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Les participants au premier congrès liturgique Africain à Dakar au Sénégal Les participants au premier congrès liturgique Africain à Dakar au Sénégal 

Sauvegarder l’identité ‘‘liturgique’’ de l’Église en Afrique

Le premier congrès des liturgistes africains s’est refermé vendredi 8 décembre 2023 à Dakar, au Sénégal. Cette rencontre aura permis aux congressistes de définir les acquis, les défis et les perspectives de la question liturgique en Afrique pour offrir un cadre adéquat pour l’inculturation liturgique en vue d’une meilleure maturation dans les églises locales.

Entretien réalisé par Françoise Niamien - Cité du Vatican

Les liturgistes africains étaient du 4 au 8 décembre 2023 à Dakar, au Sénégal pour leur premier congrès liturgique.

Venus de 14 pays, les 52 participants dont des d’évêques, des prêtres, des religieux et religieuses ont axé leur réflexion sur le thème: «l’état de la question liturgique en Afrique: acquis, défis et perspectives».

Le père Apollinaire Kouakou Adams, professeur de liturgie au grand séminaire Saint-Paul d’Abadjin Kouté, dans le diocèse de Yopougon, en Côte d’Ivoire; et membre du comité scientifique de ce premier congrès international africain, est revenu sur les acquis, les défis et perspectives dont il a été question lors de leurs travaux. Ci-après se trouve l'entretien qu'il a accordé à Vatican News à ce sujet.

Entretien avec le père Apollinaire Kouakou Adams, liturgiste ivoirien

Quelle est l’impression générale qui se dégage de ce premier congrès liturgique Africain?

Au terme de cette première rencontre entre liturgistes africains, l’impression générale est avant tout une expression de joie. De fait, mûri depuis plusieurs années dès le temps de la formation dans les différents instituts, c’était l’occasion pour les anciens étudiants devenus principaux acteurs de la liturgie de se retrouver pour ouvrir de nouvelles perspectives pour la vie liturgique en Afrique. Ces retrouvailles visaient, avant tout, une meilleure connaissance entre liturgistes, un approfondissement et un partage des expériences de la recherche scientifique et de la pratique liturgique, pour offrir un cadre adéquat pour l’inculturation liturgique en vue d’une meilleure maturation des églises locales.

Occasion donc joyeuse et heureuse qu’a été ce congrès qui, après sa programmation providentielle à Bouaké, en Côte d’Ivoire, le 04 Juillet 2022 a pu se tenir à Dakar, au Sénégal en lien avec la célébration du soixantième anniversaire de la promulgation de Sacrosanctum Concilium (04/12/1963- 04/12/2023). Nous avons scellé et célébré cette fraternité ecclésiale autour de la liturgie avec des évêques, des prêtres, religieux et religieuses, tous amoureux de la science liturgique. Cela a été d’une richesse énorme. Nous rendons grâce à Dieu pour ses nombreux bienfaits.

Quel a été le regard d’ensemble des congressistes sur le rite liturgique, particulièrement sur la liturgie eucharistique aujourd’hui en Afrique?

Cette rencontre historique a été l’occasion pour les congressistes de poser un regard sur la vie des communautés à travers les célébrations liturgiques.
Pour beaucoup de chrétiens africains aujourd’hui le dialogue entre la culture et l'expression de la foi qu'on peut appeler l'inculturation est un défi majeur. Et donc, dans nos célébrations, la manière dont l'être africain dans toute son âme, la profondeur de son âme, loue le Dieu de Jésus-Christ en se sachant aimé, choisi dans un lieu précis qui est son continent africain, qui est son pays.
On dénote une très grande vitalité au niveau de la vie liturgique de nos communautés.
Cependant il est à déplorer une certaine méconnaissance de la liturgie, une certaine «créativité fantaisiste» dans certaines célébrations, des abus au nom de l’inculturation (par exemple le cas des processions d’offrandes qui se transforment en moment théâtral).

Nous notons malheureusement aussi quelques difficultés à découvrir l'originalité de la foi qui doit dépasser un certain emprunt folklorique des éléments de notre culture, sans une profonde analyse de leurs valeurs intrinsèques et arriver ainsi à leur expression capable de porter le divin.
Il faut savoir allier sacralité et créativité. On ne peut pas et on ne doit pas se détacher de ces deux expressions.
Dans le domaine de l’esthétique, il faudrait pouvoir donner à l’expression artistique son langage, pas comme la recherche du beau pour le beau, mais l'esthétique comme l'expression qui dit Dieu, qui porte à la contemplation du Divin.
En outre, nous déplorons le bavardage inutile au cours des cérémonies, les rendant vide de sens du sacré.

Une séance de travail lors du congrès.
Une séance de travail lors du congrès.

«L’état de la question liturgique en Afrique: acquis, défis et perspectives. Tel a été le thème de ce congrès international à Dakar. Par rapport à la Constitution Sacrosanctum Concilium, qu’est ce qui ressort des acquis, des défis et des perspectives déclinés?

Après analyse de cette thématique générale de nos assises du 04 au 08 décembre 23 à Dakar (Sénégal) et au regard de la pratique liturgique soixante ans après la promulgation de Sacrosanctum Concilium (S.C), nous pouvons dégager ce qui suit:
au niveau des acquis, nous pouvons citer la traduction dans les diverses langues du continent des livres liturgiques. Nous avons des communautés qui sont très avancées, dans la traduction du Missel romain. On a le cas du Burundi où presque tous les documents sont déjà déposés au Dicastère pour le Culte divin et la discipline des sacrements pour un regard général de l'Église et pouvoir être utilisés. Nous avons déjà le Missel Romain pour les diocèses du Zaïre avec des accents particuliers tels que l’invocation des ancêtres.
Le riche répertoire des chants sacrés et l’usage des instruments de musique (le cas de la Kora du Sénégal, le tambour de Côte d’Ivoire, le Balafon du Burkina), c'est un patrimoine énorme. Ce sont des acquis formidables qui sont le lieu de la maturité de l'expression de la foi.

Nous avons aussi l’existence dans presque tous les pays d’une commission nationale chargée de liturgie, de chants sacrés et la discipline des sacrements. L’art sacré s’est beaucoup développé et contribue largement à l’exaltation de l’esthétique liturgique à plusieurs niveaux malgré le fait qu’il faudrait une éducation et une bonne compréhension.

L’architecture est adaptée, dans l’esprit de l’Eglise famille avec l’option de Ecclesia in Africa, les gestes et attitudes sont bien intégrés dans la vie liturgique avec une adaptation selon l’esprit et la sensibilité des peuples. Au niveau de l’immobilier, il se note une grande créativité avec un génie intégrateur. Il y a aussi la confection de certains rituels en tenant compte des spécificités du continent. Il s’agit notamment de la question du veuvage, des funérailles, etc.

Qu’en est-il des défis?

Nous retenons que les défis sont vraiment énormes. Il nous appartient de faire redécouvrir la liturgie comme l'action sacrée par excellence.
S’agissant des défis actuels, nous avons constaté un déficit de formation et une méconnaissance de la liturgie parfois réduite au simple fait ‘‘du cérémonial’’ pour certains acteurs.
De ce fait, la formation de toute la communauté célébrant (prêtres, catéchistes, choristes, ministres de l'autel), ne fait aucun doute.
Dans la même ligne de compréhension, un autre défi majeur s’impose: faire connaître et comprendre la liturgie et la redécouvrir comme l’action sacrée par excellence, lieu de la vraie expérience de la présence du Christ (Cf. S.C 7).
En effet, au vue de S.C n°10, la liturgie est la source et le sommet de toute la vie de l’Eglise. Elle est la gardienne et la mémoire de la vie de l’Eglise.

D'autres défis majeurs sont la connaissance et la traduction des textes officiels de l’Eglise. Rendre «accessible» la liturgie au peuple, non en la dépouillant de son contenu véritable et sacré, mais en la mettant en dialogue réel et profond avec nos cultures. Il faut donc penser l’inculturation en tenant compte de tous les domaines de la célébration. Il s’agit de revisiter l’art africain, la mystique africaine, le langage verbal et non verbal. Penser et vivre l’inculturation comme un processus cognitif, épiphanie du divin dans le naturel vers le corps du baptisé situé dans un contexte précis. Purifier, corriger les erreurs, les abus et faire comprendre le rite Romain, sont autant de défis.

Que savoir des perspectives?

Au niveau des perspectives, un accent particulier et privilégié a été mis sur la formation des acteurs de la liturgie, et cela à tous les niveaux. Ainsi, il a été demandé de revoir les volumes horaires dans les séminaires et maisons de formation en conformité avec les n° 16 et 17 de Sacrosanctum Concilium qui place la liturgie parmi les disciplines principales. Toujours au sujet de la formation, un lien harmonieux doit être créé entre la catéchèse et la liturgie pour une meilleure implication des fidèles dans l’esprit de la liturgie.
En clair, les échanges et contributions ont fait ressortir l’urgence et les lieux de la formation liturgique (séminaire, diocèse, paroisse).
Des propositions concrètes ont été faites, entre autres l’usage des moyens de communication, la catéchèse, la promotion de la liturgie des heures dans les paroisses.

Il a aussi été abordé la question de la création d’instituts ou facultés de liturgie au niveau des groupements sous-régionaux ou selon les zones linguistiques suivant les exigences de Vatican II, ainsi que celle de la connaissance et la diffusion des œuvres liturgiques.
La question de la préservation du patrimoine matériel et spirituel a été abordée face au danger que constituent les groupes évangéliques et les sectes. Dans cette ligne, nous devons travailler à sauvegarder tout ce qui constitue l’identité ‘’liturgique’’ de l’Eglise Catholique en Afrique et dans le monde. Il s’agit entre autres, des vêtements, des chants, de l’art et autres.
Il s'agit aussi d'inciter et d'animer les commissions nationales et régionales afin de créer une synergie et un partage d’expériences en vue d’une meilleure intégration de la liturgie dans la participation active, pieuse et fructueuse dans nos communautés.

Tous ces débats et orientations s’inscriront dans la ligne des conférences régionales et continentales car nous sommes avant tout au service de l’Eglise.

Le prochain congrès liturgique africain aura lien en 2026 en Tanzanie.

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14 décembre 2023, 13:26