de cet aspect disciplinaire. Comme je le disais, Ratzinger l’a atténué en en faisant un lieu d’exposition de la foi, un lieu positif de progression de la réflexion, en particulier dans la continuité de Vatican II. (…)

Je crois qu’il a toujours eu ce souci de rester ferme sur la vérité, et d’essayer, non sans mal, de ne pas se montrer trop inflexible avec les personnes. Et cela est quelque chose de difficile, quand il s’agit de défendre la doctrine.

La dichotomie conservateur/progressiste est toujours bien présente dans l’Église. Sont-ce des termes qui sont applicables à Joseph Ratzinger ?

On en a beaucoup parlé lors de la sortie de l’ouvrage Entretien sur la foi (1985), avec le journaliste italien Vittorio Messori, qui fut l’un des best-sellers théologiques de la fin du siècle dernier. Il y utilisa le mot de “restauration”, qui ne m’est pas apparu le plus apte à décrire ce qu’il voulait faire. Il ne s’agit pas de restaurer un ordre ancien, mais de dénoncer les interprétations fausses de Vatican II, de proposer une herméneutique de ce que le Concile avait voulu. Il s’était déjà attelé à le faire à l’époque même du Concile, auquel il participa comme expert.

Ce qui a été important dans cette action de Joseph Ratzinger, c’est, je le crois, le fait qu’il ait travaillé si longtemps avec Jean-Paul II. On ne peut les dissocier, non en termes de conservateur/progressiste, mais en termes de poursuite du travail de Vatican II. Un concile est une grande entreprise, il faut des décennies pour réussir à intégrer ce qu’il apporte avec tant de débats, d’interventions et de textes rédigés à plusieurs mains.

Pour conclure, qui fut Joseph Ratzinger pour vous ?

C’est d’abord un maître, qui m’a enseigné beaucoup de choses par ses écrits. Il est ensuite devenu un ami, par la collaboration dans la revue Communio. Je me souviens que ses interventions lors des réunions internationales qui étaient présidées par Hans Urs von Balthazar ont toujours été ponctuelles, précises. Lorsque les débats s’égaraient, que Balthazar, avec bonhomie, laissait parler les gens, Joseph Ratzinger intervenait toujours pour ramener la question au centre.