Recherche

«Les pages finales de la Bible nous montrent l’horizon ultime du chemin du croyant: la Jérusalem du Ciel, la Jérusalem céleste.» Pape François, 23.08.17 «Les pages finales de la Bible nous montrent l’horizon ultime du chemin du croyant: la Jérusalem du Ciel, la Jérusalem céleste.» Pape François, 23.08.17  Les dossiers de Radio Vatican

«La Jérusalem céleste est liée aux malheurs de la Jérusalem terrestre»

Au lendemain de la solennité de tous les saints et en ce jour de commémoration des fidèles défunts, réflexion sur le double horizon terrestre et céleste de l’humanité sous le prisme de la cité sainte de Jérusalem. Entretien avec le dominicain polonais frère Lukasz Popko, bibliste à l'École biblique et archéologique française de Jérusalem, sur l'un des thèmes spirituels emblématiques des fins dernières: la Jérusalem céleste.

Entretien réalisé par Delphine Allaire - Cité du Vatican

Évoquées à de multiples reprises dans la Bible à commencer par le livre de l’Exode, la Jérusalem céleste juive est originellement associée à la construction du temple de Dieu, mais par le mystère de l’Incarnation, le temple devient le Christ lui-même et la nouvelle Jérusalem céleste chrétienne n’en a plus besoin pour se manifester. Horizon de gloire, elle devient alors le but ultime de notre pèlerinage terrestre, où l’origine et la fin se rejoignent, renfermant toute l’histoire du salut. «Dans la ville, je n’ai pas vu de sanctuaire, car son sanctuaire, c’est le Seigneur Dieu, Souverain de l’univers, et l’Agneau.» (21, 22, Apocalypse selon saint Jean)

Frère Łukasz Popko est professeur d’exégèse à l’École biblique et archéologique française de Jérusalem (EBAF). Il publie ces jours avec le père Timothy Radcliffe un ouvrage en italien intitulé "Questions de Dieu, questions à Dieu. En dialogue avec la Bible", préfacé par le Pape, à la Librairie éditrice vaticane (LEV).

Non sans écho aux signes des temps en Terre Sainte, le dominicain polonais revient sur les inextricables liens entre «la Jérusalem d’en-haut» et «la Jérusalem d’en bas». 

Entretien avec frère Łukasz Popko OP, bibliste

Quelles sont les différentes occurrences de la Jérusalem céleste dans les Écritures?

Dans sa lettre aux Galates, chapitre 4, saint Paul évoque deux types de Jérusalem: tandis que «la Jérusalem d'en haut est libre», en tant que cité de chrétiens sauvés par la grâce et «est notre mère», la «Jérusalem d’en bas» ou Jérusalem terrestre, est liée à la loi. L’apôtre des Gentils n'est pas le premier à en parler. À l’origine, cette référence est très ancienne et  provient du livre de l’Exode. Quand Moïse doit construire le temple, il reçoit de Dieu un modèle: il doit construire le Tabernacle, le modèle du Temple au désert selon ce qu'il a vu au Ciel. Cela présuppose qu'il y a un Temple céleste. Jérusalem est importante non comme ville de Judée, mais comme ville accueillant le Temple de Dieu. Ainsi s’élève dans le ciel cette construction avec le temple céleste, une Jérusalem céleste, duquel le temple terrestre n’est qu’une réflexion.

Paradoxalement, à la fin de l'Apocalypse, l’on apprend que cette nouvelle ville n’abrite pas de temple. Différente de la vision de la Jérusalem céleste juive, la Jérusalem céleste chrétienne n’a pas de temple, car elle n’en a pas besoin. L'Agneau, la personne de Jésus Christ, se substitue au temple.

Dans l'Apocalypse en particulier, Jérusalem céleste est décrite au moyen de nombreux chiffres, symboles et éléments géométriques. Un carré, douze portes, douze perles, et un roseau d'or pour la mesurer. Quelle en est la signification?

Ces images peuvent être contradictoires et ne sont pas des descriptions cohérentes car ce sont des notions théologiques.

Par exemple, si l’on parle de portes toujours ouvertes, de pierres précieuses, il faut chercher plus profondément la notion de quelque chose qui est permanent, ultimement resplendissant. Cette vision vient aussi d'Isaïe, il s’agit presque de la gloire de Dieu présente sur la terre. La gloire n'est pas la personne même, mais ce quelque chose qui révèle cette personne. La gloire de Dieu est Jérusalem si elle est belle. Mais la gloire de Dieu, évidemment est le peuple lui-même qui révèle quelque chose du Dieu visible; car le Dieu invisible a besoin de quelque chose de visible pour nous montrer ce qui est. La parole-clé serait la gloire pour comprendre Jérusalem céleste dans toute sa splendeur.

Plusieurs fois par le passé des tentatives d’interprétations symboliques précises ont été effectuées, mais même aujourd’hui, au niveau scientifique, nous avons du mal à identifier le terme grec avec des objets ou les pierres.

Les malheurs de la Jérusalem terrestre sont-ils liés à l'existence de la Jérusalem céleste?

La notion même de Jérusalem céleste est née principalement des malheurs de Jérusalem terrestre. Jérusalem était détruite plusieurs fois, son temple l’a été plusieurs fois. La question était toujours: que se passe-t-il? Comment contacter Dieu? Le temple de Dieu est-il vraiment détruit? La réponse théologique est bien sûr non. Le temple de Dieu est intouchable car il se trouve au ciel.

La Jérusalem terrestre est une simple réflexion, et il y a des moments dans l'histoire, même dans la théologie juive où cette ressemblance est abandonnée, où parfois Dieu, lui-même, détruit Jérusalem. Par exemple, la destruction de Jérusalem par les Babyloniens n'est pas le plan des Babyloniens, mais le plan de Dieu lui-même qui détruit le temple de Jérusalem en utilisant les Babyloniens à cause du péché et parce qu’il ne se reconnaît plus dans cette image. La Jérusalem terrestre fonctionne comme l'homme et comme le monde. Cette ambiguïté et cette tension sont inscrites dans la réalité de la Jérusalem terrestre.

Quels sont les dangers à vouloir créer sur terre une Jérusalem céleste?

L'auteur le plus important qui poursuit et développe cette image est saint Augustin. Il écrit sciemment après le sac de Rome, alors que cette grande capitale devait être la Jérusalem terrestre. Saint Augustin met en garde contre cela. Les chrétiens ne peuvent pas s'appuyer sur quelconque pouvoir terrestre. Notre but n'est pas de créer ici une illusion du Royaume des cieux faite par nos propres mains.

Il réagit à l'idéologie impérialiste venue alors de l'Église orientale avec Constantin et la vision d'Eusèbe de Césarée. Pour ce dernier, l'Empereur qui construit l'Église sur terre est un nouveau messie et réalise la vision de Jérusalem céleste sur Terre. C'est tout de suite problématique. Méfiance envers les théologies et idéologies millénaristes où quelqu’un annonce construire Jérusalem céleste sur terre.

Quelle est la différence entre la Jérusalem céleste et le paradis?

Le paradis vient de la vision du livre de la Genèse, l’Éden. Paradisum est l’image d’un jardin. La première ville apparaît seulement comme construction de l'homme avec les descendants de Caïn. Les images des premières villes sont tout à fait négatives: Babel évidemment, Babylone la monstrueuse et l’orgueilleuse, Jéricho, ville confuse et dangereuse. Ce symbole de la ville, ambigu, qui commence d'une manière plutôt négative, est incorporé dans l'histoire du salut. La ville qui à certains égards est le signe d'une chute, devient une partie de l'image paradisiaque. Jérusalem céleste, notre société qui est sauvée, devient un paradis dans un second temps dans la description apocalyptique. On parle de paradis en utilisant aussi cette image de la ville. Et le terme peut s’appliquer à la Jérusalem céleste.

Comment approcher la Jérusalem céleste au fond de nos cœurs déjà sur terre?

À chaque moment où l'on s'approche de la personne de Jésus Christ, nous sommes près du paradis. C'est ce moment qui nous est déjà donné. Vu comme cela, le paradis n'est pas très loin. Chaque moment où l’on se retrouve près du Christ qui unit le ciel à la terre, Jérusalem céleste est là. Dès que nous sommes à côté de l'Agneau, nous sommes dans la Jérusalem céleste.

Merci d'avoir lu cet article. Si vous souhaitez rester informé, inscrivez-vous à la lettre d’information en cliquant ici

01 novembre 2023, 16:00