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Un Ukrainien dans les ruines de sa maison, le 11 décembre 2023, après un bombardement russe à Kiev. Un Ukrainien dans les ruines de sa maison, le 11 décembre 2023, après un bombardement russe à Kiev.   (AFP or licensors) Les dossiers de Radio Vatican

Les déplacés ukrainiens peuvent compter sur le soutien de l'Église

En Ukraine, la population s’apprête à vivre un deuxième hiver en pleine guerre. À la menace de nouvelles coupures de courant ou de chauffage, s’ajoute pour les personnes déplacées, l’absence de perspective de retour chez elles. Elles doivent ainsi se réinventer une vie, avec notamment l’aide de l’Église gréco-catholique, comme dans la région de Lviv, dans l’ouest du pays.

Xavier Sartre – De retour d’Ukraine

L’automne enveloppe d’une certaine torpeur le monastère basilien de Briukhovychi, à une dizaine de kilomètres au nord-ouest du centre de Lviv. Autour de l’église construite en 2019, les bâtiments du couvent et du séminaire de l’ordre monastique gréco-catholique ont retrouvé leur calme après plusieurs semaines agitées au début de la guerre. Dans ces grands bâtiments aux façades blanches nichés en bordure d’une forêt, les moines ont accueilli jusqu’à 140 déplacés en même temps. Aujourd’hui, ils ne sont plus qu’une soixantaine. Les autres sont partis à l’étranger, ou sont parvenus à trouver un logement dans les environs ou à Lviv.

Reportage à Lviv auprès des déplacés ukrainiens

Andryi, lui, est resté. Originaire de Donetsk, dans l’Est, cet ouvrier spécialisé au visage rond et à la barbe de trois jours, a été contraint de quitter sa région dès le début de la guerre civile en 2014. Après l’invasion russe en février 2022, nouvelle fuite pour arriver cette fois avec sa femme Tatiana dans l’Ouest où il a rejoint leur fille, accueillie par une de ses amies après avoir été contrainte de quitter Kharkiv où elle vivait. Depuis, elle a quitté l’Ukraine pour l’Irlande, ne rentrant que rarement au pays pour rendre visite à ses parents. Pour Andryi, la douleur de la séparation est encore grande, mais au moins, après avoir retrouvé un emploi dans les chemins de fer, il a un toit et il peut compter sur la solidarité des habitants de la région.

«Ils nous traitent bien, confie-t-il timidement. J’ai vu qu’ici les gens sont plus généreux que chez nous; je pourrais donner tellement d’exemples. Même avant la guerre, quand on venait à la montagne [dans le sud-ouest du pays NDLR], on a vu que les gens ici étaient différents, que l’atmosphère n’avait rien à voir avec l’Est.» Pourtant, la vie est loin d’être simple reconnait-il, avant de se prendre à rêver: «Je voudrais que ma fille nous rejoigne et que nous partions vivre dans le sud de l’Ukraine, là où il y a plus de soleil et où il fait plus chaud».

Andryi, sa femme Tatiana, Yulia, Daria, Victor, et le père Francis
Andryi, sa femme Tatiana, Yulia, Daria, Victor, et le père Francis

Andryi est un des rares déplacés du monastère de Briukhovychi à accepter de son confier. Les autres préfèrent ne pas s’exprimer publiquement. La douleur de l’exil est encore trop forte, les yeux sont vite embués de larmes à l’évocation des épreuves subies. Daria se risque. Elle accepte de répondre à quelques questions. Cette jeune femme brune, mère d’une petite fille, est arrivée de Zaporijjia, là où se trouve la plus grande centrale nucléaire d’Europe, et lieu de durs affrontements entre les troupes ukrainiennes et russes. Le souvenir de sa fuite lui serre encore le cœur.

«Quand nous sommes parties avec ma fille, nous avions très peur, nous ne savions pas où nous serions arrivées, que ce fût en Ukraine ou à l’étranger», raconte-t-elle la voix tremblante. «Nous n’avions que de petits sacs et rien d’autre. Nous nous sommes finalement arrêtées à Lviv grâce à l’aide de volontaires. Les frères nous ont ensuite accueillies, ils nous ont proposé de rester. Pour nous, ce fut une surprise, non seulement parce qu’ils nous ont donné un toit, mais aussi parce qu’ils nous ont donné à manger et la possibilité de parler. Ils nous ont soutenues et nous leur en sommes très reconnaissantes. Alors comment se sent-on ? même si ce n’est pas notre ville, on se sent chez nous, en Ukraine,» poursuit-elle, émue.

Bien sûr, sa vie d’avant lui manque: sa maison, sa famille, ses amis. Va-t-elle rester dans l’Ouest ou tenter de rentrer à Zaporijjia? Daria ne sait pas encore, c’est trop tôt et le pays est toujours en guerre, sa ville se trouvant de surcroit près du front. Sa fille est sa principale source de joie. Elle va à l’école, fréquente les enfants de son âge mais surtout «elle n’a plus à voir les destructions causées par les combats et elle ne doit pas subir trop d’alertes aériennes», explique-t-elle, la région de Lviv étant relativement épargnée pour le moment par les bombardements russes.

La rencontre entre deux mondes

À quelques dizaines de kilomètres au sud-ouest de Lviv, la laure d’Univ, monastère de l’ordre studite, est un haut lieu de la spiritualité en Ukraine depuis plusieurs siècles. Les bâtiments historiques, abritent une communauté de moines qui vivent au rythme des offices et qui accueillent en temps normal de nombreux pèlerins. Là aussi, dans les premières semaines de la guerre, en plein chaos, des centaines de personnes fuyant l’avancée des troupes russes convergent vers cet havre de paix qui s’en trouve bouleversé.

Trois cents personnes au maximum y trouvèrent refuge en même temps. Leur nombre a ensuite décru progressivement. L’été dernier, elles étaient encore une trentaine. En cette fin d’automne, la communauté studite n’accueille plus qu’une famille originaire de Vouhledar, ville de l’oblast de Donetsk, dont la maison a été détruite. Le fils est invalide et alité, les parents ne peuvent se permettre de trouver un nouveau toit, ne travaillant pas, si ce n’est pour donner un coup de main dans le monastère.

Le père Jonas qui dirige la laure d'Univ, près de Lviv
Le père Jonas qui dirige la laure d'Univ, près de Lviv

Pour les moines, ouvrir leurs portes fut une évidence face au drame de ces compatriotes chassés par la guerre. Mais ce ne fut pas pour autant facile, surtout pendant l’hiver dernier, lors duquel les coupures d’électricité et de chauffage furent nombreuses en raison des bombardements russes sur les infrastructures énergétiques du pays. S’ils ont pu faire face aux dépenses supplémentaires, c’est grâce à la solidarité de l’Œuvre d’Orient, œuvre de charité française qui soutient les chrétiens d’Orient depuis 1856 et les gréco-catholiques d’Ukraine depuis 1924.

Le père Jonas Maxim, un Slovaque qui dirige la laure d’Univ jusqu’à la fin de l’année, reconnait que cette expérience l’a transformé, lui et ses frères. «Nos horizons se sont élargis, vraiment élargis parce qu’ici, avec toutes ces personnes qui sont arrivées, nous avons connu les Ukrainiens de l’Est, explique-t-il. Nous avons découvert leur mentalité, leurs habitudes, comment ils sont, comment ils pensent et avec le temps, c’est devenu quelque chose d’intéressant: d’une certaine manière deux mondes, qui étaient en fait divisés, se sont unis».

La guerre toujours présente dans les têtes

La plupart des déplacés venaient de l’est de l’Ukraine, étaient orthodoxes et peu, pour ne pas dire pas du tout, pratiquants. La confiance et le dialogue se sont peu à peu installés entre la communauté studite et leurs «hôtes». Cinq mariages ont été célébrés, six baptêmes, dont celui de la fille d’une femme musulmane originaire du Daguestan et mariée à un Ukrainien orthodoxe. Ce dernier, auparavant, ne fréquentait pas l’Église, mais dans ce monastère grec-catholique, il n’a pas longtemps hésité avant de porter sa petite Marie sur les fonds baptismaux.

Le rythme de vie de la communauté n’a pas été trop chamboulé par la présence des déplacés qui se sont vite intégrés et ont participé aux travaux communs. C’est au final la présence des enfants qui a été le plus grand changement, reconnait dans un sourire le père Jonas. Ce qui l’a le plus marqué, c’est que ces déplacés «avaient une vraie expérience de la guerre. Un jour, se souvient-il, alors que les enfants jouaient sur l’herbe devant le monastère, un avion de chasse ukrainien est passé. À peine l’ont-ils entendu arriver qu’ils se sont arrêtés d’un coup, lâchant leurs jouets par terre, ne sachant que faire. Les mères sont sorties immédiatement des logements. Tout le monde attendait de voir ce qui allait se passer. Là, nous avons compris qu’ils avaient une vraie expérience de la guerre et des bombardements».

La solidarité entre déplacés

L’urgence de l’accueil des déplacés est passée. La plupart d’entre eux ou ont quitté le pays pour se rendre à l’étranger, ou ont trouvé un logement. Seuls les plus pauvres ou les personnes isolées et sans soutien demeurent dans des centres provisoires ou dans les monastères. Leur priorité fut de trouver un emploi pour ne pas avoir à dépendre des maigres aides publiques ou de la charité.

Ihor, médecin échographiste, a rapidement été embauché par l’hôpital catholique Cheptitsky de Lviv. Il vient de Marioupol et est parvenu à s’échapper de la ville assiégée pendant des semaines par l’armée russe en mars 2022. Quand il reçoit un Ukrainien originaire comme lui de l’Est, il ne fait pas payer la consultation.

«Je rencontre ici tellement de gens qui viennent non seulement de Marioupol mais aussi de tout l’Est, explique-t-il. Et tous les jours je les rencontre ici à l’hôpital Cheptitsky. Pour moi, c’est très important de les aider parce qu’on est dans la même galère. Ils affrontent les mêmes problèmes que je rencontre moi et ma famille». C’est sa manière de participer à l’effort collectif et de soutenir ses compatriotes déracinés par la guerre.

Si chaque histoire de déplacés est unique, leur souhait est quasiment identique: rentrer chez eux, quand l’armée russe aura quitté leur pays.

Ihor, déplacé originaire de Marioupol, à l'hôpital Cheptitsky de Lviv
Ihor, déplacé originaire de Marioupol, à l'hôpital Cheptitsky de Lviv

 

 

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12 décembre 2023, 18:53