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Des soldats britanniques le 25 mars 2003 dans le nord de Ramaila en Irak. Des soldats britanniques le 25 mars 2003 dans le nord de Ramaila en Irak.  Les dossiers de Radio Vatican

Seconde guerre du Golfe: récit de l'ancien nonce à Bagdad

Il y a vingt ans jour pour jour, les États-Unis, soutenus par plusieurs pays occidentaux, lançaient l'opération Liberté irakienne, pour faire tomber le régime baassiste accusé, à tort, de détenir des armes de destruction massive. Le cardinal Fernando Filoni revient sur ses années de guerre aux côtés des chrétiens d'Irak.

Entretien réalisé par Marie Duhamel - Cité du Vatican

«Premier jour de guerre. Dans la rue, un chien». Tels sont les mots écrit à la date du 20 mars 2003 sur le journal tenu quotidiennement par le nonce apostolique en Irak. Mrg Fernando Filoni y a été nommé par Jean-Paul II, huit mois avant le 11 septembre. Il a assisté depuis Bagdad à l’attentat contre les Tours jumelles revendiqué par Al-Qaïda, à la proclamation de la guerre contre le terrorisme lancée par George W. Bush, à l’intervention américaine en Afghanistan où se trouverait selon la CIA le siège de la nébuleuse terroriste.

Suspectant des liens entre le régime irakien et les djihadistes d’Oussama Ben Laden, un plan d’attaque de l’Irak est commandé par George W Bush. Les États Unis accusent le pays d’attentats, de détenir des armes de destruction massive. Le président américain promet de libérer les Irakiens du joug du parti baas et de Saddam Hussein.

«Jamais la guerre ne peut être considérée comme un moyen comme un autre de régler les différends entre les nations», affirmait Jean-Paul II, le 13 janvier 2003, dans son discours au corps diplomatique accrédité auprès du Saint-Siège. Cet appel a été réitéré lors de l'angélus du 16 mars 2003, lorsque «face aux conséquences énormes qu'une opération militaire internationale aurait pour les peuples d'Irak et pour l'équilibre de toute la région du Moyen-Orient, déjà si éprouvée, ainsi que pour les extrémismes qui pourraient en découler», il déclarait: «il est encore temps de négocier; il y a encore de la place pour la paix; il n'est jamais trop tard pour se comprendre et pour continuer à négocier».

Ces appels n’ont pas été entendus. Washington, soutenu par plusieurs pays occidentaux, lance l’opération «Liberté irakienne» le 20 mars 2003. 

Le cardinal Filoni, nonce en Irak de 2001 à 2006.
Le cardinal Filoni, nonce en Irak de 2001 à 2006.

Entretien avec le cardinal Fernando Filoni qui vient de publier «L’Église dans la terre d’Abraham» aux éditions du Cerf. L'actuel grand maitre de l’Ordre équestre du Saint-Sépulcre représentait le Saint-Père en Irak pendant ces années de guerre. Il revient sur le climat qui régnait avant même le début des opérations militaires.

La situation avant la guerre était très conflictuelle. Les journaux irakiens revenaient tous les jours sur la polémique entre Saddam Hussein, les Nations unies et les gouvernements occidentaux, les États-Unis et le Royaume-Uni. Le Pape Jean-Paul II a de nombreuses fois parlé de la nécessité du dialogue mais la réalité est qu’il y avait peu d’espace pour le dialogue et, jour après jour, l’atmosphère de confrontation devenait plus forte, en particulier six mois avant la guerre. Nous avions l’impression que la guerre était déjà établie, bien que Saddam Hussein m’ait demandé, via des émissaires, s’il était encore possible de faire quelque chose. J’ai suggéré de faire une loi contre les armes de destruction de masse et chimiques, et il l’a fait en deux jours, une loi qui a déclaré l’Irak comme “pays contre les armes de destruction de masse” mais les Américains ont qualifié cette décision d’inacceptable et incroyable. J’ai eu alors le sentiment que la guerre était déjà établie et qu’il n’y avait plus rien à faire qu’à attendre.

L’opération «Liberté irakienne» lancée par une coalition conduite par les États-Unis a débuté le 20 mars 2003. Vous avez décidé de rester en poste à Bagdad – vous y serez le seul diplomate pendant la durée de la guerre. Pourquoi?

Il faut comprendre que nous, représentants du Saint-Père, nous ne sommes pas là pour faire des accords financiers et économiques à l’instar des autres pays qui ont des intérêts particuliers. Notre souci est la paix, la défense des droits des chrétiens, et des minorités. Nous voulons aussi maintenir de bonnes relations avec la réalité du gouvernement que nous rencontrons là. Nous ne sommes pas là pour juger mais pour maintenir le principe de la vie sociale de l’Église et la liberté religieuse. Si nous sommes là pour ces raisons, il était impossible pour nous de laisser le pays et de nous enfuir, en raison de la guerre. Les évêques sont là, les prêtres sont là. Comme l’a souvent dit le Pape Paul VI, nous sommes des personnes qui vivons la même vie que le peuple et l’Église. Nous ne pouvions pas envisager de nous en aller quand les autres restent. C’est une question de proximité et d’Église. Nous sommes là pour soutenir les Églises et nos chrétiens. Et pendant la guerre j’ai visité un grand nombre de paroisses.

Nous avons des images aujourd’hui de la guerre en Ukraine, des bombardements même sur des établissements civils. Quelle a été la réalité de la guerre en Irak, à Bagdad là où vous vous trouviez?

La guerre est toujours terrible. Il n’y a pas de considération pour ce qu’est la souffrance du peuple. Les idéologies et le politique cherchent à avoir le dernier mot. Et je me souviens de notre incapacité: «Que pouvons-nous faire ? C’est plus grand que nous, nous ne sommes que de petites personnes qui ne subiront que ce qui a été établi par les autres par intérêt». Et les intérêts en Irak était le pouvoir de Saddam Hussein et ceux qui, de l’autre côté, pensaient que ce dernier ne pouvait plus être le président en Irak.

Sur la question de la démocratie, jamais la démocratie ne peut être instaurée par la guerre, et les tous les peuples ont la possibilité de choisir ce qui est mieux pour eux. Nous, nous sommes là pour les aider et leur montrer la force du droit et la possibilité que chaque peuple peut choisir le chemin à emprunter pour arriver à la défense des droits des minorité du peuple.

Est-ce qu’il vous a été possible de mettre en contact des gens sur le terrain une fois la guerre commencée, dans l’espoir d’instaurer un dialogue?

Pour nous, c’était très difficile… Jean-Paul II a de nombreuses fois condamné la guerre, car la guerre préventive était condamnée par le Saint-Siège. On ne peut pas accepter qu’il y ait une guerre préventive. Pourquoi la mener? La réponse n’était pas acceptable. Alors si le Saint-Père, le Saint-Siège, les autres pays étaient contre la guerre, pouvions-nous, nous qui vivions à l’intérieur de l’Irak, faire quelque chose? Je trouve ça difficile, mais nous pouvions subvenir à de nombreuses situations. Je suis intervenu plusieurs fois pour résoudre des problèmes avec des journalistes, avec des personnes qui se trouvaient là: des travailleurs, des personnes qui avaient besoin d’hôpitaux, de documents, d’être en connexion avec l’extérieur, avec leurs familles parce que tout était détruit…  Il n’y avait pas de gouvernement vers lequel se tourner pour demander le nécessaire, et la nonciature a servi tout cela.

Donc une gestion d’urgence, du quotidien. Comment avez-vous cherché à accompagner les chrétiens ?

La première chose qu’a fait la guerre, ce fut la destruction des télécommunications. Comme nonce apostolique, j’avais un téléphone satellite, et c’était le seul que je pouvais utiliser pour échanger avec le Saint-Père et recevoir des informations.

Finalement, la seule manière d’avoir des informations concernant ce qu’il se passait dans les paroisses et les diocèses, était de se rendre sur place. Alors tous les jours, l’évêque auxiliaire de Bagdad faisait office de chauffeur et nous allions tous les deux dans les paroisses où des missiles avaient explosé pour voir ce qu’il se passait, savoir si les prêtres étaient encore vivants, si les églises étaient détruites, s’ils avaient besoin de quelque chose, pour encourager les prêtres et les fidèles qui étaient sur place. Car, souvent pendant la guerre, les fidèles aimaient aller dormir dans les églises. Il n’y avait pas d’autres possibilités d’abris pour eux et les évêques ont décidé que toutes les églises resteraient ouvertes la nuit. Donc, nous faisions ce tour, en prenant quelques risques. Mais si vous vouliez des nouvelles, il fallait aller les chercher.

L’intervention américaine a rapidement mis fin au régime baasiste, des milices sont apparues, chiites et sunnites irakiens ont cherché à prendre le pouvoir. Comment l’Église a vécu cette période ?

Dans la première période, il y avait des pillages, des actes de vengeances. Si vous preniez la route, il y avait des explosions, des gens armés qui prenaient votre voiture. C’était vraiment très difficile, l’anarchie absolue.

Lorsque le régime de Saddam est tombé, nous évêques, nous avons eu beaucoup de rencontres pour savoir ce que nous allions faire. Nous nous demandions quel serait le futur de notre communauté, de l’Église? Il n’y avait pas de réponse. Des rencontres ont également eu lieu avec les orthodoxes. Il fallait discuter de la ligne à tenir, car nous ne savions pas qui allait prendre le pouvoir. Les Américains? Il y avait les militaires qui avaient pris le pouvoir, puis ils ont nommé un gouverneur, mais ils en ont changé. Notre sentiment c’est qu’ils ne comprenaient pas la réalité du pays. Alors que faire? Peu à peu nous avons affirmé notre intention. Nous demandions le respect de la liberté religieuse, le respect pour tous, et qu’il y ait une loi qui exige le respect de la dignité des personnes. Ce travail a été fait en particulier par le patriarche des chaldéens, qui représentait la majorité de la présence chrétienne locale, avec le consentement des autres évêques. Il fallait défendre le droit de l’Église et des chrétiens car, ils le répétaient, «nous sommes Irakiens». La préoccupation alors était que l’islam prenne le pouvoir comme en Iran pour faire un pays islamique. Ces années-là appartiennent déjà à l’histoire. Pendant de nombreuses années des personnes sont sorties du pays, se sont réorganisées, les baasistes, des fanatiques, il y avait de tout. Il y avait une forme de gouvernement mais l’anarchie était souveraine.

Je pense que l’histoire a donné beaucoup de réponses. Lorsqu’il y a un changement, le pouvoir extérieur ou même intérieur ne suffit pas. Il faut le respect du peuple, ce qui n’existait pas en Irak. S’ajoute à cela, la pauvreté, l’insécurité, la santé qui n’était pas prise en considération et l’éducation qui était bloquée. Tout cela a produit un mal terrible. Et beaucoup de chrétiens ont fait, à ce moment-là, le choix de partir. Plus de la moitié des chrétiens sont partis d’Irak, particulière de la chute de Saddam Hussein jusqu’au moment terrible de Daesh qui a forcé les chrétiens à fuir le nord de l’Irak.

Aujourd’hui, le groupe État islamique a été vaincu, les civils sont au pouvoir en Irak. Le Pape a même pu se rendre en terre abrahamique il y a deux ans. Le début d’une nouvelle page d’histoire?

Je pense que cette visite a donné à beaucoup d’Irakiens la possibilité de croire en eux-mêmes. Une nouvelle histoire a commencé à être écrite et il faut l’encourager. L’ancien entourage politique pense comme par le passé, mais des jeunes commencent à avoir conscience d’eux-mêmes, à penser qu’il est possible de construire une histoire qui apprennne des erreurs du passé. Il faut en prendre conscience et prendre ses responsabilités personnelles. Avec Saddam Hussein, il n’était pas possible d’avoir une opinion politique ou une perception différente de celle du régime. Maintenant, je crois que c’est possible mais c’est un long travail et le chemin ne fait que commencer. 

Entretien avec le cardinal Fernando Filoni.

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20 mars 2023, 14:22