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Vue sur Jérusalem. Vue sur Jérusalem.  (AFP or licensors) Les dossiers de Radio Vatican

La prière des chrétiens de Terre Sainte, un œcuménisme de témoignage

La Ville éternelle prie pour la Terre Sainte. Vendredi 27 octobre à 18h00 en la basilique Saint-Pierre, le Pape présidera une récitation du rosaire suivi d’une adoration eucharistique à l’occasion de la journée de prière, de jeûne et de pénitence pour la paix en Terre Sainte et dans le monde qu’il a décrétée. 37 ans après la rencontre interreligieuse d’Assise convoquée par Jean-Paul II (27 octobre 1986), François a souhaité élargir l’invitation à tous les chrétiens et à tous les croyants.

Entretien réalisé par Delphine Allaire – Cité du Vatican

«Il n'y a qu'un seul parti dans la guerre au Proche-Orient, celui de la paix», répète le Souverain pontife depuis l’attaque de l’État hébreu par les terroristes du Hamas et la riposte israélienne qui s’en est suivie dans les territoires palestiniens. Ainsi par cette journée spéciale, François veut opposer «l’arme de la prière à celle de la violence» en Terre Sainte, en Ukraine, en Arménie ou sur tous les théâtres de conflits du monde. Jérusalem, ville sainte pour les trois religions abrahamiques, catalyse les défis politico-religieux. Déserte depuis le 7 octobre dernier, la ville silencieuse accueille à présent la prière des fidèles dans l’intimité des paroisses et communautés, processions et rassemblements étant déconseillés.

Plus qu’ailleurs et que jamais en ces temps de lutte et de souffrances, le besoin d’unité entre chrétiens s’y fait ressentir. Les 13 Églises de Terre Sainte n’ont eu de cesse de se rapprocher. Un œcuménisme de témoignage et de service commun, selon le père blanc Frans Bouwen, missionnaire belge, hiérosolomytain depuis 50 ans. Engagé dans le dialogue œcuménique et interreligieux, il fut directeur de l’illustre revue «Proche-Orient chrétien» de 1969 à 2015.

Entretien avec le père Frans Bouwen

Quelle importance revêtent la prière, le jeûne et la pénitence pour implorer la paix une nouvelle fois ce vendredi dans un contexte de guerre?

Les paroisses et les communautés religieuses prient déjà pour la paix tous les jours, mais il est important qu’en ce jour nous nous sentions solidairement unis dans la prière de toute la communauté chrétienne. Le patriarche Pizzaballa ne nous appelle pas à de grands rassemblements, actuellement déconseillés. Dimanche 29 octobre, fête de Notre-Dame de Palestine, patronne du Patriarcat latin, il n'y aura ni processions ni rassemblements contrairement aux années précédentes. Nous sommes invités à prier pour la paix chez nous, dans nos communautés et nos paroisses. Cette journée est un signe de participation aux souffrances de toutes les victimes de cette violence, particulièrement, en ce moment, les pauvres et la toute petite communauté chrétienne de Gaza.

Le Pape en appelle à tous les chrétiens et tous les croyants. Quelle est la particularité et le visage de l’œcuménisme en Terre Sainte, terre du Christ?

Cette semaine, les rencontres entre les patriarches et chefs des Églises de Jérusalem se sont multipliées pour évoquer la présence de la communauté chrétienne à Gaza et les répercussions qu'une nouvelle étape dans cette guerre pourrait avoir sur l'ensemble du pays. Ils ont ensemble publié plusieurs déclarations, mais il n'y a pas eu de prière officielle annoncée. Je suis certain que tous ont prié quand ils se sont réunis dans le silence et la simplicité. Cela s'est exprimé particulièrement après l’attaque dans l’enceinte de l'église grecque-orthodoxe à Gaza. À l'occasion de la visite de l'archevêque anglican de Canterbury, Justin Welby, les patriarches et chefs d'Églises ont prié ensemble à l'église anglicane de Jérusalem. Une déclaration commune est parue dans la foulée, appelant à la fin de toute violence, au respect de toute personne et de toute vie.

Depuis les années 1980, puis début 1990 lors des premiers affrontements, cette solidarité et la fraternité entre les communautés chrétiennes de Jérusalem s'est toujours intensifiée à des moments de souffrances et de difficultés. Les Églises ont essayé de parler d'une seule voix et d’adopter une position commune, preuve d'une unité profonde qui les réunit, même si elle ne peut pas encore s'exprimer liturgiquement ou sacramentellement. Souvent la souffrance ou les conflits divisent, ici ils réunissent. C’est l’œcuménisme de témoignage et du service commun.

Quels types d'expériences œcuméniques vous ont marqué ces dernières décennies en Terre Sainte?

L’une des plus belles manifestations, expression de cet œcuménisme grandissant, a été l’ouverture commune de l'année jubilaire de 2000 sur la grande place de Bethléem, où toutes les Églises ont passé ensemble une après-midi à prier, chanter et se parler dans une même joie et une même prière. Depuis lors, de telles rencontres sont devenues de plus en plus difficiles à cause des circonstances politiques. Les grands rassemblements sont souvent mal interprétés.

Mais depuis ces années 1990 et encore aujourd’hui, patriarches et chefs d'Églises se rencontrent régulièrement, environ tous les deux mois, et publient chaque année un message commun à Pâques et Noël. En attendant que la paix puisse un jour permettre une plus grande stabilité, ils portent ensemble le souci de préserver les droits, la liberté des Églises et des lieux saints et d’assurer l'avenir de la présence chrétienne en Terre Sainte.

L'avenir des communautés chrétiennes est-il à risque selon vous?

Les chrétiens se trouvent devant un défi de présence et de permanence dans leur pays. Je comprends que beaucoup de familles, dans les circonstances politiques et économiques actuelles, partent ailleurs en quête d’un avenir meilleur, d’une vie plus facile et d’une plus grande liberté. Nous ne pouvons pas empêcher ces familles de partir si elles le désirent, le décident ou le jugent nécessaire. Mais pour nos Églises, une permanence des chrétiens en Terre Sainte où tout a commencé est non seulement symbolique, mais essentiel. Pour que les Lieux saints ne soient pas seulement des lieux archéologiques, mais qu’ils reçoivent leur vie des pierres vivantes qui vivent autour d’eux. Aussi, je suis convaincu que la présence chrétienne est un ferment de réconciliation et de paix. Vivant avec nos frères musulmans et nos frères juifs, les chrétiens au milieu peuvent, par leur présence, faciliter les relations, qui, je pense, sans eux seraient plus difficiles.

Cette journée de prière a lieu 37 ans après la première grande rencontre interreligieuse d'Assise avec Jean-Paul II, le 27 octobre 1986. De quel dialogue interreligieux ont besoin la Terre Sainte et Jérusalem?

Le dialogue interreligieux serait un engagement commun pour la paix, un dialogue où, ensemble, nous trouvons les uns et les autres dans notre foi, la source de paix qui peut nous aider à vivre ensemble. Nous avons moins besoin aujourd'hui d'un dialogue religieux que d'une vie commune, une acceptation mutuelle pour construire ensemble un pays fraternel. Cela est particulièrement vrai à Jérusalem, ville sainte appelée à être symbole de l'universalité et qui, aujourd'hui, est plutôt un signe de contradiction. Jérusalem doit pouvoir sauvegarder son caractère universel et rester ouverte aux religions de toutes les nations. Nous avons besoin de ce dialogue de «la convivance» en vue d’un avenir meilleur. La réflexion théologique viendra et l'accompagnera, mais devra toujours tenir compte de cette dimension.

Jérusalem et la Terre Sainte sont-elles et doivent-elles être la priorité d'un Souverain pontife et du Saint-Siège?

Ce n’est pas à moi de déterminer les priorités du Pape et du Saint-Siège, mais je pense que Jérusalem et la Terre Sainte méritent d'occuper une place particulière. Ici tout a commencé et ici résonne cet appel à l'universalité qui n'existe nulle part ailleurs, surtout entre les trois grandes religions monothéistes, judaïsme, christianisme et l'islam, Quelque chose d'unique existe ici. Cet unique est parfois signe de contradiction et cause de conflits.

Je crois aussi que nos Églises sont toujours appelées à se ressourcer. Nous ne pouvons pas nous couper de nos racines, de nos sources. Pour nous chrétiens, cela ne signifie pas que nous devons posséder Jérusalem. Pour avoir la souveraineté sur Jérusalem, il nous suffit de pouvoir être présents, de vivre parmi nos frères et nos sœurs, d’accueillir les pèlerins et d'être ainsi un signe pour l'Église universelle, un signe d’espérance.

Comment composer avec ce pari fou de la paix en Terre Sainte, alors que l'on sait que ce jour où la paix sera sur Jérusalem sera peut-être dans une autre réalité, non terrestre. Comment pourrait-elle tout de même atteindre dès ici-bas une forme de modus pacis, de mode de paix?

Attendre ou espérer… Notre espérance dépasse notre attente. Pour le moment, il est difficile de déterminer ce que nous pouvons attendre, ce que nous voyons possible dans un avenir proche. Nous pouvons seulement commencer à préparer le chemin, à faire le premier pas. Nous ne pouvons pas dire ce qui va se réaliser, ni comment, mais seulement espérer que cela se fera un jour. L'espérance est une vertu théologale. Elle est là, même quand l'espoir humain n'est plus là. Cela nous anime et permet de ne pas désespérer.

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26 octobre 2023, 18:44