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Carcasse de voiture brûlée à Dakar lors des violences des 1er et 2 juin. Carcasse de voiture brûlée à Dakar lors des violences des 1er et 2 juin.  (AFP or licensors) Les dossiers de Radio Vatican

Le Sénégal en panne de dialogue politique

L’annonce de la condamnation à deux ans de prison de l’opposant Ousmane Sonko a provoqué des violences ayant causé la mort de seize personnes les 1er et 2 juin à travers le Sénégal. Ces affrontements entre soutiens du maire de Ziguinchor et forces de l’ordre interviennent après des semaines de tensions, sur fond de crise économique et sociale, et dans la perspective de la présidentielle de 2024.

Entretien réalisé par Xavier Sartre – Cité du Vatican

Rues barrées, pneus brûlés, saccages de bureaux et de véhicules, affrontements entre groupes de jeunes et forces de l’ordre à Dakar, Saint-Louis et dans d’autres villes du Sénégal: l’annonce jeudi 1er juin de la condamnation à deux ans de prison d’Ousmane Sonko, reconnu coupable de «corruption de la jeunesse», a provoqué un vent de colère de ses partisans à travers le pays. Les accusations de viol formulées par une jeune femme n’ont pas été retenues.  

Durant toute la durée du procès, auquel il a refusé de comparaitre, Ousmane Sonko, ancien candidat à la présidentielle en 2019, et de nouveau en lice pour le scrutin de 2024, chef du Pastef, n’a cessé de crier au complot et à la persécution du pouvoir. Une attitude peu apaisante, son parti appelant les Sénégalais «à se défendre par tous les moyens et à riposter». Or, Ousmane Sonko s’est lui-même attiré des ennuis en n’assumant pas ses responsabilités et en ayant eu un comportement peu respectueux de sa charge de député, estime Boubacar Malal Bâ, journaliste indépendant, analyste politique à Dakar.

Un troisième mandat pour Macky Sall?

Ces tensions politiques et les violences qui ont suivi, interviennent à quelques mois de la présidentielle de 2024. La campagne qui n’a pas officiellement déjà commencé, est dominée par un thème: l’hypothétique troisième mandat de Macky Sall, au pouvoir depuis 2012. Le président en exercice élude la question, ses opposants sont vent debout contre cette perspective, arguant que la modification de la durée du mandat présidentiel ne remet pas en cause le fait que Macky Sall achève bien un deuxième mandat, quelle que soit sa durée.  

«Il y a un malaise politique», reconnait Boubacar Malal Bâ, qui cite le précédent de 2012, quand Abdoulaye Wade avait voulu briguer un troisième mandat, projet abandonné devant l’hostilité des Sénégalais à ce sujet. Mais le journaliste reproche à l’opposition de ne penser qu’à cette échéance, sans réfléchir aux solutions à apporter aux problèmes de la population, et au président sortant de ne pas mettre fin aux spéculations – une stratégie pour ne pas perdre la main, et maintenir son pouvoir le plus longtemps possible, jusqu’à l’élection.

Malaise social et économique

Ces manifestations violentes s’inscrivent également dans un contexte économique difficile. La pandémie de Covid-19 a laissé des traces, la population s’étant appauvrie, explique Boubacar Malal Bâ. «Si vous mélangez tout cela, vous avez un cocktail explosif et la mèche a été allumée par Sonko» estime-t-il.

Si le calme est revenu ces derniers jours, la tension reste réelle. La crainte de nouveaux débordements à l’occasion de la probable arrestation d’Ousmane Sonko existe. Qui peut alors avoir assez d’influence pour apaiser les esprits et réinstaurer un climat de dialogue? Les confréries religieuses y sont partiellement parvenues, mais leur influence a sensiblement diminué juge Boubacar Malal Bâ. Des acteurs de la société civile ont gâché la leur en tenant des propos davantage politiques, estime-t-il. Des ONG comme Amnesty, cite-t-il, sont plus partisanes du laisser-faire, sans apporter de réponses à d’éventuelles nouvelles violences.

S’exprimer sur les réseaux sociaux et critiquer Ousmane Sonko par exemple, est devenu difficile, Boubacar Malal Bâ n'hésitant pas à parler de «dictature» en évoquant les soutiens de l’opposant. «On en est là aujourd’hui au Sénégal. Vous ne pouvez plus débattre, car quand vous dites quelque chose contre Sonko, vous êtes automatiquement voué aux gémonies», regrette-t-il. «C’est difficile de trouver des acteurs totalement neutres ou perçus comme neutres par les différents acteurs politiques», conclut-il.

Entretien avec Boubacar Mal Bâ, journaliste indépendant à Dakar

 

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06 juin 2023, 13:08