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Myroslav Marynovych, vice-recteur de l’université catholique de Lviv. Myroslav Marynovych, vice-recteur de l’université catholique de Lviv.   Les dossiers de Radio Vatican

Pour Myroslav Marynovych, la guerre en Ukraine est un combat pour la liberté

C’est l'un des derniers dissidents soviétiques encore vivant. Myroslav Marynovych n’a pas cessé de mener son combat pour la liberté et la vérité depuis près de cinquante ans. Aujourd’hui vice-recteur de l’université catholique de Lviv, cet Ukrainien estime que la guerre entre l’Ukraine et la Russie est bien plus qu’un conflit territorial, mais la confrontation entre le Bien et le Mal qui dépasse les simples frontières de l’Ukraine.

Entretien réalisé par Xavier Sartre – De retour de Lviv, Ukraine

L’œil est vif, la moustache parfaitement taillée, à peine plus grise que celle que Myroslav Marynovych arborait dans les années 1970, quand il faisait partie du groupe de dissidents soviétiques ayant fondé le Groupe ukrainien d’Helsinki en 1976. Il militait alors pour les droits de l’Homme. Il paya au prix fort cet engagement dans un État totalitaire, allergique à toute critique interne. Sept ans de goulag, dans le camp Perm VS-389/36-2, au cœur de la Sibérie, ajoutés à cinq ans d’exil au Kazakhstan. À son retour en Ukraine, il poursuivit son combat pour la vérité et la liberté et fonda en 1991 la première branche d’Amnesty international dans ce qui était encore pour quelques mois l’Union soviétique.

Aujourd’hui, Myroslav Marynovych est vice-recteur de l’université catholique d’Ukraine (UCU). Il poursuit ses conférences à travers le monde pour parler de son expérience durant la période soviétique, de son engagement pour les droits de l’Homme et depuis février 2022, de la guerre qui ravage son pays. Il répond sans langue de bois aux questions sur ce conflit.

Entretien avec Myroslav Marynovych

Vous avez passé plusieurs années au goulag. Aujourd'hui, votre pays est envahi par la Russie. Diriez-vous que l'histoire se répète ou, en tout cas, balbutie?

Oui, cela s'est déjà répété à maintes reprises et nous, Ukrainiens, sommes tout simplement stupéfaits par la similitude des vagues historiques de violence en provenance de Russie. Il n'y a qu'une seule différence: tous les événements actuels se déroulent en ligne, le monde entier les regarde sur son smartphone.

Le sens du combat de l'Ukraine aujourd'hui est-il le même que le vôtre à l'époque de l'Union soviétique?

Certaines nuances changent, mais la signification réelle reste la même. Par exemple, aujourd'hui, Vladimir Poutine nous a mis dans une situation où nous devons nous battre militairement. Au cours de ma lutte en tant que dissident, notre instrument de lutte contre le totalitarisme soviétique était la défense des droits de l'Homme. Les droits de l'Homme nous ont aidés à surmonter le principal ciment de l'Union soviétique à l'époque, à savoir la peur générée par la dictature de Staline.

Aujourd'hui, diriez-vous que le combat militaire est juste ou va-t-il au-delà d'un simple conflit militaire pour des gains territoriaux?

Oui, au sens chrétien, sans doute, cela va au-delà d'un conflit purement militaire. Ce serait très simple s'il n'y avait que des motivations militaires. Depuis le début, les Ukrainiens perçoivent cette guerre comme une guerre entre la lumière et les ténèbres, entre le bien et le mal. Je sais que la même rhétorique est utilisée en Russie. Mais je veux encore croire que le monde n'a pas complètement perdu la capacité de distinguer entre la vérité et le mensonge, entre le bien et le mal.

La guerre contre l'Ukraine a sapé l'ordre international et les principes de la paix internationale. Poutine produit des mensonges délibérés et contribue ainsi à ce que les gens perdent la capacité de distinguer la vérité de la tromperie. C'est pourquoi il ne s'agit pas seulement d'un conflit entre deux nations, mais d'un défi lancé par Poutine à l'ensemble de la civilisation humaine.

Myroslav Marynovych
Myroslav Marynovych

Vous avez évoqué les réseaux sociaux, Internet. Pensez-vous que la présence et l'existence de ces outils de communication et d'information influe sur la perception que l'opinion mondiale a du conflit davantage qu'auparavant?

Oui, dans les cas précédents, personne ne savait que des villages entiers et des civils ukrainiens avaient été détruits par les troupes russes. Et si, des décennies plus tard, de telles nouvelles parvenaient à l'Occident, "eh bien, la Russie est un empire, un pays fort", tout cela était perçu comme la norme dans le monde de l'époque. Aujourd'hui, Dieu merci, cela est perçu comme une violation des fondements moraux de la civilisation. Cette différence est très importante pour moi, personnellement. En même temps, je me rends compte qu'en général, les médias sociaux ne diffusent pas que des versions correctes des événements, mais il est important que l'humanité soit consciente de tous ces crimes.

Que faire pour que la Russie ne soit plus finalement prisonnière de ses démons passés, pour qu'elle puisse avoir un rapport à l'Ukraine et à l'Occident d'une manière générale beaucoup plus serein, et ne pas percevoir l'Occident comme une menace?

Je répondrai à cette question en citant les propos du dissident russe Vladimir Bolekhov, qui a déclaré en 1978 que le seul moyen de changer la position de la Russie était de désintégrer l'Empire russe et d'aider le peuple russe à créer un État-nation avec un concept complètement différent. Une autre personnalité russe, Yuri Afanasyev, malheureusement aujourd'hui décédé, a déclaré dans les années 2000 que le paradigme de la Russie devait changer. Sans cela, la Russie ne changera pas. Si l'Empire russe reste tel qu'il est aujourd'hui, l'instinct impérial reviendra toujours dans ce pays. La deuxième hypothèse très importante est que les responsables de crimes doivent être traduits en justice. Jusqu'à présent, la Russie n'a jamais eu la tradition de traduire les criminels en justice, parce que les crimes ont toujours été expliqués par les objectifs et les besoins élevés de l'État. Il serait donc malheureux que le monde fasse la paix avec la Russie aujourd'hui sans traduire les criminels en justice. Ce serait un moyen direct de répéter les crimes à l'avenir.

Quelle serait une paix juste aujourd'hui entre l'Ukraine et la Russie?

Tout d'abord, traduire en justice les auteurs d'horribles crimes génocidaires; la «dépoutinisation» de la société russe et la prise de conscience des crimes de l'empire russe par le peuple russe lui-même; la réparation matérielle et morale des pertes subies par le peuple ukrainien; et, ce qui est peut-être le plus important, le repentir moral du peuple russe, sans lequel nous aurons des sentiments revanchards parmi les Russes qui déboucheront sur une nouvelle guerre.

Cette guerre est, entre autres, une guerre entre chrétiens qui sont très proches. Malgré tout, les Églises, toutes les Églises, peuvent-elles contribuer à la paix? Comment?

Il s'agit d'une question très importante et je voudrais clarifier un point très important qui constitue un défi pour nous, Ukrainiens. Pour nous, la liberté religieuse est devenue une grande réussite de notre démocratie, et la liberté religieuse a été acceptée par l'ensemble de la société. Je voudrais lancer un appel aux chrétiens du monde entier, en particulier au monde orthodoxe: il est important que nous soutenions les points de vue du groupe de théologiens orthodoxes qui ont condamné l'idée du monde russe comme hérétique et anti-orthodoxe.

L'Église gréco-catholique est-elle la plus à même d'être le lien, le pont entre l'Orient et l'Occident?

Tout d'abord, je me souviens du point de vue quelque peu ironique du précédent chef de l'Église gréco-catholique ukrainienne, le cardinal Lubomyr Husar, qui n'acceptait pas volontiers cette définition de «pont entre l'Orient et l'Occident chrétiens», en déclarant: «Lorsque les gens marchent sur un pont, ils le piétinent. Je ne voudrais pas que nous soyons piétinés». Il était plus enclin à utiliser le mot «médiateur», à savoir que notre Église peut servir de médiateur entre les deux groupes. Nous pouvons en effet servir de médiateur parce que nous comprenons la logique des deux groupes. Mais pour être un médiateur efficace, nous devrions avoir le consensus des deux parties, ce qui n'est pas encore le cas.

Université catholique de Lviv
Université catholique de Lviv

L'université catholique d'Ukraine où nous nous trouvons, est-elle quelque part un peu le symbole de cette lutte pour la vérité, pour la paix et la justice?

Nous voudrions être un tel symbole, parce que cette université, malgré le fait que le terme "catholique" indique son caractère confessionnel, voudrait être ouverte au monde entier et voudrait participer à un dialogue avec le monde entier. Le dialogue présuppose la vérité, le dialogue ne peut se fonder que sur la vérité. Je ne crois pas au dialogue "à tout prix", car cela signifie "au prix de la vérité". En outre, l'UCU souhaite être un partenaire dans la construction d'un monde pacifique et juste qui prenne en compte les intérêts de tous les participants. Tous ces points montrent déjà que notre position est en contradiction directe avec la position de Poutine, la position de la Russie moderne, qui veut construire un nouvel ordre mondial sur la base d'anti-valeurs directement opposées.

En quoi cette université est révélatrice ou emblématique de l'évolution de la société ukrainienne depuis?

Lorsque l'université a été fondée dans les années 2000, nous avons immédiatement déclaré que nous voulions construire le processus éducatif sur deux principes: la foi et la raison. C'était déjà un défi pour la société ukrainienne de l'époque, car on pensait qu'une université ne devait fournir que des connaissances professionnelles et que l'éducation spirituelle ne relevait pas de la responsabilité de l'université.

Aujourd'hui, en temps de guerre, de nombreux centres éducatifs soulignent l'importance des valeurs et notre expérience a été reconnue comme juste. Deuxièmement, nous avons commencé dans une situation où l'éducation ukrainienne était largement corrompue. Nous avons été confrontés à un défi: nous ne pouvons pas permettre le moindre signe de corruption si nous avons le mot "catholique" dans notre nom. Nous avons donc lancé un modèle d'université qui collecte des fonds et applique une tolérance zéro à l'égard de la corruption. Là encore, il s'agissait d'un défi pour la société ukrainienne. Nombre de nos partenaires ont dit que nous ne survivrions pas. Mais nous avons survécu et nous sommes aujourd'hui à l'avant-garde des changements dans l'éducation ukrainienne.

Église de l'Université catholique de Lviv
Église de l'Université catholique de Lviv

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04 décembre 2023, 11:17