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Distribution d'aide alimentaire à Madrid, le 2 juin 2020 Distribution d'aide alimentaire à Madrid, le 2 juin 2020 

Covid-19 : un appauvrissement global des populations

Le CCFD-Terre solidaire appelle à défendre le multilatéralisme et le principe de subsidiarité pour lutter contre la pauvreté qui s’est accrue tant dans les pays riches que les pays émergents. Selon la Banque mondiale, entre 70 et 100 millions de personnes pourraient basculer cette année dans l’extrême pauvreté.

Entretien réalisé par Marie Duhamel – Cité du Vatican

La pandémie de Covid-19 a eu un impact «rapide et massif» sur l’économie mondiale. Pour freiner la propagation du virus, protéger leur population et éviter que leur système de santé ne soit saturé, des dizaines d’États de tous les continents ont ordonné des mesures allant du simple couvre-feu au strict confinement, mettant ce faisant les travailleurs au chômage et les entreprises à l’arrêt. Leurs économies se sont retrouvées à genoux.

En dépit de plans de relance sans précédent pris dans les économies avancées comme dans les pays émergents, la Banque mondiale annonçait en début de semaine une contraction planétaire de l’économie de 5,2% cette année, du jamais vu depuis la Seconde Guerre mondiale. Mais c'est le nombre de pays qui se retrouveront en récession qui fait de cette crise la pire depuis la Grande Dépression des années 1870.

Les classes moyennes fragilisées

Parmi les conséquences de cette chute mondiale de la croissance, figure une aggravation globale de la pauvreté, même dans les pays les plus industrialisés.

Un exemple : en Espagne, l’antenne madrilène de la Caritas rapporte avoir vu les demandes d’aides tripler pendant le confinement, 40% des personnes se présentant à leur porte n’étaient jamais venues auparavant. Des personnes de la classe moyenne ont basculé dans la pauvreté ou pourraient y basculer dans les mois qui viennent.

«Ces personnes vivaient déjà, en tout cas dans nos pays, avec un certain sentiment de déclassement. Celui-ci s’est accéléré avec la crise parce que ces personnes ont été mises au chômage technique parfois définitif» avec le risque de ne plus pouvoir se loger, explique la présidente du CCFD-Terre solidaire, Sylvie Bukhari-de-Pontual.

Les jeunes non-diplomés vers le secteur informel

La situation des jeunes, en particulier des non-diplômés qui font actuellement leur entrée sur le marché du travail, est également préoccupante. «Beaucoup risquent d’être contraints d’entrer dans l’économie informelle ce qui veut dire une extrême fragilisation de leur statut social, de l’accès à un logement, de la capacité de créer et assumer une famille, bref tout ce qui fait les dimensions essentielles d’une vie digne» estime l’enseignante à la Faculté de sciences sociales et économiques de l'Institut catholique de Paris.

Le secteur informel est appelé à croître dans les pays industrialisés. Il existe déjà à une «échelle extrêmement importante dans les pays du Sud», rappelle Sylvie Bukhari-de-Pontual. Ces travailleurs journaliers, qu’ils soient «vendeurs de rue, gardiens, femmes de ménage, éboueurs», vivent de leurs revenus quotidiens, et privés de travail au moins partiellement pendant la période la plus critique de la crise sanitaire, ils se sont parfois retrouvés à manquer d’argent pour payer leurs besoins même essentiels, telle que la nourriture.

Après la crise sociale, la crise alimentaire

La crise économique et sanitaire pourrait se doubler d’une crise alimentaire. «La crise alimentaire touche déjà un certain nombre de populations et va dans les mois qui viennent en toucher beaucoup plus. La pandémie a fait cesser les transports, et a bloqué les agriculteurs sur leurs terrains, sans pouvoir écouler leur production. Lorsqu’ils sont dans des pays déjà touchés par la sécheresse, des conflits ou des catastrophes naturelles, ils vont d’ici quatre à six mois se retrouver en insécurité alimentaire complète», prévient la présidente du CCFD-Terre solidaire.

L’institution de Bretton Woods basée à Washington estime ainsi qu'entre 70 et 100 millions de personnes pourraient basculer dans l'extrême pauvreté pour devoir vivre avec moins de 1,90 dollar par jour. Les progrès réalisés ces trois dernières années pour éradiquer la pauvreté s’en verraient effacés.

L'Afrique subsaharienne pourrait être la plus touchée par le nombre de nouveaux pauvres, mais la Banque mondiale est également préoccupée par le sort des populations vivant en Inde, et plus largement en Asie.

De manière générale, les revenus sont appelés à baisser. La présidente du CCFD-Terre solidaire espère que cela entraînera un rééquilibrage vers plus de justice pour garantir à tous les êtres humains plus de dignité, mais «cela sera-t-il vraiment le cas» s’interroge Sylvie Bukhari-de-Pontual. Elle note et déplore que certains des plus riches aient encore accru leur fortune lors de cette période: «mais où est alors la justice ? Où est le respect de la dignité des personnes ? Est-ce que l’on tient vraiment une des valeurs principales de la doctrine sociale de l’Église qui est de donner aux pauvres» interpelle l’avocate.

Changements de comportements

Sylvie Bukhari-de-Pontual note cependant plusieurs facteurs qui donnent aujourd’hui des motifs d’espérer la construction d’un futur plus juste : les initiatives de solidarité qui sont apparues ces dernières semaines, la volonté et la détermination de certains jeunes à vouloir une vie «réconciliée» avec la nature, bien conscients que le succès n’est pas dans la consommation. La présidente du CCFD-Terre solidaire relève le succès des manifestations des jeunes ces derniers mois pour protéger la planète.

Ces appels aux autorités ont permis, note-t-elle, de faire apparaitre dans les débats publics des expressions réservées jusque-là à un petit nombre comme la «décroissance» ou la «sobriété heureuse». «Je veux espérer que ce qui n’étaient que des mots deviennent des politiques systémiques qui puissent être développées au service des populations» affirme Sylvie Bukhari-de-Pontual.

Pour répondre aux défis mondiaux d’aujourd’hui, de la lutte contre la Covid à celle contre la pauvreté, le CCFD-Terre solidaire souhaite que les plateformes internationales d’échanges soient renforcées pour améliorer la collaboration entre les États, et souligne aussi combien la subsidiarité est essentielle.

Entretien avec Sylvie Bukhari-de-Pontual, présidente du CCFD-Terre solidaire

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13 juin 2020, 08:42