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Le Pape François face à la presse en septembre dernier. Le Pape François face à la presse en septembre dernier.  (VATICAN MEDIA Divisione Foto)

Le Pape plaide pour une communication pleinement humaine

«L'évolution des systèmes d’ “intelligence artificielle” est également en train de modifier radicalement l’information et la communication». Telle est l’inquiétude du Pape François exprimée dans son message à l’occasion de la 58ème Journée Mondiale des Communications Sociales, célébrée chaque 24 janvier en la fête de saint François de Sales, patron des journalistes. Le Saint-Père exhorte à conjuguer l’intelligence artificielle et la sagesse du cœur pour une communication pleinement humaine.

Jacques Ngol, SJ – Cité du Vatican

Dans son message à l’occasion de la 58ème Journée mondiale des communication sociales, le Pape François s’est arrêté sur «l’intelligence artificielle», un thème déjà abordé à l’occasion de la Journée mondiale de la paix. Dans ce message, le Saint Père a manifesté une inquiétude par rapport au changement causé par l’intelligence artificielle, «un changement qui touche tout le monde, et pas seulement les professionnels». La diffusion accélérée d’inventions étonnantes, a décrit le Souverain pontife, «suscite une perplexité qui oscille entre enthousiasme et désorientation, et nous confronte inévitablement à des questions fondamentales».

À partir du cœur

Poursuivant, le Saint-Père a invité à «débarrasser le terrain des lectures catastrophistes et de leurs effets paralysants», rappelant le théologien et écrivain italien Romano Guardini qui, réfléchissant il y a un siècle sur la technique et l’homme, «nous invitait à ne pas nous raidir contre le “nouveau” pour tenter de "préserver un monde beau condamné à disparaître"». Il lançait en même temps un avertissement prophétique pressant, assurant que «notre place est dans le devenir. Nous devons en faire partie, chacun à sa place (...), en y adhérant honnêtement mais en restant sensibles, avec un cœur incorruptible, à tout ce qu’il y a de destructeur et de non-humain en lui». Le prêtre italien mettait déjà en garde contre les «problèmes d’ordre technique, scientifique, politique», ces problèmes qui ne peuvent être «résolus qu’en partant de l’homme, qui doit se constituer un nouveau type humain, doté d'une spiritualité plus profonde, d’une liberté et d’une intériorité nouvelle».

En partant de cet auteur, la Pape François a fait savoir que dans «cette époque qui risque d’être riche en technique et pauvre en humanité, notre réflexion ne peut partir que du cœur de l’homme».  Car, pour lui, ce n’est qu’en «nous dotant d’un regard spirituel, en retrouvant une sagesse du cœur, que nous pouvons lire et interpréter la nouveauté de notre temps et redécouvrir la voie d’une communication pleinement humaine». Le cœur, ici entendu comme «le siège de la liberté et des décisions les plus importantes de la vie, symbole d’intégrité, d’unité, mais qui évoque aussi les affections, les désirs, les rêves, et surtout le lieu intérieur de la rencontre avec Dieu». La sagesse du cœur, a poursuivi François, est «cette vertu qui nous permet de tisser ensemble le tout et les parties, les décisions et leurs conséquences, les hauteurs et les fragilités, le passé et l’avenir, le "Je" et le "Nous"».

Opportunité et danger de l’intelligence artificielle

Mettant en parallèle la sagesse du cœur et l’intelligence artificielle, le Pape a assuré que «nous ne pouvons pas attendre cette sagesse des machines; bien que le terme d’intelligence artificielle ait aujourd’hui supplanté le terme plus correct utilisé dans la littérature scientifique, celui d’apprentissage automatique», faisant savoir que «l’utilisation même du mot “intelligence” est trompeuse». Au rang des opportunités, le Saint-Père a relevé le fait que l’intelligence artificielle possède «une capacité incommensurablement plus grande que l’homme à mémoriser les données et à les relier entre elles, mais c’est à l’homme et à lui seul qu’il revient d’en décrypter le sens». Le Pape met ainsi en garde contre le désir de vouloir «exiger que les machines semblent humaines». Il a invité à réveiller l’homme de «l’hypnose dans laquelle il tombe du fait de son délire de toute-puissance, se croyant un sujet totalement autonome et autoréférentiel, séparé de tout lien social et oublieux de son statut de créature».

Pour le Pape, tout ce qui est entre les mains de l’homme devient opportunité ou danger. Dans ce sens, «toute extension technique de l’homme peut être un instrument de service aimant ou de domination hostile». Ainsi, a-t-il relevé, «les systèmes d’intelligence artificielle peuvent contribuer au processus de libération de l’ignorance et faciliter l’échange d’informations entre les différents peuples et générations». Mais ils peuvent aussi être des «instruments de “pollution cognitive”, d'altération de la réalité par des récits partiellement ou totalement faux qui sont crus - et partagés - comme s’ils étaient vrais». Dans cette situation, il est important de pouvoir «comprendre, appréhender et réguler des outils qui, pourraient ouvrir des scénarios négatifs». Par ailleurs le Saint Père a exhorté à agir de manière préventive «en proposant des modèles de régulation éthique pour limiter les implications néfastes et discriminatoires, socialement injustes, des systèmes d’intelligence artificielle et pour contrer leur utilisation pour la réduction du pluralisme, la polarisation de l'opinion publique ou la construction d’une pensée unique».


Grandir en humanité

Le Pape François a fait savoir que nous sommes «appelés à grandir ensemble, en humanité et en tant qu’humanité». Pour y parvenir, il a demandé faire un «saut qualitatif pour être à la hauteur d'une société complexe, multiethnique, pluraliste, multireligieuse et multiculturelle». Aussi, est-il nécessaire de nous «interroger sur le développement théorique et l’utilisation pratique de ces nouveaux instruments de communication et de connaissance». Il a invité à faire attention sachant que de «grandes possibilités de bien s'accompagnent du risque que tout se transforme en un calcul abstrait, réduisant les personnes à des données, la pensée à un schéma, l’expérience à un cas, le bien au profit, et surtout que nous finissions par nier l'unicité de chaque personne et de son histoire, en dissolvant le caractère concret de la réalité dans une série de données statistiques».

Il n’est donc pas acceptable selon François que «l’utilisation de l’intelligence artificielle conduise à une pensée anonyme, à un assemblage de données non certifiées, à une déresponsabilisation éditoriale collective».

L’utilisation de l’intelligence artificielle pourra apporter une contribution positive dans le domaine de la communication, dans la mesure où elle n'annulera pas le rôle du journalisme mais au contraire l’accompagnera; où elle renforcera le professionnalisme de la communication, en responsabilisant chaque communicateur; où elle redonnera à chaque être humain le rôle de sujet, avec une capacité critique de la communication elle-même.

Vers une nouvelle perspective

Avant de conclure, le Saint-Père a invité à se poser un certain nombre de questions, parmi lesquelles, «comment protéger le professionnalisme et la dignité des opérateurs dans le domaine de la communication et de l’information, ainsi que ceux des utilisateurs du monde entier?». Les réponses à ses questions permettront, selon le Souverain pontife de «comprendre si l’intelligence artificielle finira par créer de nouvelles castes basées sur la maîtrise de l’information, créant de nouvelles formes d’exploitation et d’inégalité, ou si, au contraire, elle apportera plus d’égalité, en promouvant une information correcte et une plus grande conscience du changement d’époque que nous vivons, en favorisant l’écoute des besoins multiples des personnes et des peuples, dans un système d’information articulé et pluraliste».

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24 janvier 2024, 11:48