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Cour de justice de l'Union européenne à Luxembourg Cour de justice de l'Union européenne à Luxembourg 

Droit européen, droit national: un débat biaisé et politique

Le droit européen prime-t-il sur le droit national ? c’est la question qui agite depuis plusieurs semaines les Européens, à cause de la décision du Tribunal constitutionnel polonais qui juge que certains articles des traités de l’Union sont «incompatibles» avec la constitution polonaise. Ce débat, de juridique et fondamental, s’est déplacé dans le champ politique, la Commission engageant un bras de fer avec le gouvernement polonais. Mais que signifie au juste cette primauté ? Explications.

Entretien réalisé par Xavier Sartre – Cité du Vatican

Parler de droit européen au singulier, c’est déjà simplifier un peu trop les données du problème. Bernard Stirn, président de section honoraire du Conseil d’État français et membre de l’Institut de France, professeur de droit à Sciences Po Paris, précise d’emblée que le droit européen puise à trois sources : le droit issu des traités de l’Union européenne, dont le dernier est celui de Lisbonne, le droit de la Convention européenne des droits de l’Homme du Conseil de l’Europe et les droits nationaux.

«Les cours constitutionnelles, les cours suprêmes, les parlements des différents pays, sont les premiers à appliquer, à mettre en œuvre, à faire vivre le droit européen dans le cadre tracé par le droit de l’Union et le droit de la Convention» précise le légiste. «Ce que l’on appelle le droit européen, c’est en réalité l’interaction extrêmement dynamique» entre ces trois droits, résume-t-il.

Un équilibre à trouver

Certes, «nous n’avons pas un système parfaitement ordonné comme dans un État où l’on a un système parfaitement pyramidal», reconnait Bernard Stirn. «Toutes les difficultés que nous connaissons aujourd’hui et qui sont parfaitement surmontables et maitrisables, peut-être au prix d’une certaine complexité, tiennent au besoin d’articuler ces trois sources, ces trois piliers du droit européen.»

Complexité donc, mais pas «chaos» tient à souligner l’ancien membre du Conseil d’État. «De nombreuses jurisprudences tant des deux cours européennes, Cour de Justice de l’Union européenne et Cour européenne des droits de l’Homme, que des cours constitutionnelles et des cours suprêmes nationales permettent d’articuler ces différents ordres juridiques les uns avec les autres. Ils se recoupent sur bien des points, mais ils ne se superposent pas complètement et c’est cela qui crée probablement ces difficultés et les querelles auxquelles nous pouvons assister».

Logiques conciliatrices ou provocatrices

Quand intervient un problème il y a deux types de réaction détaille Bernard Stirn : des logiques conciliatrices et des positions provocatrices. Si dans la plupart des cas, les juges nationaux considèrent que la constitution nationale est la norme juridique suprême dans leur ordre interne, ils savent qu’«ils sont aussi les premiers à appliquer le droit de l’Union et de droit de la Convention. Quand ils sont les juges de droit commun du droit de l’Union ou de la Convention, ils appliquent d’abord ces droits avec des filets de sécurité tenant à des impératifs constitutionnels que là, le juge national devrait faire primer».

Dans ce travail de conciliation, les cours s’appuient les unes sur les autres, chaque juridiction étant attentive à ce que fait sa voisine. D’où une cohérence entre les jurisprudences des différents États membres de l’UE.

Dans le cas de la Pologne qui a rallumé le débat sur la souveraineté nationale, le Tribunal constitutionnel ne fait que rappeler ce qu’il avait déjà affirmé par le passé et ce que d’autres cours ont fait également «mais dans l’ordre juridique interne», explique Bernard Stirn. «Ce qui pose problème dans la décision du Tribunal constitutionnel polonais, c’est qu’il ne mentionne pas l’existence d’ordres juridiques européens et fait comme si ces ordres n’avaient pas leur propre existence. Et cela, c’est évidemment problématique parce que le système juridique qui se développe aujourd’hui en Europe tend à organiser les différents ordres juridiques».

Entretien avec Bernard Stirn, professeur de droit à Sciences Po Paris

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04 novembre 2021, 16:36