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Des experts médico-légaux et des enquêteurs de la Direction des enquêtes criminelles se réunissent pour exhumer les corps des victimes d'un culte de la faim, à Kilifi au Kenya. Des experts médico-légaux et des enquêteurs de la Direction des enquêtes criminelles se réunissent pour exhumer les corps des victimes d'un culte de la faim, à Kilifi au Kenya.   Les dossiers de Radio Vatican

Au Kenya, les dérives sectaires font des victimes

Le "massacre de Shakahola" continue de raviver les débats au Kenya sur l’encadrement des mouvements religieux dans le pays. Les dernières autopsies de 112 cadavres retrouvés dans une forêt ont révélé des organes manquants sur certains corps. Les victimes étaient membres d’une secte évangélique invitées par leur pasteur à jeûner, pour être au paradis. Entretien avec Yvan Droz, spécialiste du fait religieux au Kenya.

Entretien réalisé par Myriam Sandouno - Cité du Vatican 

C’est un scandale qui a suscité un vif émoi ces dernières semaines dans ce pays d’Afrique de l’est majoritairement chrétien, qui selon les chiffres officiels compte plus de 4 000 églises. Paul Mackenzie, pasteur de la secte évangélique de l’Église Internationale "Bonne Nouvelle" a encouragé ses fidèles à pratiquer un jeûne extrême pour «rencontrer Jésus». Au moins 133 personnes ont perdu la vie dans la forêt de Shakahola, au sud-est du Kenya, où se réunissaient ces adeptes. Les victimes, dont des enfants, ont été selon un responsable des opérations médico-légales, étranglées ou étouffées. Les dernières autopsies ont révélé des organes manquants sur certains corps.

Ce mercredi 10 mai, un tribunal a ordonné que soit maintenu en détention, le pasteur Paul Nthenge Mackenzie, qui sera poursuivi pour terrorisme, ont indiqué les procureurs. Les recherches de corps et de fosses communes ont repris mardi dans la forêt de shakahola.

Cette affaire baptisée le "massacre de Shakahola" relance aujourd’hui le débat sur la prolifération des sectes et l’encadrement des mouvements religieux au Kenya. Yvan Droz, anthropologue à l’Institut de hautes études internationales et du développement, spécialiste du fait religieux au Kenya, explique que ce réveil religieux au Kenya «existe depuis un siècle et demi, depuis la colonisation». Avant, poursuit-il, on «avait aussi tout un ensemble de prophètes qui suscitaient un certain émoi. Donc ce n’est pas quelque chose qui est propre au christianisme ou à l’islam, mais c’est quelque chose qui se retrouve aussi sur place dans ce qu’on a appelé les religions traditionnelles africaines», affirme-t-il.

L’on remarque qu’il y a assez d’adhésions de personnes dans ces mouvements religieux, qu’est ce qui motive autant d’adhésions et quel est le message donné dans ces églises?

De mon point de vue il y a quand même une perspective très désabusée de l’avenir au Kenya parmi les gens, en raison du système sociopolitique kidnappé par des élites, par des autocraties ou des familles qui dominent le Kenya depuis l’indépendance et qui à chaque fois pillent l’État avant de changer de président. Donc on a affaire à une des pratiques tellement récurrentes qu’il n y a plus beaucoup d’espoir d’un changement politique.

Du côté économique la situation au Kenya n’est pas bonne. Et pour les jeunes c’est extrêmement difficile de s’imaginer un avenir. Certains pasteurs sont très charismatiques, ils parlent très bien, ils ont suivi une formation pour certains d’entre eux aux Etats-Unis pour construire des services religieux qui soient très vivants. Ce qui attire aussi, c’est sans doute la promesse de miracles, de guérisons miraculeuses, de prophéties sur l’avenir, de briser les blocages des ensorcellements, des choses de ce type.

Pourquoi selon vous ces responsables de mouvements religieux se sentent-ils parfois si puissants?

J’imagine qu’ils se sentent investis d’une puissance divine. Et puis il y a également au fur et à mesure, s’ils ont du succès. Tous ne l’ont pas, certains de ces mouvements disparaissent rapidement. Mais pour les pasteurs qui ont du succès, ça devient une activité commerciale extrêmement fructueuse. On parle de revenus pour certains de ces églises qui peuvent monter à un million de dollars par mois. C’est énorme! Pour ceux qui connaissent le succès, c’est un véritable moyen de s’accomplir personnellement, de devenir quelqu’un de puissant, de reconnu, de respecté. Et puis pour certains ça été aussi un marchepied vers un engagement politique, pour devenir un membre du parlement kenyan par exemple.

Existe-t-il une loi contre les dérives sectaires au Kenya?

Il y a une loi qui demande aux mouvements religieux de se faire enregistrer par l’État. Mais certains de ces mouvements, je crois qu’on articulait les chiffres de huit mille en 2013, ont été enregistrés, et on disait qu’il en restait en tout cas autant, qui avaient déposé une demande. Donc il y a un retard dans les enregistrements. Et de très nombreux mouvements religieux ne souhaitent pas se faire enregistrer. Ça implique de devoir «graisser la pâte» à différents fonctionnaires. C’est relativement coûteux, et puis ensuite cela apporte une reconnaissance officielle mais guère plus. Maintenant avec le scandale que suscite cet évènement horrible, les politiciens kenyans parlent de mettre en place des lois plus sévères. Mais s’ils parviennent à un accord, faudra -t-il pouvoir les faire respecter. Je ne vois pas la police kenyane pouvoir contrôler les centaines de mouvements religieux qui existent au Kenya. Parce qu’il y a aussi tout un jeu sur la liberté religieuse. Comment voulez-vous interdire un mouvement religieux, en laisser d’autres et puis ensuite il y a tout un jeu politique entre l’opposition et le gouvernement qui risque de se développer. Je vois très mal le gouvernement kenyan pouvoir intervenir, fermer des églises, sauf dans les cas criminels. Ça c’est clair!

Entretien avecavec Yvan Droz

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10 mai 2023, 16:24