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Ruines de Jandaris dans la province d'Alep en Syrie, le 7 février 2023. Ruines de Jandaris dans la province d'Alep en Syrie, le 7 février 2023.   (AFP or licensors)

Séisme en Turquie et en Syrie, les réactions sur place d’Églises locales

Florilège de témoignages recueillis les heures suivant le séisme qui a secoué les deux pays et fait des milliers de morts. Vicaire en Turquie, prêtres d’Alep, responsables de Caritas locales, ils racontent la tragédie, et comment l’après s’organise.

Mise à jour le 8 février à 10h50 - Cité du Vatican

Quelque 23 millions de personnes pourraient être touchées par les séismes qui ont secoué le sud-est de la Turquie et le nord de la Syrie, a indiqué mardi l'OMS, promettant son soutien sur le long-terme après l'envoi d'aide d'urgence. Le séisme, suivi de puissantes répliques, a tué plus de 9 500 morts en Turquie et en Syrie, faisant également des milliers de blessés et de sans-abri par un froid glacial, mais le bilan est encore provisoire, mercredi à la mi-journée.

Dans la nuit de dimanche à lundi, un fort tremblement de terre, de magnitude 7,8, s'est produit entre le sud de la Turquie et le nord de la Syrie. De nombreux bâtiments se sont effondrés dans des dizaines de villes des deux pays, dont le château de Gaziantep en Turquie. Tout cela dans un contexte difficile, à la fois à cause de la présence de nombreux réfugiés, mais aussi à cause des froides températures de l'hiver. Les connexions sont rompues, l'aide est donc lente à arriver, malgré les efforts des autorités locales et de la communauté internationale. Caritas Europe se mobilise pour venir en aide à la population, la Conférence épiscopale italienne a déjà prévu 500 000 euros comme première aide.

En France, l'Œuvre d'Orient est mobilisée. Ainsi à la demande des évêques d’Alep réunis en comité d’urgence, Vincent Gelot, directeur pays Liban/ Syrie de l’Œuvre d’Orient est parti cette nuit de Beyrouth dans un camion à semi-remorque de 10 tonnes chargé de 5 216 couvertures. Le camion arrivera en fin d’après-midi à Alep et les couvertures seront distribuées aux communautés chrétiennes (catholiques et orthodoxes) ainsi qu’à des familles musulmanes d’Alep.

Témoignage de Vincent Gelot, directeur Liban-Syrie de L'Œuvre d'Orient


«Nous étions au troisième étage, la peur était énorme et maintenant tous les gens sont dans la rue, dans le froid et sous la pluie», explique Mgr Antoine Audo, évêque d'Alep des Chaldéens. Les appels téléphoniques sont perturbés, la communication est loin d'être facile. «Nous ne sommes pas habitués à ce genre d'événement, c'est la première fois que je vois quelque chose comme ça à Alep», assure-t-il alors que les sirènes des voitures de secours retentissent.

«Ce soir, nous dormirons à l'entrée de l'évêché ou ailleurs, nous verrons ce qu'il faut faire. Il y a une grande peur, il y a des dégâts partout, même dans la cathédrale. Les bibliothèques sont détruites, les maisons se sont effondrées: c'est une situation apocalyptique». L'évêque parle d'autres personnes qui ont réussi à se sauver, malgré le fait que «la moitié de leurs bâtiments se sont effondrés». Pendant qu'il est au téléphone, il se rend sur place pour constater la situation. «Tant de gens sont dans leurs voitures, tout le monde a un téléphone portable à la main et essaie de communiquer. La situation est très triste et nous avons maintenant besoin de véhicules de secours, d'électricité. C'est là le problème», conclut-il.

Témoignage de Mgr Antoine Audo, évêque chaldéen d'Alep

Réaction du vicariat apostolique d'Anatolie

«Les téléphones portables se déchargent, mais pour l'instant, nous sommes en contact permanent», déclare pour sa part Mgr Paolo Bizzeti, vicaire apostolique d'Anatolie, d'une voix brisée par l'émotion. Ici, il y a des centaines de morts, mais dans la zone de l'épicentre, souligne-t-il, nous parlons de milliers de personnes qui ont perdu la vie. «Je sais qu'un hôpital s'est effondré, qu'un autre est hors d'usage, qu'il y a plus de deux cents maisons effondrées et qu'il est difficile de se rendre dans ces endroits».

«La situation s'aggrave malheureusement. Il n'y a pas d'électricité,  pas d'eau potable, donc il y a une urgence et franchement c'est très dur. Cependant, les gens se regroupent dans un bel esprit de solidarité. Ici, au siège épiscopal, nous avons également accueilli une cinquantaine de personnes. La situation est vraiment dramatique et je crains qu'elle ne soit pas terminée, car ce tremblement de terre a vraiment pris de grandes proportions.

Dieu merci, les gens gardent la foi. Mais on ne peut nier que pour les réfugiés, c'est une tragédie dans la tragédie, pour les autres, c'est une vie qui se retrouve bouleversée. Ainsi, comme toujours dans ces occasions, il y a un sentiment d'incertitude. Mais hier encore, on a pu célébrer l'Eucharistie, les gens ont prié. La foi est d'un grand secours.»

Le problème est alors d'apporter de l'aide à ceux qui se trouvent sous les décombres. «Les liaisons aériennes sont suspendues, l'aéroport d'Antioche, ajoute-t-il, est endommagé».

 La cathédrale d'Iskenderun effondrée en Turquie 

Père Antuan Ilgit, vicaire délégué et chancelier du Vicariat apostolique d'Anatolie, affirme aue «bien que notre cathédrale se soit presque entièrement effondrée, les bâtiments dans lesquels l'évêque, les sœurs et moi-même vivons sont partiellement utilisables. Et comme nous avons une grande cour, des gens sont venus s'y réfugier. Ce sont des catholiques, des orthodoxes, des arméniens, mais aussi beaucoup de musulmans que je suis moi-même allé inviter dans les rues pour qu'ils restent avec nous. Nous avons partagé et partageons tout ce que nous avons dans nos cuisines et nos frigos. J'ai célébré la messe presque dans le noir et tout le monde, même si certains n'étaient pas chrétiens, a participé. La nuit a été difficile parce qu'il pleuvait fort et qu'il faisait froid, et les secousses continues étaient très fortes. C’était difficile pour les gens de rester dehors, mais ils avaient aussi peur d'être à l'intérieur. Peu à peu, les nouvelles arrivent concernant les décès des voisins et des proches de nos paroissiens qui vivaient ici à Iskenderun mais surtout à Antioche. Le pasteur protestant et sa femme se trouveraient toujours sous les décombres. Ils sont présumés morts.»

Des zones difficiles à atteindre

Laura Stopponi, responsable du bureau Europe de Caritas Italie, rappelle que «les tremblements de terre sont une constante en Turquie», mais celui d'une intensité similaire remonte à très longtemps. «Ce qui a été touché, c'est une grande zone, où vivent de nombreux réfugiés et dans laquelle, souligne-t-elle, il y a des températures très basses. Les tremblements continuent et sont très forts même dans ces minutes».

Caritas Turquie a un projet en cours pour les réfugiés et le diocèse d'Anatolie compte de nombreux bénévoles dans les communautés. «Les personnes avec lesquelles nous sommes en contact, nous travaillons avec elles depuis des années», explique-t-il. Dans ces contextes, il est important d'intervenir immédiatement, mais comment le faire? «Seule la collecte de fonds peut être activée dans de tels moments, car les zones sont difficiles à atteindre. Le gouvernement turc a demandé une aide internationale précisément parce qu'il n'est pas facile de se rendre dans la zone touchée qui, je le répète, est très étendue».

Des bâtiments entiers effondrés à Alep

Frère Ibrahim Alsabah, curé à Alep pendant des années et se trouve maintenant à Nazareth. De là, il a suivi ce qui se passe dans sa communauté depuis la nuit dernière. «La situation est très difficile, au moins 36 maisons se sont effondrées à Alep et il y a plus de 50 morts. Plus de deux cents personnes sont blessées, mais le drame est qu'il y a encore des centaines de personnes sous les décombres». Les images des effondrements lui parviennent sur son téléphone portable depuis le matin: «Des maisons, des bâtiments entiers, des routes endommagées, même notre église de Saint-François a été touchée. Je pense aux municipalités situées plus au nord d'Alep, où il y a des communautés chrétiennes latines», note-t-il, submergé par l'émotion.

En ces heures à Alep, les églises sont toutes remplies de centaines de personnes et de familles, et de la nourriture et des abris leur sont offerts. «Personne ne veut bouger pour rentrer chez lui, à cause de la peur que suscite la possibilité de nouvelles fortes secousses et de la situation d'insécurité de tant de maisons», explique le père Alsabah en contact permanent avec la ville syrienne. Des abris sont mis en place dans l'église Saint-François pour y passer la nuit. Il est difficile de trouver des matelas, mais des couvertures sont fournies pour atténuer les températures qui, même ce soir, risquent de descendre en dessous de zéro.

L’urgence est aujourd’hui pressante, comme en témoigne également le frère Georges Sabé, mariste à Alep.

Témoignage du frère Georges Sabé

Le religieux explique combien il est difficile mais nécessaire de s'accrocher à l'espérance, après cette catastrophe qui s'ajoute à plus d'une décennie de guerre. 

Écouter frère Georges Sabé
Témoignage du père Georges Sabé à Alep en Syrie

Décès du père Imad Daher

Le frère Ibrahim a aussi partagé la triste nouvelle de la mort d'un prêtre grec-melkite, le père Imad Daher, dont le corps a été retrouvé après des heures de recherche sous les décombres à Alep. Les églises de la ville syrienne accueillent des centaines de personnes qui ont décidé de quitter leurs maisons parce qu'elles ont été détruites ou fortement endommagées. L'évêque émérite melkite de la ville, Mgr Jean-Clément Jeanbart, qui était avec le prêtre, a été sauvé depuis le balcon de sa maison et a été accueilli avec seulement ses vêtements dans le monastère franciscain d'Azizeh, près de la paroisse latine d'Alep.

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07 février 2023, 10:43