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Ibrahim Boubakar Keïta, le 10 août 2018 à Bamako. Ibrahim Boubakar Keïta, le 10 août 2018 à Bamako.  

Le président malien IBK renversé par un coup d'État militaire

C’est une nouvelle crise au Mali. Contesté par la rue depuis plusieurs semaines, le président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) a été renversé le 18 août par un coup d'État militaire, après une mutinerie acclamée par des manifestants. Le chef d’État déchu a ensuite annoncé sa démission et la dissolution du Parlement, dans un discours à la télévision publique. Les militaires ont promis «une transition politique civile».

Vatican News

Ibrahim Boubacar Keïta, alias IBK, a fait son apparition vers minuit mardi soir sur la télévision publique ORTM. Avec un masque sur la bouche, il a expliqué avoir œuvré depuis son élection en 2013 à redresser le pays et à «donner corps et vie» à l'armée malienne. Il a ensuite évoqué les «manifestations diverses» réclamant son départ, puis l’intervention des militaires plus tôt dans la journée, estimant devoir s’y «soumettre». «Je ne souhaite qu'aucun sang ne soit versé pour mon maintien aux affaires », a déclaré IBK, avant d’annoncer sa démission, la dissolution de l’Assemblée nationale, et celle du gouvernement.

Tout est donc allé très vite ces 24 dernières heures, après des mois d’une grave crise socio-politique. Une mutinerie avait éclaté le 18 août au matin dans la garnison militaire de Kati, près de Bamako. On a ensuite vu les soldats fraterniser avec les manifestants dans la capitale. Puis les mutins ont pris la direction du domicile d’IBK, pour arrêter le chef de l’État et son Premier ministre Boubou Cissé.

Le Mali se retrouve donc désormais aux mains des militaires qui ont annoncé vouloir mettre en place une «transition politique civile» qui devrait conduire à des élections générales dans un «délai raisonnable». Le porte-parole de l’armée malienne a déclaré que les «forces patriotiques» du pays étaient désormais «regroupées au sein du Comité national pour le salut du peuple».  Dénonçant les multiples maux qui affectent le pays, il a enfin souhaité des «institutions fortes» pour un «Mali nouveau». 

Une réunion d'urgence à l'ONU

Parmi les nombreuses condamnations de ce coup de force : celle de la Cedeao, la Communauté des Etats ouest-africains qui a dit rejeter catégoriquement «toute forme de légitimité aux putschistes» et a annoncé des mesures immédiates dont la fermeture des frontières. Réaction également du secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres qui a appelé à la «libération immédiate et sans conditions» du président malien. Le Conseil de sécurité des Nations unies se réunira ce mercredi après-midi en urgence à huis clos.

Le pays avait déjà vécu un putsch militaire le 22 mars 2012, avec alors le renversement du président Amanou Toumani Touré, dit ATT. Depuis cette époque, le Mali vit sous la menace djihadiste, les terroristes s'emparant d'une partie du pays. Chassés partiellement du territoire par une coalition internationale menée par la France, depuis 2013, le pays est encore fragilisé par les groupes djihadistes.

Interrogé par Adélaïde Patrignani, André Bourgeot, directeur émérite de recherche au CNRS, au laboratoire d’anthropologie sociale, revient d’abord sur les raisons du soulèvement des militaires. 

Entretien avec André Bourgeot

Il faut resituer dans le contexte: il y a d’abord eu une mutinerie qui s’est manifestée sur des bases différentes des finalités des putschistes actuels. Ils ont été mécontents car une note de service émanant des autorités maliennes exigeait que pour les promotions des hommes du rang et des sous-officiers, il fallait nécessairement être détenteur d’un bac+1 ou bac+2. Ils ont donc riposté d’une manière très ferme, très virulente à cet égard parce que cela pose le problème de l’intégration des ex-rebelles indépendantistes dans les structures des Forces Armées Maliennes: à eux, on ne demande pas de diplômes. Donc cela a créé des dissensions au sein même de l’armée, c’est le début de la mutinerie. Cette mutinerie a été jugulée très rapidement par le reste de l’armée malienne, qui est intervenue et a perpétré son coup d’État, faisant en sorte que l’ex-président de la République soit arrêté – je dis «ex» car il a présenté sa démission, ainsi que tout son gouvernement: ils ont été arrêtés et jetés en prison.

Qu’est-ce que ce coup d’État a de particulier par rapport au précédent, qui a eu lieu en 2012?

La particularité, c’est que ce coup d’État n’a fait aucune victime. La deuxième chose, c’est que la tête pensante – ou le leader – de ce putsch militaire a une envergure beaucoup plus grande sur le plan intellectuel, sur le plan de l’analyse, que le capitaine de l’époque, qui a été promu par la suite général.

D’autre part, le contexte politique est complètement différent, puisqu’il y a eu toute cette opposition incarnée par le M5-RFP qui a eu une certaine audience, incontestable, dans les manifestations organisées depuis le 5 juin, où des dizaines de milliers de personnes ont suivi ce mouvement M5 dont les objectifs fondamentaux étaient les suivants: la démission du président de la République et de tout son régime. On pourrait donc penser qu’il y a une relation de cause à effet entre les revendications du M5 et les décisions prises par le nouveau mouvement militaire, ce qui n’est pas du tout le cas.

Pour quelles raisons soulignez-vous ce décalage?

Dans la déclaration qui a été faite par les militaires, ceux-ci ne font pas du tout référence à ce mouvement M5-RFP. Dans ces circonstances, le contenu des déclarations des militaires est le suivant: d’une part respecter les décisions prises par le «dialogue national inclusif» qui s’est tenu il y a quelques mois, initié par l’ancien président de la République, d’autre part [respecter] les conditions d’application, qui doivent maintenant être appliquées, sur le contenu des accords de paix dits «accords d’Alger» signés en juin 2015 par les belligérants, c’est-à-dire les anciens indépendantistes et par les autorités maliennes, sous la pression de la communauté internationale.

Ces deux aspects-là ne peuvent pas satisfaire les revendications émanant du M5 et du grand mouvement populaire initié par ce mouvement. Donc il va y avoir nécessairement une recomposition à l’intérieur de ce mouvement M5. Certains sont susceptibles de rallier le putsch, et d’autres ne vont pas être d’accord.

La troisième chose qui me parait importante, c’est de savoir quelle va être l’attitude de l’Imam Dicko, qui représente l’autorité morale de ce M5. Cela veut dire que cette autorité morale et que l’autorité stratégique du M5 sont confrontés à de graves difficultés pour prendre une position afin d’éviter un chaos ou des affrontements. Ce sont des situations qui ne peuvent être porteuses que de conflits et de réorganisations du politique vis-à-vis de ce coup d’État militaire.

Quelle portée peut avoir la condamnation de ce coup d’État par la CEDEAO?

En tout état de cause, dans la situation actuelle, ce coup d’État est condamné par la CEDEAO, mais ne définitive, les objectifs déclarés par le coup d’État vont dans le sens des données imposées par la communauté internationale, puisqu’il prévoit la démission du président – c’est fait -, de son Premier ministre – c’est fait-, la dissolution de l’Assemblée nationale et la mise en place de nouvelles élections présidentielles dans un avenir proche.

La déclaration de la CEDEAO est très claire: elle condamne bien sûr le putsch. Elle va appliquer des sanctions d’ordre politique, économique et financier. Mais les conséquences de ces sanctions vont nécessairement se répercuter sur le peuple malien. Quand ce peuple va être confronté aux sanctions de la CEDEAO, cela risque de créer un grand mouvement populaire qui ne sera pas d’accord avec les sanctions prises par la CEDEAO… C’est très délicat, une situation très délicate.

Quelles conséquences sur la situation déjà instable dans le pays, notamment au Nord avec la prolifération des groupes terroristes?

C’est une porte ouverte vis-à-vis de la coordination des mouvements de l’Azawad, ex-indépendantistes. Le contenu des accords de paix soutient implicitement ces groupes-là, incarnés par le Haut-Conseil pour l’unité de l’Azawad, qui se regroupe avec le Mouvement national de libération de l’Azawad, au sein du mouvement de l’Azawad, pro-indépendantiste. Jusqu’à présent, Kidal est toujours sous leur autorité. Le putsch, en définitive, soutient la nécessité d’appliquer le contenu des accords [d’Alger], lesquels sont rejetés par tout le monde, en tout cas par le peuple malien. Ces accords n’ont jamais été discutés au sein de l’Assemblée nationale. Or du côté du M5, du mouvement d’opposition, [on insistait] sur la nécessité de refonder, de renégocier le contenu de ces accords. Il y a donc des divergences énormes. C’est pour cela que rien n’est gagné. Chacun va se repositionner par rapport à ce coup d’État. 

 

 

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19 août 2020, 11:05