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Des migrants et des personnes les soutenant lors d'une action de sensibilisation à Paris, le 25 juin 2021 Des migrants et des personnes les soutenant lors d'une action de sensibilisation à Paris, le 25 juin 2021 

Migrants: l’État doit renforcer l’accueil d’urgence, demande Mgr Malle

Mgr Xavier Malle, évêque de Gap et Embrun, déplore le manque de structures d’accueil pour accueillir les migrants et réfugiés arrivés sur le sol européen par l’Italie. L’errance récente d’un groupe de 150 personnes à Briançon rappelle la nécessité d’une solution durable.

Entretien réalisé par Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican

Du Nord au Sud, la France fait face au défi de l’accueil des migrants. À Briançon, dans les Hautes-Alpes, une maison d’accueil débordée a dû fermer la semaine dernière, au lendemain de son inauguration. Près de 150 migrants ont alors trouvé refuge à la gare puis dans l’église Sainte-Catherine, mise à disposition par son curé avec l’accord de l’évêché. Ce mardi, une majorité a pu quitter le département en bus vers Lyon et Valence. Pour les autres, c’est l’incertitude. L’afflux de migrants est un phénomène récurrent dans ce département de montagne. L’évêque de Gap et Embrun, Mgr Xavier Malle, rappelle pourquoi l’Église a tenu à venir en aide à ces personnes arrivées en France depuis l’Iran, l’Irak, l’Afghanistan, l’Égypte ou encore le Maroc.  

Entretien avec Mgr Xavier Malle

«Tout simplement pour des raisons humanitaires. Briançon est la ville la plus haute de France, et il fait déjà largement en-dessous de zéro la nuit, donc on ne peut pas laisser les gens dehors. Nous faisons face à un pic de la migration, et il faut bien y faire face. Il y a des hauts et des bas suivant les années. Là, nous sommes plutôt dans une période haute. Il s’agissait de répondre à la demande, ce que ne peut pas faire le nouveau refuge qui s’appelle "les terrasses solidaires": il est limité à 80 places, et ils étaient 140. Il y a donc un vrai problème de sécurité et de relations humaines entre les réfugiés eux-mêmes quand ils sont entassés à 140.

Actuellement, quelques dizaines de ces réfugiés ont déjà quitté la ville, d’autres sont en attente. Que vont-ils devenir, en savez-vous plus?

Il semble que la Préfecture et les services de l’État aient décidé de favoriser le départ, car ces personnes sont seulement de passage à Briançon. Un des soucis venait du fait que l’on n’arrivait plus à les faire partir de Briançon, à cause de la question des pass sanitaires, et parce que la ligne de train pour Grenoble, pour Paris et pour Lyon est en travaux. Il semble que la majorité pourra partir de Briançon aujourd’hui. Il en restera donc quelques-uns, mais on arrivera à gérer avec ceux qui vont rester.

Le pic va passer. Mais on sait parfaitement qu’il y en a énormément en Italie, de l’autre côté de la frontière. Le refuge "les terrasses solidaires", qui a été créé par les associations locales et par des grandes fondations nationales – c’est le grand changement de ce nouvel outil – a 80 places. Donc il faut que l’État s’organise pour la 82e personne que l’on sera obligés de refuser au refuge solidaire.

Dans un communiqué, vous avez interpellé les autorités, notamment le ministre de l’intérieur. Qu’attendez-vous précisément de leur part?

Justement, de s’occuper de la 82e personne et au-delà. Est-ce que c’est simplement avec des chambres d’hôtel, est-ce que c’est le 115, ou bien est-ce que c’est d’avoir une structure, de louer des colonies de vacances peu utilisées l’hiver ? En tous cas on ne peut pas laisser les gens dehors à Briançon. Le refuge solidaire a certes doublé sa capacité avec le nouveau lieu des «terrasses solidaires», mais ça ne suffit pas, et on le savait dès l’origine. À la limite, l’État est bien content d’avoir ces "terrasses solidaires", mais il faut qu’il joue réellement son rôle d’accueil d’urgence.

Ce n’est pas la première fois que Briançon fait face à un afflux de migrants ; c’est même un scénario qui se répète chaque année. Comment expliquer qu’on ne trouve pas de solution?

La vérité, c’est que l’État ne veut pas avoir de choses durables parce qu’il a peur de l’appel d’air. Je récuse cette problématique, pour moi ce n’est pas un appel d’air. Les réfugiés et les personnes migrantes sont présents en Italie. D’une manière ou d’une autre, ils passeront par les montagnes.

Je refuse deux choses: rendre plus difficile encore leur passage, car ils passeront, il y aura plus de risques, et des risques de mort; et de ne pas conforter leur arrivée. J’ai récemment rencontré un jeune Iranien parti il y a sept ans, à l’âge de seize ans. Cela fait sept ans qu’il est sur les routes. Il est arrivé à Briançon, il était là depuis sept jours. C’est dramatique. Que les auditeurs imaginent, un de leurs enfants qui part à seize ans et qui n’est encore arrivé nulle part sept ans après.

Les gens n’arrivent pas à Briançon parce qu’ils vont avoir un lit dans un bâtiment magnifique qui s’appelle "les terrasses solidaires", ils passent à Briançon parce que la montagne est le seul lieu par lequel ils peuvent passer, étant donné que tous les autres lieux ont été à peu près verrouillés. Pour nous, la demande est que l’État s’organise pour cette arrivée d’urgence à Briançon, et s’organise d’une manière durable. Pas simplement comme on l’a fait là – mais finalement l’État est en train de jouer son rôle – pour répondre à un pic et à une crise conjoncturelle.

Comment l’Église va-t-elle continuer d’apporter son soutien aux migrants et aussi aux habitants des Hautes-Alpes?

L’Église intervient de deux façons. D’une part dans l’accompagnement quotidien de ces personnes, par les chrétiens eux-mêmes. L’Église n’est pas forcément en première ligne dans toutes ces associations, mais celles-ci sont composées de beaucoup de chrétiens (…). Je veux tirer un grand coup de chapeau à toutes les associations solidaires de Briançon : pour une toute petite ville – 12 000 habitants -, il y a un réseau associatif qui est formidable, avec des chrétiens d’un grand dévouement. Cela fait cinq ans qu’ils sont à fond sur ces sujets-là. L’Église est donc d’abord dans l’accompagnement local.

Elle est ensuite dans un rôle – et c’est davantage le mien – de plaidoyer, de faire l’intermédiaire entre les autorités et les associations. Mon objectif est que chacun se parle, parce que c’est un problème qui dépasse tout le monde. Il n’y a pas une solution miracle, personne n’a la solution miracle à cela ; il faut donc que chacun se parle. Il faut que les autorités parlent aux associations, et inversement, et cela vient petit à petit. Donc si l’Église peut être l’intermédiaire, elle assure cela.

En ce moment à Calais, la situation est un peu semblable. Comment voyez-vous cette action de grève de la faim, menée pour interpeller les autorités?

La situation à Calais est bien plus dramatique que chez nous, parce que l’État joue un très mauvais rôle. Quand on prend les affaires des migrants, quand on interdit aux associations de les aider, c’est vraiment une question humanitaire. Je pense qu’il y a vraiment de vraies responsabilités de l’État, qui un jour pourront être mises en cause devant des cours internationales, si l’État continue à Calais son rôle tel qu’il le joue actuellement.

On ne peut donc que soutenir la grève de la faim actuelle de trois personnes, dont un prêtre, un jésuite, qui ne demandent pas des choses extraordinaires. Ils demandent simplement qu’on autorise à donner à boire aux personnes réfugiées. Ce sont des demandes qui sont complètement légitimes. Donc on peut que les soutenir là-dessus… tous nos encouragements à tout le monde à Calais.  


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27 octobre 2021, 15:53