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L'EHPAD Rothschild dans le XIIème arrondissement de Paris. L'EHPAD Rothschild dans le XIIème arrondissement de Paris.  

En France, la douleur de ceux dont les parents sont enfermés dans des Ehpad contaminés

En France, un drame sanitaire s’annonce dans les maisons de retraite, privées de moyens pour bloquer l’arrivée du nouveau coronavirus en leurs seins. Ces derniers jours, plusieurs dizaines de résidents d’Ehpad sont décédés sur l’ensemble du territoire. Marie-Sophie Boulanger témoigne pour nous de la situation dans laquelle se trouve l’Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes où vit sa mère âgée de 85 ans.

Entretien réalisé par Marie Duhamel – Cité du Vatican

Confinées depuis le début du mois sur ordre des pouvoirs publiques, avec interdiction pour les proches de visiter leur parents résidents, les Ehpad sont dépourvus de moyens. Pas de masques ni de test pour le personnel soignant au contact des personnes âgées.

Résultat : trois semaines après leur confinement, plus de 200 résidents d’Ehpad sont décédés à travers la France. Les personnes âgées sont en effet particulièrement vulnérables. «Lorsque le virus entre dans un établissement, on assiste à des taux de 75% de résidents atteints et des taux de mortalités catastrophiques, au-delà de 20 à 30%», affirmait récemment le président de l'Association Nationale des médecins coordonnateurs et du secteur médico-social sur RTL.

Selon les principales fédérations du secteur, l’épidémie «pourrait se traduire par plus de 100 000 décès dans l’éventualité d’une généralisation que nous n’osons imaginer (…) mais qui n’est pas exclue en l’état actuel de notre organisation». Dans un courrier adressé au ministre français de la Santé, la fédération hospitalière de France, l’association des directeurs de maisons de retraite ou encore la fédération des maisons de retraite privées ont exigé les moyens nécessaires si l’on veut bloquer l’entrée du virus dans les Ehpad. Olivier Véran a promis de répondre à leur demande.

Marie-Sophie Boulanger est journaliste indépendante. Sa mère âgée de 85 ans vit actuellement dans un Ehpad spécialisé dans les maladies neurodégénératives au nord de Paris. Elle revient sur la situation qui prévaut dans l’établissement où réside sa mère, aujourd’hui touchée par le Covid-19. Elle nous parle de leur lien interrompu conformément à la décision des autorités.

Entretien avec Marie-Sophie Boulanger

Nous ne nous sommes pas vues depuis qu’on a fermé les Ehpad. J’ai dit adieu à ma mère en quelque sorte dans ma tête ce jour-là parce que j’ai su que très très probablement, il ne serait plus possible de la revoir. Parce qu’une fois le coronavirus entré dans un Ehpad, c’est un ravage, une hécatombe, et nous n’aurons pas le droit de revoir une personne infectée. D’ailleurs, on m’a dit dans cet Ehpad que si elle était décédée, nous n’aurons le droit de suivre le cadavre que de loin.

C’est le cas, il y a un cas de coronavirus dans l’EHPAD de votre mère?

Il y a une personne qui a été testé, une deuxième aujourd’hui. Lorsque que le personnel nous l’a annoncé, c’était suffisamment longtemps après la fermeture de l’Ehpad pour que l’on soit sûrs que c’était malheureusement le personnel soignant qui avait infecté les résidents, étant donné qu’on ne peut pas tester les personnes et qu’ils ne portent pas de masque. C’était certain que cela allait se produire. Donc en ce moment, tous les proches des résidents, nous sommes dans cette attente terrible de recevoir le fameux coup de fil qui nous dira que notre parent est décédé.

Une précision. Les personnels soignant ne portent pas de masques et ne sont pas testés contre leur volonté, n’est-ce pas ?

Absolument, ils ont même fait plusieurs demandes à l’ARS (agence régionale de santé). Ils font eux-mêmes ce qu’ils peuvent. Ils sont très conscients du danger qu’ils courent… la preuve en est que l’infirmière coordinatrice (de l’Ehpad) a démissionné deux jours après avoir su qu’on fermerait les Ehpad et qu’il leur faudrait vivre sur leur provision de quelques masques  -provision qui a été épuisée en une journée- et que sans l’aide qui est apportée par les familles, ils ne s’en sortiraient pas.

Vous savez qu’il y a des cas de covid-19 dans l’Ehpad de votre mère, vous parlez avec le personnel soignant, c’est donc qu’il existe une certaine transparence. Est-ce qu’ils vous expliquent les changements éventuels de protocole, le rapport nouveau qui s’est peut-être instauré avec les personnes dont ils s’occupent ?

Lorsque l’infirmière qui était notre contact à tous a démissionné, nous n’avons eu aucun contact ni avec la directrice de l’établissement, ni avec les membres du personnel. C’était l’omerta totale. Donc pendant plusieurs jours, on a vraiment paniqué. Et lorsqu’ils ont trouvé une nouvelle personne (pour coordonner). Ce nouvel infirmier a accepté de parler aux familles par téléphone et de donner de temps en temps des nouvelles. On peut aussi parler aux résidents quand on arrive à les joindre par téléphone mais il faut avouer que, dans l’ensemble, il n’y a pas de changements de protocole. C’est ce que dit cet infirmer qui en est malade. Il dit : «malheureusement, j’écris tous les jours à l’ARS pour leur demander des masques en urgence. Je leur explique qu’il y a des problèmes». On a fait des signalements de notre côté et l’ARS ne bouge pas. Ils prétendent même que personne n’a fait de signalements, mais on est des dizaines de dizaines de proches à faire des signalements depuis des mois pour les avertir que s’il se produit un drame, cet Ehpad n’est pas prêt. C’est  le cas de tous les Ehpad d’ailleurs.

Quel est votre état d’esprit et votre espérance pour les jours ou les semaines à venir ?

Je vous avoue que je ne suis pas du tout optimiste. On sait comment se passe les soins. Ce sont des soins très rapprochés. Ce sont des personnes dépendantes, on se penche sur elles, on change leurs poches. C’est évident que la contamination ne va pas s’arrêter ;  l’infirmier n’a pas essayé de nous en dissuader. On sait tous que c’est une question de jours. Donc on essaie de le prendre le mieux possible mais ce qui est difficile  c’est de se dire qu’on aura pas pu lui dire au revoir… J’ai été volontaire chez Mère Teresa à Calcutta et je vous assure que pour moi ce qui est pénible, c’est cette impression de ne pas pouvoir donner à ma mère ce que j’ai donné à des personnes qui m’étaient complètement inconnues et à qui j’ai tenu la main au moment de leur mort là-bas... Je me dis que, pour ma propre mère, je ne vais pas pouvoir le faire. Elle va mourir toute seule.

 

 

 

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27 mars 2020, 07:26