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Le haut-commissaire pour la paix Danilo Rueda, avec le directeur d'Adveniat, le père Martin Maier. Photo: Philipp Lichterbeck/Adveniat Le haut-commissaire pour la paix Danilo Rueda, avec le directeur d'Adveniat, le père Martin Maier. Photo: Philipp Lichterbeck/Adveniat 

Négociations de paix en Colombie: "Il s'agit de justice"

Des représentants du gouvernement colombien et des membres de l’EMC, groupe dissident des FARC, sont réunis depuis mardi à Bogotá pour des négociations à huis clos qui doivent encore durer une semaine. Le haut-commissaire colombien pour la paix, Danilo Rueda, a fait savoir qu'une éventuelle déclaration ne serait faite qu'après. Le directeur général de l'œuvre d'entraide latino-américaine Adveniat revient pour Vatican News sur cette situation.

Entretien réalisé par Christine Seuss - Cité du Vatican 

Père Martin Maier, vous êtes les directeur général d’Adveniat. Ce mardi, des discussions ont débuté à Bogotá entre le gouvernement et les dissidents de l'EMC, un groupe dissident des rebelles des FARC qui n'a jamais adhéré au processus de paix. Il s'agit déjà du troisième tour des discussions actuelles. Sur quoi doivent-elles porter ?

P. Martin Maier: Ces négociations doivent porter sur une prolongation du cessez-le-feu qui a été conclu entre le gouvernement et ce groupe de guérilla particulier et qui expire le 15 janvier. Elles doivent porter sur la question des enlèvements et bien sûr sur les questions plus larges de la réforme agraire, de la justice sociale et de la dissolution des groupes paramilitaires.

Quelle est donc la situation générale en ce qui concerne les groupes dissidents armés en Colombie? Il y a déjà eu une lueur d'espoir il y a quelques années, lorsque le Pape François a visité le pays en 2017 et que de nombreux groupes rebelles ont décidé de déposer les armes. L'important groupe de guérilla des FARC a été dissous. Qu'est-ce qui a fait basculer à nouveau la situation?

En 2016, un accord de paix global a été signé entre le gouvernement et le principal groupe de guérilla, les FARC. Cependant, tous les membres des FARC n'ont pas soutenu ce traité de paix et certains groupes dissidents continuent à se battre. Et l'un de ces groupes dissidents est Estado Mayor Central (EMC) des FARC. Il y a une fenêtre d'opportunité pour une paix globale avec le nouveau gouvernement de Gustavo Petro, qui a été mis en place en août 2022. C'est le programme que Gustavo Petro s'est fixé: Paz total, c'est-à-dire une paix globale. Et là, on négocie en ce moment avec huit groupes armés au total, et ce sont des négociations difficiles, mais il y a malgré tout de l'espoir que des pas soient possibles sur le chemin de la paix et de la réconciliation.

Objectif : Paz total - paix globale

 

Le Pape François est lui aussi intervenu, pas plus tard que dimanche dernier, et a demandé la libération de toutes les personnes enlevées en Colombie, qualifiant cela de geste qui serait un «devoir envers Dieu» et qui favoriserait également la réconciliation et la paix dans le pays. Quelle est donc l'ampleur de ce phénomène des enlèvements, que vous avez également évoqué? Et quel est l'objectif des guérilleros?

Le Pape François a un intérêt très personnel dans le processus de paix et de réconciliation en Colombie. Et il est totalement inacceptable d'enlever des personnes et de se procurer ainsi -comme le disent les groupes de guérilla pour se justifier- des fonds dont ils ont besoin selon leurs dires. Il y a eu des années où c'était encore bien pire, mais l'année dernière, les enlèvements ont globalement à nouveau augmenté. On estime à 241 le nombre d'enlèvements et c'est également un thème des négociations de paix avec un autre groupe de guérilla, l'ELN. Avec ce dernier, il a également été convenu en décembre que l'ELN n'enlèverait pas d'innocents à l'avenir afin d'extorquer des fonds et de poursuivre des objectifs politiques.

Le père Maier avec la vice-présidente colombienne, Francia Marquez
Le père Maier avec la vice-présidente colombienne, Francia Marquez

La criminalité liée à la drogue, un cancer

 

De nombreuses personnes en Colombie ne survivent que grâce à des activités illégales, comme par exemple la culture de la coca. Et c'est bien sûr un terrain propice à la criminalité et à la violence. Que peut faire le gouvernement face à cela?

C'est le cancer qui détruit la Colombie et de nombreux autres pays d'Amérique latine: la criminalité liée à la drogue, la culture de la drogue, les mafias de la drogue. Et le gouvernement n'en fait pas assez dans ce domaine. Il a perdu le contrôle de régions entières du pays. Il est donc important que l'Église propose des alternatives. Adveniat soutient des projets pour des alternatives, dans l'agriculture et d'autres projets, et nous essayons justement, avec la conférence épiscopale colombienne, d'apporter une contribution dans ce difficile processus de paix et de réconciliation.

Soyons optimistes et disons que dans les négociations actuelles avec ce seul groupe rebelle, il y aura une percée, c'est-à-dire que le cessez-le-feu qui arrive à échéance sera prolongé et que tous les otages seront libérés sans condition. Comment les choses pourraient-elles alors se poursuivre?

Les questions plus globales seraient alors mises sur la table. La réforme agraire, la question de la justice sociale. Il y a vingt ans, j'ai pu avoir un entretien avec le prix Nobel de littérature Gabriel García Márquez sur la situation en Colombie. Et je lui ai demandé: que faudrait-il pour que la Colombie trouve vraiment la paix et la réconciliation? Et il m'a répondu par une contre-question: «Connaissez-vous un pays plus injuste?» Il s'agit de justice sociale, il s'agit d'une réforme agraire et il s'agit d'une réorganisation complète de l'État colombien.

Ce sont des objectifs ambitieux que le gouvernement doit poursuivre. Comment Adveniat aide-t-il dans cette situation difficile?

En tant qu'œuvre de bienfaisance d'Amérique latine, nous sommes engagés depuis longtemps en Colombie, avec la conférence épiscopale, dans des diocèses avec des communautés religieuses, et nous essayons de semer des graines de paix et de réconciliation. Une chose est de signer un traité de paix, une autre est de construire réellement la paix. Et la Colombie a traversé une guerre civile de 60 ans qui a laissé de nombreuses blessures. Il s'agit ici de réconciliation, il s'agit maintenant d'amener les groupes qui se sont battus à une table commune, il s'agit de la vérité, il s'agit de la justice et il s'agit du pardon et de la réconciliation. C'est un processus difficile et qui prend du temps. Mais c'est la voie que la Colombie doit suivre maintenant.

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11 janvier 2024, 16:31