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Noel Curran, directeur général de l'Union Européenne de Radio-Télévision. Noel Curran, directeur général de l'Union Européenne de Radio-Télévision. 

Noel Curran: la pandémie montre le rôle vital du journalisme

Interview du directeur général de l'Union Européenne de Radio-Télévision l'UER sur les défis des médias de service public à l'ère de la pandémie. Selon lui, le journalisme de qualité est menacé sur de nombreux fronts, mais il peut survivre à ce "feu croisé" et même prospérer.

Alessandro Gisotti

Pendant la pandémie, «le journalisme des médias de service public est devenu vital pour les campagnes d'information et de santé publique, vital pour une bonne compréhension et analyse. Cela permettait d'informer les gens, mais surtout de les garder en vie». Il s'agit là d'un extrait de la conférence du Prix Italia de la BBC donnée par Noel Curran, directeur général de l'UER, l'Union Européenne de Radio-Télévision, qui est la principale alliance mondiale de médias de service public. Une structure qui rassemble 115 organismes membres dans 56 pays et 31 autres associés dans le monde. Dans cet entretien avec Radio Vatican et L'Osservatore Romano, M. Curran se penche sur l'avenir du journalisme à la lumière de la pandémie et explique pourquoi l'information sera toujours vitale pour le bien commun et le progrès des sociétés démocratiques.  

En donnant cette conférence de la BBC au Prix Italia, vous avez déclaré que le journalisme est en danger. Quels sont, selon vous, les principaux obstacles à une bonne information et à un journalisme de qualité aujourd'hui ?

Je pense que de nombreux défis sont particulièrement complexes. L'un d'entre eux est le cycle d'information numérique, qui fonctionne 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Cela signifie des délais d'exécution rapides pour les articles, la rapidité, essayer d'arriver le premier. Je pense que cela représente un défi car certains journalistes n'ont pas le temps de faire des recherches appropriées et s'appuient sur les mêmes sources. Je pense que l'intimidation des journalistes est un autre vrai défi tout comme les «acteurs mondiaux». Le fait que tant de pouvoir, tant d'influence, soit désormais concentré dans quelques grandes multinationales. Et je pense aussi au pouvoir qu'ont les GAFAM qui agissent comme "gardiens" du système. Je crois que c'est également un véritable défi pour le journalisme.

Nous savons qu'il y a beaucoup de jugements négatifs sur la presse. Cependant, en particulier pendant la pandémie, le journalisme a joué un rôle très positif, notamment les médias de service public. Comment profiter de cet élan ? 

Il convient de rappeler le rôle que les médias de service public ont joué pendant la pandémie. Ils sont devenus un portail pour la population : ils sont devenus un endroit où les gens "allaient" pour s'éduquer, où les gens allaient trouver des nouvelles ou des informations de santé publique. Nous devons également maintenir cette situation parce que les médias publics ont attiré un public aussi bien jeune que plus agé. Nous devons nous demander en quoi nous sommes différents des autres. Qu'est-ce que les médias de service public offrent que les autres n'offrent pas ? Il s'agit d'offrir une gamme de programmes, de ne pas être guidé uniquement par l'audimat et le profit commercial, mais d'être orienté vers l'intérêt public, de ressentir le besoin de donner au public plus de programmes éducatifs et plus de programmes d'information.

Vous pensez que le journalisme d'investigation et l'information internationale sont essentiels et que les médias de service public devraient investir dans ces deux domaines. Pourquoi ?

Il est important que nous, en tant que médias de service public financés par des fonds publics, investissions dans le journalisme d'investigation. Nous avons vu les avantages, le bien public, comment ce journalisme a eu un impact sur la politique en Europe, comment il a permis aux gens de découvrir des mondes dont ils ne connaissaient même pas l'existence. Quant à l'information internationale, elle a un coût. Radio Vatican, par exemple, fait un travail fantastique pour faire connaître le monde aux gens, ce qui n'est pas le cas de nombreux médias. Les informations internationales sont souvent les premières à être réduites en cas de restrictions budgétaires. Je pense que pour les médias de service public, c'est une énorme erreur, car les ressources que nous investissons dans l'actualité internationale sont l'une des choses qui nous différencient de nombreux autres médias. Cela fait également partie de notre mandat en tant que service public, qui consiste à regarder au-delà de nous-mêmes et à faire découvrir le monde à notre public, où qu'il se trouve. 

Dans son message pour la dernière Journée mondiale des communications, le Pape François a noté que rien ne remplace "le fait de voir les choses en personne" et a souligné que les journalistes sont appelés à "user les semelles de leurs chaussures." Comment cela est-il possible dans un environnement médiatique qui, comme vous l'avez également dit, est de plus en plus dominé par les plateformes numériques ?

Pour moi, ce que le Pape François dit à propos de "l'usure des semelles des chaussures" est pertinent à plusieurs égards. La première chose est d'aller à la rencontre des personnes que nous servons, d'être là, sur le terrain, avec elles. L'autre est que nous reflétions notre public dans notre travail. Nous devons faire très attention à avoir un personnel qui reflète largement la société en termes de race, de sexe et d'origine sociale. Pour moi, l'expression utilisée par le pape, "user les semelles de vos chaussures", s'applique dans les deux sens : cela signifie aller sur place, travailler sur le terrain, entendre ce qui se passe sur le terrain - ce que beaucoup d'entre nous font - mais cela signifie aussi refléter dans nos médias la diversité que nous voyons maintenant dans les communautés.

Comment expliquer aux jeunes - la génération des réseaux sociaux, les millennials - l'importance du journalisme pour leur avenir, pour leur vie ? Comment convaincriez-vous un étudiant que le journalisme vaut la peine d'y investir sa vie ?

Toutes les études montrent que de nombreux jeunes ont accès aux réseaux sociaux et aux entreprises high-tech, mais qu'ils sont relativement peu nombreux à faire confiance à ce qu'ils lisent. Ils accèdent donc à l'information, mais n'ont pas confiance ! Ce que je leur dirais, c'est que le journalisme professionnel vous permet de faire confiance à ce que vous lisez. Aux jeunes, je dirais : ne serait-il pas agréable de pouvoir accéder aux informations et au contenu en ligne, de la manière dont vous le souhaitez et de faire réellement confiance à ce que vous trouvez ? Parce que ce n'est pas le cas maintenant. C'est pourquoi un public plus jeune s'est tourné vers nous au cours des 12 derniers mois. Nous devons maintenant continuer à toucher les jeunes et essayer de les garder avec nous.

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07 juillet 2021, 11:27