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Le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki en déplacement auprès des habitants de Knurow, au sud de la Pologne, à l'approche des élections législatives du 15 octobre. Le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki en déplacement auprès des habitants de Knurow, au sud de la Pologne, à l'approche des élections législatives du 15 octobre.   (ANSA) Les dossiers de Radio Vatican

La guerre en Ukraine, enjeu central des élections polonaises

Le 20 septembre, la Pologne a annoncé arrêter la livraison d'armes à l'Ukraine. Décryptage de cette annonce surprenante du principal allié européen de Kiev, à quelques semaines des élections législatives polonaises, avec le chercheur George Mink, directeur de recherche émérite au CNRS et professeur au Collège d’Europe.

Entretien réalisé par Xavier Sartre - Cité du Vatican 

Que se passe-t-il entre la Pologne et l’Ukraine? Depuis l’invasion russe le 24 février 2022, Varsovie est le principal allié de Kiev en Europe. C’est pourquoi l’annonce du Premier ministre polonais, mercredi 20 septembre, d’un arrêt des livraisons d’armes polonaises à l’Ukraine a suscité la stupeur chez ses voisins européens. Le président polonais a ensuite tenté de rectifier le tir, expliquant qu’il avait été mal compris, mais sans succès.  

Les tensions entre Polonais et Ukrainiens ont pour origine les exportations de céréales ukrainiennes. La Commission européenne a levé le 15 septembre les restrictions temporaires sur les exportations de céréales vers cinq pays, dont la Pologne, mais Varsovie a décidé de maintenir son embargo pour protéger ses agriculteurs. En réponse, l’Ukraine a porté plainte à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) contre la Pologne. Cette dernière s’est également sentie visée par une petite phrase dans le discours du président Volodymr Zelensky à la tribune de l’ONU, mardi 19 septembre: «Ce qui est inquiétant, c’est la façon dont certains de nos amis européens jouent la solidarité sur le théâtre politique (…) En réalité, ils contribuent à préparer le terrain pour l’acteur moscovite».

Reste à savoir comment interpréter ces déclarations du gouvernement polonais: remise en cause du soutien aux ukrainiens face aux Russes ou annonces électoralistes adressées aux polonais qui éliront leurs députés le 15 octobre?

Entretien avec Georges Mink directeur de recherche émérite au CNRS et professeur au Collège d’Europe: 

Entretien avec Georges Mink directeur de recherche émérite au CNRS et professeur au Collège d’Europe

Comment expliquer l’escalade des tensions entre les deux pays ces dernières semaines?

Il s'agit d'une escalade rhétorique [entre les deux pays], avec le président Zelensky qui a probablement dépassé la ligne rouge en faisant allusion à ce pays qui, sous prétexte de manifester sa solidarité, prépare le lit à la puissance russe. Une allusion qui a pu irriter les Polonais. Mais les Polonais étaient déjà dans cette escalade verbale parce que nous sommes dans une période électorale, et que le pouvoir actuel joue sa prolongation avec ce troisième mandat.

Le parti au pouvoir Droit et justice sait que l'électorat est flottant, qu'il y a des problèmes, y compris dans la partie de son électorat traditionnel que sont les paysans polonais déçus par le peu de résultats de la politique agricole du gouvernement actuel. Cette surenchère tient aussi au fait que le pouvoir polonais veut regagner les voix des territoires ruraux, puisque l'enjeu est le passage des céréales et des produits agricoles ukrainiens à travers le territoire polonais, mais avec le risque et même une forte probabilité que cela concurrence le marché interne polonais, et donc concurrencent les paysans polonais.

Autrement dit c’est la politique intérieure polonaise, l’approche des élections législatives, qui explique cette sortie "surprenante" du Premier ministre polonais?

C'est l'hypothèse la plus probable, tout simplement parce que cette guerre dure depuis longtemps. On sait que la population polonaise s'est mobilisée merveilleusement pour aider les Ukrainiens. Mais il y a aujourd’hui une certaine fatigue. Les courants pro-russes et anti-ukrainiens qui existent en Pologne, même s'ils ont été mis en sourdine, ressortent, agitent leur idéologie et jouent sur la fatigue des Polonais.

Cela dit, il y a un rétropédalage, bien sûr, parce que soudainement sont apparues les conséquences catastrophiques de ce genre d'enchère. Les Américains ont certainement fait remarquer cela aux Polonais, parce que ça peut nourrir aussi le courant anti-ukrainien en Europe et ailleurs, puisque le principal allié, la Pologne, prend une attitude aussi radicale vis-à-vis de la guerre en Ukraine. Alors [les autres pays peuvent se dire] pourquoi pas nous?

Ce sentiment anti-ukrainien, ou en tout cas cette lassitude vis-à-vis de cette guerre et des efforts que les Polonais fournissent à tous points de vue, est-il partagé également par les autres formations politiques?

Il n'y a qu'une formation qui va plus loin dans les propos concernant la guerre en Ukraine, c'est l'extrême droite organisée autour de cette nouvelle formation qui s'appelle la Confédération et qui, d'une certaine façon aussi, menace l'électorat du parti au pouvoir Droit et justice. C'est une certaine compétition entre les deux.

Les conséquences après les élections ne seront pas énormes. Tout simplement parce que c'est dans l'intérêt de l'État polonais de jouer le soutien à l'Ukraine, car la Pologne est sur la ligne de front d'une certaine façon. Et pour elle, il est absolument indispensable que l'Ukraine gagne cette guerre. Si l'Ukraine perd, si la Russie avance, les Polonais, qui connaissent bien leur propre histoire tragique et le passif qu'ils ont avec la Russie, vont immédiatement songer au fait qu'ils seront la prochaine victime.

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26 septembre 2023, 12:53