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Photo d'illustration. Photo d'illustration.  (AFP or licensors)

À Douala, un réseau contre l'esclavage des enfants

À l’occasion de la 10e Journée mondiale de lutte contre la traite, une missionnaire italienne engagée pour la promotion de la dignité humaine depuis 5 ans dans le diocèse de Douala revient sur les différentes facettes de l’esclavage moderne dans la capitale économique du Cameroun. Bouleversée en particulier par le sort des enfants domestiques, sœur Lucia Citro nous raconte son travail de sensibilisation, à contre-courant des mentalités.

Entretien réalisé par sœur Marie Pépyne Matendakama

«Je ne peux vous dire combien cela fait mal de se retrouver face à l’esclavage des enfants…» Sœur Lucia Citro, missionnaire xavérienne installée depuis 5 ans à Douala, décrit un phénomène répandu «à large échelle dans toute la ville». C’est une des formes de servitude présente dans la capitale économique du Cameroun. Pour lutter contre ce fléau, la membre de Talitha Kum, ce réseau international de religieuses engagées pour lutter contre la traite des êtres humains, s’est lancée avec une dizaine de personnes dans une campagne de sensibilisation auprès des communautés catholiques mais aussi des jeunes Camerounais, dans les écoles ou universités. En dépit de certains résistances et du manque de moyens, la religieuse italienne se dit «vraiment très contente de pouvoir donner mes énergies, mes forces et ma créativité pour cette mission qui nous a été confiée par l'Église et que nous sentons particulièrement notre ici».

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De quel type d’esclavage moderne parle-t-on à Douala ?

Ici à Douala, on peut toucher du doigt différentes formes de traite des êtres humains, comme le phénomène de la migration clandestine ou, au quotidien, une situation d'esclavage domestique qui se multiplie autour de nous et à large échelle, je peux dire dans toute la ville. Et c'est très difficile de trouver des situations de travail où nous ne ressentons pas cette interpellation à plus de justice et plus de respect de la personne qui travaille. Et je ne peux vous dire combien ça fait de mal quand on se retrouve face à l'esclavage des enfants.

Il arrive souvent ici de trouver des enfants qui sont vraiment traités en esclaves et sous les yeux, je peux dire, de toute la famille. C'est comme quelque chose d'acquis et de dur, qui semble ne même pas être remis en question. Il arrive par exemple qu'un enfant devienne orphelin après la mort de sa maman ou de son papa et la famille l'envoie alors étudier chez un oncle ou une tante pour pouvoir alléger le poids de la famille. Et voilà que cet enfant, simplement parce qu’il est accueilli et envoyé à l'école, devient l’esclave de cette maison. Il doit se lever tôt le matin et tout préparer pour les petits frères qui sont dans la maison. Il doit nettoyer, et quand il part de la maison, il a déjà accompli 3 heures de travail. Et je ne vous dis pas aussi le soir, c'est la dernière personne à aller se coucher. Quand il n'y a pas de violence d'autres genres.

 

Comment réagir à ce type de situations ?

Cette question nous interpelle beaucoup et nous essayons, le plus possible, de sensibiliser au niveau de l'Église locale, en parlant lors des messes, dans les groupes paroissiaux, pour informer au mieux les adultes sur cette réalité. Ce travail de sensibilisation s'étend dans les milieux où les enfants vivent, comme les écoles et les lycées. Et là où nous nous trouvons une porte ouverte. On essaie de s'organiser pour que cette réalité soit connue et que tous puissent prendre conscience de ce phénomène, pour qu’ils comprennent que ce n’est pas quelque chose de normal.

L'autre chose qu'on essaie de faire, c'est de voir comment mettre en garde les jeunes qui aspirent à une vie meilleure seulement en rêvant d'aller dans d'autres pays, de quitter le Cameroun. Certaines des expériences, comme vous le savez, sont dramatiques, elles se produisent ici et là dans le monde. Ici, le rêve et désir des jeunes de quitter le pays crée aussi beaucoup de drames au sein des familles.

 

Après 5 ans de présence à Douala, avez-vous connu un succès ? Les choses progressent-elles ?

J’ai une belle chose à partager. Cette année par exemple, finalement, à force de sensibiliser et de promouvoir des initiatives, soit à la radio, soit dans les paroisses, on a pu sensibiliser à plusieurs niveaux les communautés religieuses, féminines et masculines. Et grâce à cela est née une petite commission de dix personnes qui s'engagent au niveau du diocèse pour que l’on vive cette mission ensemble. C'est quelque chose qui me fait très plaisir, qui m'encourage beaucoup et qui nous permet aussi de travailler dans un réseau toujours plus engagé. Ces religieux travaillent dans des écoles, des hôpitaux, dans d'autres domaines de la société, pour la promotion de la femme par exemple. Tout cela ouvre de nouveaux terrains pour la sensibilisation, pour la prévention contre la traite.

Cette année nous avons fait une campagne de sensibilisation, en visant surtout les jeunes parce que dans notre diocèse, nous vivons la deuxième année synodale dédiée aux jeunes. Une rencontre a été organisée à l’université Saint-Jérôme de Douala. Nous espérons que notre travail puisse toujours se développer avec la collaboration et la disponibilité aussi de professionnels que nous trouvons sur le terrain, comme cet avocat civil que nous contactons souvent pour un témoignage sur la législation, pour faire comprendre comment la loi peut protéger et aussi punir les trafiquants et les personnes qui exploitent. Nous sommes aussi attentifs à l'écoute et à l'assistance psychologique. On essaie petit à petit, à travers ce réseau de connaissances et ces religieux qui s'engagent, à pouvoir bien travailler, le plus concrêtement possible sur le terrain.

Cela ne peut se faire en attirant uniquement l’attention de l’Eglise locale, car elle est parfois un peu résistante à cette manière de vivre l’évangélisation. Pour nous, la promotion humaine est vraiment un aspect important de l'évangélisation.

Quels outils pourraient vous aider peut-être à progresser dans votre mission ?

A part cela, ce qui nous freine, c'est vraiment le manque de soutien financier. Parce que même ces personnes qui se sont engagées à vivre l'engagement du réseau (Talitha Kum) de manière plus intense, n'ont pas reçu de formation. Et pour préparer un séminaire, une formation, il faut un minimum de moyens. Cela nous manque. Ce ne sont que la bonne volonté de quelques religieux, de quelques communautés qui nous permettent d'aller de l'avant. Mais à la longue, il faudra vraiment pouvoir organiser. Il faudra voir comment soutenir ces actions pour donner des outils aux personnes qui sont exploitées, mais aussi pour pouvoir les réinsérer dans une situation d'oppression moindre… toutes ces femmes et ces enfants qui se trouvent en plein danger. Pour l’instant, grâce à l'aide aussi de quelques personnes de bonne volonté, nous essayons de promouvoir des microfinancements, mais ce ne sont que de petites initiatives sporadiques dans des cas désespérés.

 

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08 février 2024, 18:29