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Deux milliards de personnes n'ont pas accès à l'eau potable dans le monde. Deux milliards de personnes n'ont pas accès à l'eau potable dans le monde. 

Les sécheresses ont 30 ans d’avance sur les prévisions

À l’heure où s’ouvre à New York la conférence internationale sur l’eau des Nations-unis, les experts s’accordent pour signaler une accélération des phénomènes qui portent aux dérèglements observés ces dernières saisons.

Jean Charles Putzolu – Cité du Vatican

Le Secrétaire général de l’Onu l’affirme, le monde «s'engage aveuglément sur une voie dangereuse avec l'utilisation non durable de l'eau». À l’ouverture de la première conférence mondiale sur l’eau, du 22 au 24 mars, Antonio Guterres déclare: «nous avons brisé le cycle de l'eau, détruit les écosystèmes et contaminé les eaux souterraines». Les Nations unies tirent la sonnette d'alarme dans un rapport qui souligne l'aggravation des pénuries d'eau. Deux milliards de personnes n'ont pas accès à l'eau potable et 3,6 milliards n'ont pas accès à des installations sanitaires fiables. La planète est de plus en plus chaude, les pluies de plus en plus rares ou mal réparties. Le phénomène ne surprend pas les scientifiques, à un détail près: il a trois décennies d’avance sur leurs prévisions. Le géographe David Blanchon, enseignant à l’université de Paris Nanterre admet que les sécheresses observées en France l’été dernier et cet hier sont précoces. Un tel scénario était annoncé pour les années 2050-2060. «Faire ce constat dès maintenant, commente le scientifique, c'est très préoccupant. On ne pensait pas qu'il y avait une telle intensité, une telle rapidité, en termes de fonte des glaciers, de pénurie d'eau». Paradoxalement, ces événements en lien direct avec les bouleversements climatiques, ont un effet positif: ils permettent une prise de conscience plus immédiate et peut être de prendre des décisions politiques qui permettront de s'adapter. 

Une approche globale sur un problème local

Les problèmes de l'eau sont souvent des problèmes très locaux, détaille David Blanchon. Généralement, ce sont les municipalités qui sont en charge de l'eau, à travers des sociétés chargées de la gestion, par exemple, de bassins versants sur une rivière; «ces questions sont extrêmement localisées». Une approche globale est cependant utile et l’un des rôles de la communauté internationale peut-être de faire prendre conscience, d'amener des investissements et d’activer le levier de la collaboration internationale pour résoudre ces problèmes localisés et dont la gestion dépend des villages, des villes, ou des communautés. En substance, une municipalité seule, avec toute sa bonne volonté et tous les moyens qu’elle peut y consacrer fera certainement un excellent travail, mais si elle reste isolée dans son action, ses efforts n’auront qu’un impact à peine mesurable à l’échelle d’un pays. Si en revanche les initiatives se multiplient, et si les technologies sont partagées, alors, la donne peut changer. La conférence sur l’eau de l’ONU en ce sens peut constituer une avancée, si elle ne se limite pas à l’échange de discours et bonnes intentions sans suite. Le droit à l’accès équitable à l’eau pour tous est un enjeu planétaire, mais «la difficulté, c'est d'aller de ce droit proclamé à la mise en pratique réelle. Et là, il y a un énorme fossé entre la déclaration d'un droit et puis sa mise en pratique réelle», observe l’universitaire.

Une approche pragmatique

Pour les pays subsahariens, la question de l’accès à l’eau a de nombreuses facettes. Il y a d’un côté l'accès à l'eau domestique, c'est à dire l'accès à l'eau des populations, et l’utilisation de l'eau pour notamment l’agriculture et l’irrigation des champs. Concernant l’eau domestique, il s’agit le plus souvent de volumes d'eau relativement limités, mais un problème peut vite prendre des proportions inquiétantes lorsque les investissements manquent pour le développement et l’entretien des infrastructures. David Blanchon a travaillé sur le projet d’extension du réseau de distribution d’eau potable dans la capitale soudanaise, Khartoum. «Même si c'est en plein désert, dit-il, le volume d'eau nécessaire à approvisionner correctement toute la population est là, et vu comme ça, il n’y a pas de problème».

Le cas de Khartoum

Il explique que pour différentes raisons, principalement économiques, les autorités locales soudanaises n’ont pas suffisamment investi dans le développement du réseau et il a été difficile de répondre à la demande alors que la population de l’agglomération de Khartoum est passée de 700 mille habitants en 1973 à plus de 5 millions d'habitants aujourd’hui. Les pouvoirs publics n’ont pas eu les moyens de suivre cette forte croissance démographique. «Le problème n'est pas un problème de ressources en eau», commente David Blanchon. Le problème réside essentiellement dans l’absence d’investissements pour la création de nouveaux réseaux de distribution et de potabilisation. Sans un énorme investissement des puissances publiques et probablement de l'aide au développement, on n'arrivera pas à résoudre ce problème d'accès à l'eau en Afrique.

À Khartoum, l’équipe avec laquelle David Blanchon a travaillé s’est gardée de développer un projet «à l’occidentale» aux coûts excessifs. Il fallait élaborer un projet étalé dans le temps car «l'extension du réseau coûte extrêmement cher et le service public n'arrive pas à suivre la rapidité de la croissance urbaine. Cela demanderait des investissements qui sont largement au-delà de la capacité financière des municipalités».

L’équipe du projet franco-allemand du CNRS a proposé une forme de transition, un plan de développement progressif du réseau. «Ça commence par des puits bonifiés à moins de 200 mètres des habitations pour répondre aux besoins les plus criants, c'est à dire pour boire et pour faire la cuisine. Successivement, à partir de ce puits, on pouvait créer des micro réseaux et à partir des micro réseaux mis en place, se connecter au réseau central qui donnait de l'eau purifiée à plus fort débit, ce qui représentait une montée en gamme progressive. Ça, c'était une solution possible», explique David Blanchon. 

Eau publique, eau privée

L'accès privé est relativement limité. David Blanchon estime que 5% à 7% de la population mondiale utilise une eau gérée par des compagnies privées. Les disparités cependant peuvent être énormes d’un pays à l’autre. En France par exemple, 60% de l’accès à l’eau potable est privatisé. Dans les pays du sud, relève David Blanchon, les expériences d'entreprises privées ou de multinationales ont été relativement peu concluantes parce qu’elles se sont heurtées aux mêmes problèmes qu'avait le secteur public: les gens n'avaient pas la capacité de payer, et il fallait faire face à une forte hausse de la population. «Donc, le recours massif aux entreprises privées, malgré leurs capacités technologiques, leur savoir-faire, n’est clairement pas la solution».  En revanche, David Blanchon note un autre phénomène, moins connu, qu’est la micro privatisation: «ce sont des entrepreneurs locaux qui font face souvent à l'absence de pouvoirs publics, et qui vont eux-mêmes creuser un puits, essayer d'améliorer très localement les réseaux». Mais, fait encore remarquer l’expert, ce n'est pas cela non plus qui peut couvrir l'ensemble d'une municipalité.

L’eau, source de tensions

De plus en plus souvent, l’accès à l’eau est présenté comme un enjeu géopolitique, au centre des questions de relations internationales. Si effectivement une gestion non équilibrée est génératrice de tensions, David Blanchon préfère observer que ces tensions ne se transforment pas en conflit ouvert, à de très rares exceptions près. Prenant l’exemple du barrage controversé construit sur le Nil par l’Éthiopie en amont de l’Égypte, l’universitaire note que, dans le sens des recherches menées plus largement par Aaron Wolf aux États-unis sur ces questions de géopolitique de l’eau, «c’est plutôt un facteur de coopération» qui domine. Tout en reconnaissant un conflit latent autour du volume et du rythme de remplissage de ce barrage, «il y a une discussion, certes tendue, mais pour essayer d'arriver à une solution». Configuration que l’on retrouve généralement autour des grands bassins internationaux. «On a assez très peu d'exemples où en fait l'eau est un facteur de conflits», poursuit-il. Cependant, «l’eau peut être utilisée dans les conflits. On l'a vu par exemple avec l'État islamique qui combattait pour prendre le contrôle des barrages, mais l’eau n’était pas à l’origine du conflit. C'est pendant la guerre que l'eau est devenue un objectif tactique pour les belligérants»

La situation est différente au niveau local, conclut le géographe, où l’accès à l’eau peut-être un facteur très fort de conflit. Il cite l’exemple de la construction de bassines agricoles en France, ces réserves destinées à compenser le manque d’eau pour l’agriculture, objet d’une forte opposition, parfois musclée, des écologistes, et qui ne fait pas non plus l’unanimité chez les scientifiques. 

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22 mars 2023, 17:59