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La voile bleue et blanche porte les couleurs de Marie, mais aussi celles de la Ville de Marseille. Basilique Notre-Dame de la Garde. La voile bleue et blanche porte les couleurs de Marie, mais aussi celles de la Ville de Marseille. Basilique Notre-Dame de la Garde.  

En Méditerranée, considérer la religion comme une solution

Initiant un pèlerinage méditerranéen dès son élection en 2013 à Lampedusa, sillonnant 17 pays de la Mare nostrum en dix ans, le Pape argentin met la lumière sur un espace géographique, civilisationnel et théologique vertigineux. Des millénaires d’histoire et la naissance des trois religions abrahamiques sur son rivage. La Méditerranée a sa théologie. François l’a théorisée à Naples, en juin 2019 à la faveur d’un colloque universitaire.

Entretien réalisé par Delphine Allaire - Marseille

Entretien avec le père Patrice Chocholski, directeur de l'Institut catholique de la Méditerranée

Quel est le sens théologique de telles rencontres sur la Méditerranée?

L'histoire méditerranéenne raconte un tissu continu de relations heureuses et dramatiques, de rencontres et de dialogue. Elle met en évidence que c'est un lieu de révélation qui nous dit que Dieu est dialogue et que le dialogue est le lieu de Dieu. Parce que la Méditerranée entre les terres, étymologiquement, est un entre deux relationnel qui raconte une dynamique d'écoute qui jaillit des entre deux, des personnes, des langages, des rives. Ce que les philosophies autour de la Méditerranée ont appelé la parole, le Verbe, le Logos. Ce que l'on voit déjà aussi dans la Genèse, et dans le Prologue de l'Évangile selon saint Jean: Au commencement était le Verbe.

 

Depuis dix ans, le Pape François met en lumière cette dynamique méditerranéenne. Est-ce nouveau car criant au regard des enjeux de l'époque ou l'Église avait-elle avant déjà ce souci d'une théologie de la Méditerranée?

Désormais, c'est une théologie vraiment relationnelle qui constitue notre champ de travail dans un réseau de réseaux où l'Institut catholique de la Méditerranée est impliqué avec des théologiens des différentes rives. Nous avons rédigé un manifeste de théologie depuis la Méditerranée, un texte ouvert offrant une sorte de balisage où le dialogue devient le cœur de la théologie.

Ce qui a été indiqué par le Pape François déjà dans son discours de Naples de 2019, c'est le dialogue qui devient la méthode théologique. Cela se prépare depuis au moins un siècle avec les philosophes dialogiques, mais c’est plutôt nouveau. Nous entrons dans une ère nouvelle, avec une détermination forte à partir de Dieu qui est dialogue.

Quelle est la responsabilité théologique de l'Église catholique en Méditerranée? Ressent-on «une responsabilité du berceau»?

La singularité du contexte méditerranéen, qui est aussi le berceau des trois grandes religions monothéistes et de grandes philosophies, je pense à l'héritage grec en particulier, nous oblige à revisiter nos relations avec en particulier le peuple d'Israël.

Et là, nous nous rendons compte, sur la base aussi du document du sicastère pour le Dialogue œcuménique avec le dialogue avec le judaïsme de 2015 qui nous invite, la théologie chrétienne catholique du moins, à se libérer des traces de la théorie de la substitution. Alors, comment faire les comptes avec tous ces dialogues? Comment faire en sorte de les respecter profondément, même s'ils nous échappent? La théologie est invitée à une profonde humilité et à une profonde sensibilité vers l'autre. C'est le "tu" qui fait advenir le "je", le "tu" de l'autre qui fait advenir notre "nous". Là, c'est nouveau.

À Marseille, nous sommes très inspirés par Christian de Chergé qui se posait la question par rapport à tous ces peuples de la Méditerranée, en particulier avec les peuples de l'Islam. Il écrivait: «Pouvons nous nous abreuver mutuellement? Et bien c'est au goût de l'eau qu'on en juge. Et la véritable eau vive est celle que nul ne peut faire jaillir ni contenir. Et le monde serait moins désert si nous pouvions nous reconnaître une vocation commune, celle de multiplier au passage, pour nous abreuver les fontaines de cette eau de miséricorde.

Cela nous inspire à tel point que nous travaillons aussi sur une école catholique du dialogue avec des partenaires en Méditerranée, au Liban, jusqu'à l'Irak, de Naples, de Bari, de Rabat au Maroc, du PISA, des chercheurs aussi, de Haïfa, du Caire, de Barcelone. Avec nos Églises, nos évêques, non seulement nous nous mettons à l'écoute des personnes les plus fragiles des questions qui concernent bien évidemment les migrations, l'environnement, les réalités locales, avec leurs parfums à l'écoute.

Mais pour nous engager d'entretenir ces dialogues, en particulier avec les jeunes, de manière œcuménique, interreligieuse, avec des centres culturels pour faire de la Méditerranée un grand espace de dialogue, une Pentecôte continuée, cela nécessite l'engagement des théologiens.

Mais aussi nous sommes en lien avec des chercheurs, des théologiens juifs, des chercheurs musulmans, des chercheurs sur la relation bien évidemment avec le monde agnostique ou athée. Le dialogue comme lieu de Dieu, ça ne les gêne pas, bien au contraire, ça les provoque, ça les dynamise dans cet engagement avec nous ou nous avec eux, pour entretenir ce dialogue qui est une promesse, une espérance. Cette pluralité méditerranéenne peut dire beaucoup au reste du monde, des possibilités de paix.

Pourquoi la Méditerranée concentre sur son pourtour autant de villes-messages?

Il y a une pluralité culturelle, religieuse des personnes qui viennent de plusieurs continents d'Asie, d'Afrique du Nord, de l'Europe, sans compter les migrants des autres continents qui sont accueillis de manière très fraternelle, amicale par la famille méditerranéenne. A ce titre-là, la capacité de relations de dialogue dans ces grandes villes méditerranéennes devient un message.

Je le vois ici à Marseille, la pluralité culturelle, la pluralité religieuse n'est pas un obstacle à nos relations. La relation est première. Peut-être que le climat, la gastronomie jouent. Nous avons aussi des entreprises qui nous disent «Venez nous aider, nous offrir des formations au dialogue interculturel et interreligieux». Des clubs de foot nous le demandent parce que, nous dit-il, si vous arrivez à faire des questions religieuses, à les mettre non pas sur le plan des problèmes et des blocages, mais du côté des solutions, alors nous aurons des équipes de foot performantes parce que parmi les joueurs, il y a des musulmans, des chrétiens, des juifs, des bouddhistes. En Méditerranée, les gens sont conscients que la religion est du côté de la solution plutôt que du côté des problèmes.

Pas d'idéalisme non plus parce qu'il y a des conflits, mais nous continuons à considérer en majorité que la question religieuse est du côté des solutions.

Une certaine théologie de la mer ou du port aide-t-elle Marseille à délivrer ce message?

Depuis toujours, la Méditerranée constitue un entre-deux. Les villes portuaires sont orientées davantage vers les autres villes portuaires du pourtour méditerranéen et s'inscrivent davantage que vers le continent, pour le coup, avec une conscience singulière d'être tourné vers l'entre deux, sorte de vortex maritime dangereux, mais qui facilite, qui oblige à se relationner avec l'autre. L'apport culturel de chaque ville méditerranéenne est déterminé par ce qu'elle a reçu des villes des autres rives. Il y a une conscience à dépendre de l'autre, un certain courage et une spontanéité à voir dans l'autre, un apport plus qu'un danger.

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21 septembre 2023, 18:00