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Dans les locaux de Radio Begum. Crédit - Hamida Aman. Dans les locaux de Radio Begum. Crédit - Hamida Aman.   Les dossiers de Radio Vatican

En Afghanistan, la résistance d'une radio féminine

Une radio faite par des femmes, pour des femmes. C'est le défi que l'entrepreneuse Hamida Aman et son équipe, entièrement féminine, relèvent quotidiennement dans un pays sous la coupe des Taliban. Radio Begum, «Radio Reine» en persan, est diffusée dans 10 provinces sur 34 en Afghanistan.

Marine Henriot – Cité du Vatican

Elles sont 15 femmes à former l’équipe de Radio Begum et à symboliser la résistance de tout un pays. «La ligne éditoriale de la radio, c’est l’éducation», explique Hamida Aman, la fondatrice de Radio Begum, originaire d’Afghanistan, réfugiée en Suisse à l’âge de 8 ans après l’invasion soviétique. Fondée en mars 2021 et diffusée depuis Kaboul, Radio Begum diffuse six heures de cours par jour. Des cours de langue, d’histoire-géographie, de la 5ème à la terminale, enregistrés en présentiel comme dans une salle de classe pour créer une atmosphère studieuse.

Radio Begum a commencé d’émettre en mars 2021, quelques mois avant l’arrivée au pouvoir des Taliban, alors que les négociations à Doha semblaient déjà exclure les femmes de la société. Dès leur retour au pouvoir au mois d’août suivant, en dépit des promesses faites à la communauté internationale pour d’abord sauver les apparences, les islamistes ont imposé progressivement des interdictions: en septembre 2021, le retour à l’école des filles afghanes de plus de 12 ans a été reporte sine die. En décembre 2022, un décret vient éteindre tout espoir, c’est désormais l’accès à l'université qui sera interdit aux femmes. En cette année 2023, aucune femme ne peut se rendre en école en Afghanistan.

Travailler sous un couperet

Si les écoles sont fermées aux femmes, les directives talibanes n’interdisent pas l’éducation. La radio des reines est autorisée, mais se sait surveillée par les autorités afghanes, «Tous les jours nous avons des remises à l’ordre, nous apprenons chaque jour à composer avec un régime autoritaire qui nous surveille et nous interdit beaucoup de choses», détaille Hamida Aman, «c’est vraiment un travail d’équilibriste, nous naviguons à vue».

Hamida Aman, entourée d'une partie de l'équipe de Radio Begum.
Hamida Aman, entourée d'une partie de l'équipe de Radio Begum.

Aujourd’hui, l’équipe de la radio des reines est composée uniquement de femmes. Un choix éditorial, qui colle aux exigences du régime, «le fait de ne pas être en contact avec des hommes fait que les autorités talibanes apprécient, nous répondons ainsi à leur demande, c’est une manière de nous protéger d’être entièrement entre femmes», témoigne la fondatrice.

Détresse psychologique

En plus des six heures quotidiennes consacrées à l’éducation, Radio Begum propose des conseils de santé et un soutien psychologique et spirituel, dans un pays où une grande majorité de la population est en souffrance. «La vie des femmes et des filles d’Afghanistan est ravagée par la campagne répressive menée par les talibans contre leurs droits fondamentaux», écrit Amnesty International dans un rapport de juillet 2022.

Tous les jours, les auditrices peuvent appeler, parler de leur quotidien, partager leurs souffrances, ou même parler directement avec une gynécologue, «en ce moment en Afghanistan les femmes n’ont même pas assez d’argent pour acheter du pain, donc pour elle c’est impossible d’aller chez le médecin, c’est vraiment une consultation gratuite, un service rendu aux femmes les plus démunies», détaille la fondatrice.

Radio Begum est une «sorte de phare dans un océan de misère», continue Hamida Aman, «même si nous n’avons plus beaucoup de liberté, nous sommes très restreintes dans ce que l’on doit dire ou pas dire, au moins nous sommes là, au moins il y a un lieu où l’on parle des femmes, où elles peuvent pleurer, jusqu’à présent, ils ne nous interdisent pas de pleurer». Les auditrices qui appellent la radio sont de plus en plus jeunes, s’inquiète Hamida Aman, «les personnes qui nous font part de leur détresse et de leur envie de se donner la mort sont des adolescentes, de plus en plus, et avec le dernier décret qui a fermé les universités en décembre, les autorités ne pouvaient pas faire pire, pour vraiment ne donner aucun espoir.»

Dans la bouche des femmes en pays taliban, une phrase est de plus en plus répétée: «La vie d’une femme afghane n’a plus aucun intérêt».

Entretien avec Hamida Aman

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24 janvier 2023, 12:16