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2018, manifestation de femmes en Syrie contre les violences sexuelles. 2018, manifestation de femmes en Syrie contre les violences sexuelles.  (AFP or licensors) Les dossiers de Radio Vatican

Le difficile combat contre les violences sexuelles dans les conflits armés

Les Nations Unies appellent à l’éradication des violences sexuelles en temps de guerre. Dans les faits, les violences basées sur le genre augmentent de façon significative pendant les conflits, et il est extrêmement difficile de les quantifier car peu de crimes sexuels sont dénoncés. La justice internationale peine, par conséquent, à punir les responsables.

Entretien réalisé par Jean-Charles Putzolu – Cité du Vatican

La violence sexuelle utilisée comme arme de guerre est «un crime honteux» twittait récemment le Pape François. Ces crimes concernent tous les conflits sans exception. En Ukraine, des enquêtes sont en cours, des témoignages accablants arrivent aussi du Soudan et de République démocratique du Congo. Lors du génocide au Rwanda en 1994 ou pendant la guerre dans l’ancienne Yougoslavie entre 1991 et 1995, les viols étaient malheureusement largement perpétrés pour terroriser des populations entières plus que pour assouvir une pulsion individuelle.

Cette forme de violence organisée atteint des centaines de milliers de personnes dans le monde selon les Nations unies, dont le secrétaire général, Antonio Guterres, appelle à capturer et juger les responsables, car rares sont ceux qui finissent devant la justice internationale.

Dorine Llanta, spécialiste de justice internationale autour des violences basées sur le genre, représente la Fédération internationale des droits de l’Homme à la Cour pénale internationale de La Haye. Dans un entretien accordé à Vatican News, elle constate l’ampleur du phénomène et la complexité du combat pour la justice internationale.

Que savons-nous aujourd’hui de la diffusion des violences faites aux femmes dans les conflits armés?
On a une idée de l'ampleur. De façon générale, on sait que ces violences sont d'une grande ampleur, qu'elles sont présentes dans tous les conflits armés. Elles sont partout et aux mains de tous les acteurs. Elles prennent différentes formes. Elles sont commises par le biais de différentes stratégies. Mais elles sont là, envers les femmes, les hommes, les enfants, les personnes appartenant à la communauté LGBTI. En revanche, on le sait, ces violences sont parfois sous documentées. La plupart du temps, elles ne sont pas dénoncées et, lorsqu’elles le sont, elles ne sont pas toujours reconnues comme des violences sexuelles. Elles sont parfois dénommées différemment, comme la torture par exemple. Dans certaines sociétés, le droit n'est tellement pas adapté que seulement certaines victimes peuvent être considérées comme victimes de violences sexuelles. En général, seules les femmes sont considérées comme victimes, et donc tous les actes qui sont envers les hommes sont mis de côté.

Est-ce le résultat de comportements individuels dans les conflits ou ces violences font-elles aussi partie d'une stratégie?
On note maintenant que ces violences sont vraiment une stratégie militaire ou politique. Elles varient en fonction du type et des raisons du conflit, en fonction des acteurs concernés. Mais elles peuvent répondre en effet à plusieurs stratégies comme terroriser ou faire fuir la population civile, comme affaiblir l'ennemi et éventuellement déstabiliser ou détruire des communautés, ou tout simplement faire une démonstration de pouvoir et de contrôle sur les autres.

Que dit le droit international en la matière?
Le droit international, de façon générale, a beaucoup d'instruments qui prohibent les violences sexuelles, soit directement, soit indirectement, puisqu'il est considéré maintenant que les différentes formes de violences sexuelles constituent une violation de l'intégrité physique des personnes. Donc, tous les instruments de protection des droits humains peuvent être pertinents en matière de violences sexuelles. En revanche, on a maintenant un instrument de référence qui est le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, particulièrement lorsqu'il est question de justice, puisque c'est du droit pénal international. Et cet instrument prohibe plusieurs crimes sexuels de façon explicite, comme le viol, l'esclavage sexuel, la prostitution forcée, la grossesse forcée, la stérilisation forcée, mais aussi toute autre forme de violences sexuelles, des actes inhumains et dégradants, comme la nudité forcée par exemple. Et cela constitue des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. Mais l'instrument contient aussi d'autres crimes qui peuvent être retenus sur la base de violences sexuelles, comme la torture ou encore la persécution, le génocide.

Ce droit international est-il doté de bras qui peuvent agir, qui peuvent pourchasser les criminel; la justice a-t-elle les moyens d’agir?
La justice internationale agit, mais elle est lente et elle connaît beaucoup d'obstacles. Par exemple, la Cour pénale internationale ne dispose pas de police propre, donc elle ne peut pas arrêter les gens. Elle dépend entièrement des États pour mettre en application les mandats d'arrêt et arrêter les personnes. Donc il y a un aspect un peu politique sur cet aspect. On a vu cependant ces dernières années qu'il y a eu des succès au niveau de cette Cour et les juridictions nationales se servent aussi de ses capacités et apprennent des standards de fonctionnement qui sont reconnus au niveau de la Cour internationale pour se renforcer au niveau des juridictions locales et nationales.

Comment pouvons-nous prévenir ces crimes? Y-a-t-il un travail aussi à ce niveau là?
Absolument. Un gros travail se fait au niveau de la prévention de ces crimes. Il y a par exemple la sensibilisation auprès des populations pour expliquer ce que sont ces violences, pour réduire les tabous aussi pour que les survivants puissent ensuite en parler, qu’ils ne soient pas stigmatisés, ni rejetés, ce qui contribue souvent à de nouvelles violences. Il y a également des interventions auprès des groupes armés sur l'interdiction des violences sexuelles. Ça peut paraître quelque chose d'assez naïf, mais ça fonctionne parfois.

Est-ce que, selon les informations en votre possession, la communauté internationale agit pour l'assistance et la prise en charge des victimes?
Des efforts sont faits. On a par exemple, à la Cour pénale internationale, un système d'assistance et de réparation aux victimes, mais c'est assez limité pour différentes raisons, car c’est principalement la responsabilité principale des États. C’est à eux de mettre en place des services adéquats, par exemple un soutien psychosocial, donner les moyens de retrouver une stabilité économique, une certaine activité, l'accès à l'éducation, à la santé. Toutes ces mesures sont des mesures d'assistance et de prise en charge des victimes qui vont les aider à retrouver une certaine stabilité après les violences. Mais il faut y ajouter les mesures de réparation pour les violences qu'elles ont subies. Des formes de réparation qui peuvent relever de mesures financières, de plans de réinsertion, ou même des mesures symboliques, c’est essentiel. Là encore, la justice internationale a un petit rôle à jouer, mais il est absolument essentiel que les États prennent leurs responsabilités et mettent en place des mesures absolument nécessaires.

Entretien avec Dorine Llanta, de la FIDH

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13 juillet 2023, 08:00