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Sommet européen à Bruxelles Sommet européen à Bruxelles 

«Une solidarité nouvelle au sein de l’Union Européenne» après un accord historique

C'est un accord historique conclu ce mardi matin à Bruxelles: les dirigeants des États européens ont enfin défini un plan de relance post-coronavirus, et cela après quatre jours de négociations acharnées, notamment entre les pays dits "frugaux" et le couple franco-allemand. Décryptage avec Sébastien Maillard, directeur de l'Institut Jacques Delors.

Entretien réalisé par Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican

Ce plan va permettre de soulager l'économie européenne en proie à une récession historique, avec une première: l’émission d’une dette commune. Autrement dit, un fonds de 750 milliards d'euros qui pourront être empruntés par la Commission sur les marchés. Il comprend 390 milliards d'euros de subventions - la dette commune à rembourser par les 27 -,  qui seront allouées aux États les plus frappés par la pandémie. 360 milliards d'euros seront également disponibles pour des prêts, remboursables par le pays demandeur. L'ensemble du plan est adossé au budget à long terme de l'UE (2021-2027), qui prévoit une dotation de 1074 milliards d'euros.

Cette émission de dette commune, repose sur une proposition franco-allemande, qui a suscité une farouche opposition de la part des pays dits "frugaux" (Pays-Bas, Autriche, Danemark, Suède) rejoints par la Finlande.

Autre aspect inédit, expliqué par Charles Michel, président du Conseil européen: «ce budget est lié aux objectifs climatiques, [et] le respect de l'Etat de droit devient une condition pour l'octroi des fonds». Ce second principe a provoqué l'ire de la Pologne et la Hongrie, deux pays dans le collimateur de la Commission et du Parlement européen en raison de violations de l'État de droit.

De son côté, Emmanuel Macron a haussé le ton pour dénoncer la mauvaise volonté et les "incohérences" des États frugaux…. En bref, les tensions ont émaillé ce sommet marathon, mais c’est finalement une dynamique de solidarité qui l'a emporté: la relance spectaculaire du couple franco-allemand, et plus largement celle du projet européen, mis à mal par la pandémie de coronavirus. 

Les précisions de Sébastien Maillard, directeur de l'Institut Jacques Delors

Entretien avec Sébastien Maillard

C’est un nouveau visage dans le sens où pour la première fois l’Union Européenne aura une dette commune, c’est-à-dire que les 27 acceptent de s’endetter ensemble pour l’avenir et pour aider les pays les plus touchés par la pandémie, puisqu’on sait que grâce à ce grand emprunt européen, les bénéficiaires auront des aides directes de l’Europe qu’ils n’auront pas à rembourser. Donc cela effectivement, c’est une solidarité nouvelle au sein de l’Union Européenne.

Peut-on dire que l’esprit des Pères fondateurs a soufflé sur ce sommet?

Un petit peu pour arriver à cette solidarité: on se souvient que dans la déclaration de Schuman, il y avait déjà le mot “solidarité”. Mais on a vu aussi, au cours de ces quatre journées et demi de négociations laborieuses, que l’esprit de compromis n’était pas toujours là. Les pays autoproclamés «frugaux» cherchaient à faire monter les enchères pour payer le moins possible. On a vu que cette solidarité était loin d’être spontanément généreuse et donc ça n’a pas toujours été un sommet dans l’esprit des Pères fondateurs.

Vous avez évoqué des négociations laborieuses. C’est en effet le sommet le plus long de l’Histoire de l’UE. Est-ce révélateur de difficultés de fonctionnement, ce modèle de gouvernance est-il toujours valable aujourd’hui?

Cela pose question dans la mesure où trouver un accord à l’unanimité, arracher un compromis ambitieux, est compliqué. Mais ce n’est pas non plus le plus petit dénominateur commun: on a tout de même une solidarité conséquence, et cela grâce à une ferme volonté franco-allemande. Tout au long de ce sommet, on a vu la France et l’Allemagne vraiment soudés, essayant de faire avancer les choses le plus possible. Le couple franco-allemand a montré qu’il pouvait encore rendre de beaux services à l’Europe. Mais on voit bien aussi les limites d’un tel exercice, et surtout, les difficultés à trouver un tel accord laisseront sans doute des traces dans les mémoires collectives des peuples concernés.

Que dire de ce «glissement» de souveraineté des pays de l’UE vers la Commission européenne?

Je ne sais pas si l’on peut parler de glissement de souveraineté, dans la mesure où cet argent va être levé sur les marchés au nom des 27, et ensuite chaque pays présentera à la Commission un plan sur la manière dont il compte utiliser cet argent. C’est un argent européen, donc [le pays] ne peut pas en faire ce qu’il veut, il ne s’agit pas pour l’Europe de signer des chèques en blanc de milliards d’euros à l’Italie ou à l’Espagne pour qu’ils en disposent à leur guise. Il est normal que dans un marché commun, on s’entende de manière coordonnée pour que cet argent soit utilisé de la manière la plus efficace possible pour le bien de tous. Je n’appelle pas cela un glissement de souveraineté, mais plutôt une façon de gérer en commun ce que nous mutualisons ensemble.

Qui va payer, et quels seront les créanciers de l’UE?

La Commission va aller sur les marchés financiers – acteurs institutionnels, fonds de pension, banques, tous ceux qui voudront bien prêter de l’argent à la Commission qui, on le sait, a une très bonne notation, donc elle peut emprunter à bas taux. Ensuite, le remboursement se fera sur trente ans, jusqu’au 31 décembre 2058. L’idée est de créer de nouvelles ressources européennes, appelées ressources propres, fondées sur l’usage des plastiques, le carbone… pour que l’Europe dispose de ses propres ressources budgétaires de manière plus autonome, sans dépendre des contributions et sans que les citoyens européens n’aient à rembourser de leur poche.

N’est-ce pas la porte ouverte à un accroissement de l’endettement européen à l’avenir?

C’est un endettement européen à l’échelle de l’Union Européenne en tant que telle. C’est ce qui évite que les États nations – par exemple un pays comme l’Italie, déjà très endettée – ne se surendettent. C’est une façon aussi d’investir ensemble, pour notre avenir commun. C’est la meilleure façon, plutôt que chacun aille s’endetter de son côté: mutualiser nos forces pour avoir de meilleurs taux d’intérêt ensemble et pour pouvoir dépenser de manière collective.

Les aides sont soumises à différentes conditions: objectifs climatiques et respect de l’État de droit. Que signifie le choix de ces deux critères?

Le critère écologique signifie accélérer la transition écologique de nos économies. On sait bien qu’à terme, si l’on veut respecter l’accord de Paris sur le climat, il faut limiter nos émissions de gaz carbonique, de méthane, revoir les processus industriels, et donc investir, innover pour que cela se fasse d’une autre manière. C’est cet argent européen qui doit servir à faire cette transition, et à financer aussi des reconversions professionnelles dans les secteurs concernés par cette transition écologique.

L’État de droit veut dire concrètement l’indépendance de la justice, la liberté des médias… tout ce qui fait que nos démocraties fonctionnent normalement au sein de l’UE ; c’est un critère qui dans cet accord n’a pas forcément été très bien encadré, mais en tous cas cela fait partie des droits fondamentaux reconnus par l’UE et qui doivent être garantis partout. On ne peut pas imaginer qu’on dépense de l’argent européen dans un pays qui ne respecterait pas ces règles-là, et qui sont des principes démocratiques de base.

Est-ce que cela va poser des problèmes à certains pays, en l’occurrence la Pologne et la Hongrie?

À ce stade de l’accord, la condition de l’État de droit ne semble pas avoir été forcément encadrée, donc je pense que la Pologne et la Hongrie n’ont pas à ce stade de grands soucis à se faire par rapport à ce plan. On verra comment le Parlement européen va réagir à cela, puisqu’on sait qu’il est très vigilant sur le respect de l’État de droit.

Finalement, ce plan va-t-il sauver l’Europe?

Oui: il va d’abord sauver nos économies, il va les aider à se relever, [dans le contexte de] récession historique à laquelle nous faisons face en France, en Italie, en Espagne, au Portugal… cela va apporter de l’argent frais, dont on a besoin pour redémarrer. Et puis s’il n’y avait pas eu d’accord, si le sommet avait abouti sur un échec, on aurait effectivement pu se dire que l’esprit des fondateurs s’était vraiment dissipé, et qu’il n’y avait plus raison de faire de choses ensemble, si face à une telle crise, on n’est plus capables de se relever et de se serrer les coudes. L’Europe aurait vraiment pris un coup.

Je dirais qu’il faut savoir se réjouir – même si c’était laborieux, même si c’était douloureux – lorsqu’on réussit à mettre tout le monde d’accord. Et je pense que cet accord eût été impossible avec le Royaume-Uni: il est rendu possible car il n’y a pas eu un veto britannique comme il y en aurait eu si les Britanniques avaient été encore à bord. Là-dessus, cela montre que le Brexit n’a pas du tout disloqué l’Union Européenne mais au contraire, lui permet peut-être d’avancer davantage. 

(Avec AFP) 

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21 juillet 2020, 15:17