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Un salarié en visioconférence durant son télétravail depuis Vertou près de Nantes, le 14 mai 2020. Un salarié en visioconférence durant son télétravail depuis Vertou près de Nantes, le 14 mai 2020.  

Joseph Thouvenel: le télétravail ne doit pas détruire le lien humain

Les mesures de confinement ont généralisé le travail à distance. Cette pratique peut s'avérer bénéfique pour la productivité et l'autonomie, mais elle comporte de nombreux risques psychologiques, en termes de surcharge mentale. Entretien avec le vice-président de la CFTC, Joseph Thouvenel. Il prône un strict encadrement, et la liberté de laisser aux salariés d'autres alternatives.

Entretien réalisé par Delphine Allaire – Cité du Vatican

Près de la moitié des salariés français sont aujourd’hui en télétravail. Selon un sondage réalisé par Odoxa-Adviso Partners, leur nombre est passé à 5,1 millions de personnes durant le confinement. Depuis le 17 mars, 3,3 millions de collaborateurs ont ainsi eu la possibilité de travailler à distance en Frnce, en plus des 1,8 millions qui bénéficiaient déjà occasionnellement de cette possibilité.

Une révolution sociétale et économique à multiples conséquences, que décrypte Joseph Thouvenel, vice-président de la CFTC, la Confédération française des travailleurs chrétiens. Le syndicaliste chrétien plaide pour un encadrement strict du télétravail et la préservation du lien humain et social. 

Entretien avec Joseph Thouvenel, vice-président de la CFTC

Comment le monde du travail a-t-il été transformé par la pandémie de Covid-19?

Joseph Thouvenel: La grande évolution a été la mise en place du télétravail, qui se faisait de façon presque anecdotique et sur la base du volontariat. Il a été imposé pour beaucoup de professions par le gouvernement, à juste titre vu les conditions sanitaires particulières. Il pose toutefois nombre de questions.

Dans un premier temps, beaucoup de salariés et d’entreprises en ont été satisfait, car cela leur permettait de continuer à travailler. Il y a des avantages, comme la réduction du temps de trajet: dans les grandes villes, si l’on a une heure de trajet matins et soirs, ne plus les avoir est un grand gain de temps et de vie personnelle. Le télétravail permet aussi une plus grande autonomie. 

Derrière ces bénéfices, attention à ne pas détruire le lien humain. La machine ne remplace pas l’humain. Le télétravail est un outil. Comme tout outil, si l’on s’en sert mal, il devient destructeur; si l’on ne s’en sert pas, il est inutile; si l’on s’en sert bien, il s’avère efficace. Le télétravail ne doit pas supprimer l’efficacité de la rencontre humaine, de la communauté d’expériences partagées par les contacts directs. Existent aussi les dangers de distinction entre sphère privée et professionnelle. Nous devons repenser l’organisation du travail, sans doute en favorisant le télétravail pour ceux qui le souhaitent, tout en gardant des alternatives pour éviter l’isolement. On ne se rend pas compte de cet isolement en quelques semaines. Dans la durée, il peut être dévastateur.

Quelles sont les différentes conséquences psychologiques du télétravail?

La première, l'isolement. La surcharge mentale, amplifiée par les outils électroniques, en est une autre. Très rapidement, le salarié craque. Il n’en peut plus, car il n’y a plus de respect d’horaires. Les mails arrivent le soir, le week-end, et sont souvent loin d’être indispensables. Il faut savoir mettre des barrières.

Et quid des particularismes? Par exemple, la place des travailleurs handicapés? Ils sont déjà souvent très seuls, il ne faut pas les isoler de nouveau. Il s’agit, si ces personnes sont en télétravail, de veiller à ce que leur poste de travail, le siège et le bureau, soient adaptés. 

Durant cette période, bien des parents devaient aussi télétravailler avec les enfants à la maison. Cas de figure où la charge mentale est très forte. Les enfants ont besoin d’accéder à l’ordinateur pour l’école, mais les parents aussi. Comment gérer tout cela? Des limites s’imposent pour différencier la vie professionnelle de la vie personnelle et familiale. Sinon, la société devient inhumaine, et l’on explose. Il est très mauvais que tout se mélange.

Le télétravail freine-t-il la créativité?

Il peut en partie stimuler la créativité. En effet, nous sommes dans une société qui fait à la fois des gens très isolés, mais qui empêche la vraie solitude, celle de la réflexion, du silence, de l’introspection. Le télétravail peut donc faciliter ces temps d’introspection, et faire germer de nouvelles choses.

Dans le même temps, le télétravail peut aussi être mal employé. Et l’absence de rencontre avec d’autres peut alors nuire à la créativité, car l’on s’aperçoit aussi que, souvent, de l’échange, jaillissent les idées. Les deux faces sont possibles. Nous ne devons pas en devenir esclaves. Comme pour tout outil, l’être humain doit en rester le maître.

Il faut aussi faire attention à l’aspect économique. Avec le télétravail, les entreprises peuvent supprimer les postes de travail dans les bureaux, gagner des mètres carrés, résultant sur des gains financiers. Ce n’est pas un gros mot, mais attention à ne pas faire des économies pour une vision à court-terme, à pousser les gens à s’enfermer chez eux, à faire supporter au salarié les charges normales de l’entreprise. Qui paye l’ordinateur? Qui paye la connexion?

Autant de questions à clarifier, sans bagarres inutiles, mais en posant la totalité des enjeux sur la table. L’intérêt partagé est celui du bien commun, donc d’abord celui des personnes.

Face à la virtualisation accélérée du travail, de la société dans son ensemble, par quels moyens préserver le lien humain?

Les moyens, le syndicaliste que je suis les connais bien: réflexion, négociation et partage. Au niveau de l’entreprise, mais il faut également un cadrage national. Par exemple, imaginez-vous être en télétravail. Vous tombez dans les escaliers en allant à votre ordinateur. Est-ce un accident de trajet ou un accident domestique? Qui en est responsable, quelle société d’assurances va prendre en charge les frais? Ces choses sont à cadrer au niveau national pour éviter drames et discussions sans fin.

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26 mai 2020, 06:30