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La vie de Jésus (éditions du Cerf) La vie de Jésus (éditions du Cerf) 

La vie de Jésus, une rencontre pas comme les autres

Une façon différente et presque conviviale de rencontrer Jésus. Le directeur éditorial des médias du Vatican est l’auteur d’un récit qui mêle la vérité de la Sainte Écriture et son imagination, pour proposer une rencontre personnelle avec le Christ. Entretien avec Andrea Tornielli.

Entretien réalisé par Jean Charles Putzolu - Cité du Vatican

La version française du livre d'Andrea Tornielli, directeur éditorial des médias du Vatican sort le 9 février aux éditions du Cerf, avec le titre «La vie de Jésus». Préfacé par le Pape François, l'ouvrage retrace la vie du Christ et reconstitue le contexte de l'époque. On y décrit les tenues vestimentaires, les couleurs, les détails du quotidien, jusqu'aux «odeurs» des bergers et de leurs troupeaux. Andrea Tornielli a rédigé ce livre peu après le premier confinement, quelques temps après le coup de téléphone d'un ami prêtre turinois qui avait été frappé par l'efficacité des homélies du Pape François lors des messes matinales à Sainte-Marthe, et qui lui avait demandé pourquoi ne pas raconter la vie de Jésus en l'enrichissant des commentaires du Pape François. À la veille de la parution de l'ouvrage en France, Andrea Tornielli revient, dans un entretien, sur cette aventure littéraire.

Le style d’écriture est plutôt convivial, et met assez rapidement le lecteur à son aise. On y trouve des éléments de contexte de la vie quotidienne qui ne sont pas forcément mentionnés dans les Évangiles, comment avez-vous procédé pour cette reconstitution ?

Le livre est composé de trois éléments: le texte de l'Évangile, les citations sont en italique, pour faciliter une distinction entre mes propos et les Paroles de l’Écriture, et mes propos, mon histoire, mon imagination. Et puis il y a les mots du Pape, que le lecteur retrouvera au fil du texte entre guillemets, mais c’est vrai que le tout s’enchaine dans un récit fluide et continu. J'ai clairement essayé d'étudier la culture, l'archéologie… J'ai écrit d'autres livres sur l'histoire des Évangiles et j'essaie donc de décrire des situations qui sont toutes liées au contexte de cette époque. Mais l’objectif du livre, pour ce que j’ai écrit, n'est pas de faire des envolées fantaisistes, mais de m'imaginer sur place et donc d'aider le lecteur à rencontrer le protagoniste du livre d'une manière pour ainsi dire simple, directe et immédiate. Bien sûr, on peut lire les Évangiles. Mais il y a des éléments du livre qui ne sont pas dans les Évangiles. Ceux-ci ne donnent pas par exemple la couleur des vêtements ni toutes les caractéristiques de la vie des gens. J'ai donc imaginé des éléments qui peuvent aider à lire ce qui constitue l'essentiel, autrement dit l'Évangile. 

Lorsque vous racontez la naissance de Jésus dans cette étable de Bethléem, vous la transformez en un espace vivable, avec Joseph qui prend une poutre, pour y pendre une sorte de rideau… 

Il est clair que nous avons certaines informations. À Bethléem il y avait un grand caravansérail où les voyageurs s'arrêtaient. Il est difficile d'imaginer qu'il n'y avait pas de place pour une femme sur le point d'accoucher. Il est presque inhumain de penser qu'il n'y avait pas de place pour eux et, bien que je croie réellement que ce soit le cas. Ils ne cherchaient pas n'importe quel lit n’importe où. Marie avait aussi besoin d'intimité pour vivre le moment de la naissance et le caravansérail était un lieu où femmes, hommes, animaux dormaient ensemble. Et pourtant j'ai imaginé que les étables étaient en réalité des grottes et dans les grottes il y avait une partie réservée à l’habitat, généralement au-dessus de l’étable. J'ai imaginé qu'on leur a proposé de rester dans une étable disponible et vide à ce moment-là et qu'ils s'y sont installés. J'ai donc imaginé Joseph rendant la situation aussi confortable que possible pour ce qui allait se passer. 

«Joseph continua à chercher pour Marie un lieu isolé, à l’abri des regards indiscrets. Un lieu "pour eux". Ils durent se contenter d’une petite grotte qui servait d’étable, abritée et protégée, creusée à côté d’une maison, à l’extrémité orientale du village. Une femme âgée, à la peau ridée comme une vieille écorce, la leur avait indiquée et mise à disposition.
L’époux, hors d’haleine, faisait des allées et venues pour rendre cet hébergement d’urgence accueillant: il se procura d’abord de la paille sèche et propre, alluma un feu entre deux blocs de pierre prévus à cet effet, entassant suffisamment de bois pour toute une nuit. À partir d’une poutre, il fabriqua un rideau de fortune, séparant le coin le plus reculé du reste de la grotte. Ce n’était qu’une étable, mais aux yeux de Marie, qui le regardait faire, elle revêtait désormais la forme et la chaleur d’un foyer. De l’entrée, débarrassée de ses ronces, on apercevait maintenant un bout de ciel étoilé.
Puis le silence se fit. Un silence total, presque irréel dans la nuit de Bethléem, grouillante de voyageurs et de pèlerins. C’était comme si la cité de David tout entière avait retenu son souffle en vue de cet événement dont personne n’avait connaissance, à l’exception de Dieu et des deux jeunes époux réfugiés dans l’étable. Un événement méconnu de tous mais attendu par des générations de prophètes. Le temps s’arrêta cette nuit‑là.»
(extrait, La vie de Jésus, chapitre II)

Pourquoi revêtir l'histoire de la vie de Jésus de cette imagination et la présenter au lecteur de cette manière?  Quelle en est la raison? 

En fait, j'espère toucher des personnes qui ne sont pas familières de l'Évangile et qui peuvent lire ce livre comme un roman, une biographie, et être aidées. Les parties descriptives aident parce que l'Évangile est plutôt faible dans ce domaine et ne nous dit même pas que Marie et Joseph se sont réfugiés dans une étable. Nous savons en revanche qu'elle a couché l’enfant dans une mangeoire. C’est ce détail qui nous fait comprendre qu’il s’agissait d’une étable. L'Évangile ne s'attarde pas sur les descriptions. Il est clair qu'un lecteur, par contre, a besoin qu'on l'aide à entrer dans l’histoire, et c’était mon but, essayer de trouver une façon de rapprocher de l'Évangile ceux qui ne le connaissent pas. Pour moi, c’était aussi une façon différente d’entrer dans l'Évangile ; je ne l’avais auparavant jamais envisagé comme cela. Ça m'a aussi aidé à rendre Jésus peut-être plus humain, un personnage plus proche de nous, même si l'Évangile a pour but de présenter Jésus comme Dieu. L'Évangile a été écrit après que Jésus est ressuscité des morts. Il regarde donc la vie de Jésus déjà avec l'œil de la foi, de la résurrection. Mais la vie de Jésus reste une rencontre avec un homme, donc son humanité est un fait saillant. Je suis de plus en plus convaincu que la divinité du Christ a rendu son humanité bien plus forte, et donc que les scènes que nous raconte l'Évangile sont des scènes de grande humanité, faites non seulement de mots, mais de gestes, de regards de gens qui vivaient ensemble et qui l'accompagnaient, de rencontres qui se déroulaient dans la rue, avec des personnes émues en l'écoutant, et d’autres mues par le désir de le mettre en difficulté.

Votre livre est introduit par un texte du Saint-Père. Que dit François dans son introduction?

Disons que ce qui est beau dans son texte, c'est qu'il correspond aux choses que le Pape avait également dites dans une interview pour une émission sur les visages des Évangiles. On retrouve l'approche du Pape François, qui nous invite toujours à ne jamais sortir de chez soi sans avoir un petit Évangile en poche, parce qu'il nous parle de rencontres, de la force des regards, d’une manière d’être qui tient compte justement de cette humanité et du fait que l'Évangile n'est pas un ensemble de doctrines, une philosophie ou des normes morales, mais c'est la rencontre avec une personne. Le christianisme est une rencontre avec une personne, pas avec des doctrines. «Le Christianisme réside essentiellement dans le Christ. Il est moins sa doctrine qu’il n’est sa Personne» disait Maurice Zundel dans cette phrase que François Mauriac a reprise au début de son livre sur la vie de Jésus-Christ, sorti en 1936. J’ai repris cette phrase de Maurice Zundel parce que je la trouve très belle, «Il faut faire la rencontre de la personne».

«Depuis longtemps, je ne cesse de recommander à tous un contact direct et quotidien avec les évangiles. Pourquoi? Parce que si nous n’avons pas un contact journalier avec l’être cher, il nous sera difficile de l’aimer. L’amour ne se vit pas par correspondance, il ne peut s’entretenir uniquement à distance: bien sûr, cela peut arriver, mais il s’agit là d’exceptions. L’amour nécessite un contact permanent, un dialogue permanent; l’amour, c’est écouter l’autre, l’accueillir, le regarder. Ça consiste à partager sa vie. Si nous n’avons pas l’expérience du Christ vivant, celui avec lequel l’Évangile nous met en contact, nous risquons de ne saisir que des idées, voire pire, des idéologies sur l’Évangile. Nous ne serons donc pas en contact avec Jésus, le Vivant, mais avec des opinions et des idées Le concernant, certaines étant vraies, d’autres pas. Or, nous n’avons pas été sauvés par des idées, mais par une personne: Jésus Christ. Alors, emporter avec soi un Évangile de poche et en lire quelques extraits, une ou plusieurs fois par jour, c’est comme emporter son "repas" quotidien.»
(extrait de l'introduction de François)

Votre livre parait aujourd’hui en français, et vous dites qu’il s’adresse à des lecteurs qui n’auraient pas encore d'affinité avec le Christ. Pensez-vous qu'il soit utile de présenter ce style d'approche à une société déchristianisée? 

Eh bien, je pense que oui.  Tout d'abord je dois dire que je suis ravi qu'il sorte en français. Ensuite, parce que je suis certainement redevable à François Mauriac pour sa vie de Jésus, qui est beaucoup plus courte que la mienne mais qui est surtout d'un tout autre niveau. François Mauriac avait de belles intuitions et l'une d'entre elles, par exemple, et je l’ai reprise, lorsqu'il dit que lorsque Jésus parlait sur le mont des béatitudes, il criait «heureux, heureux». Mais pour les gens qui étaient loin, c'était tout ce qu’ils entendaient. Ce premier mot «heureux» plus que tous les mots qui suivaient. Cependant, je pense que la personnalité de Jésus, son humanité et son message sont très pertinents aujourd'hui, surtout pour une société déchristianisée, pour ceux qui n'ont peut-être même pas reçu la première annonce de l’Évangile ou n'en ont entendu parler que d'un point de vue culturel ou de la tradition. Mais je crois davantage que les gens ont besoin de trouver quelqu'un qui soit là pour les écouter et les embrasser avant de les juger. 

Que diriez-vous à quelqu'un qui passerait devant une librairie et verrait ce livre? 

Je dirais de regarder la couverture. Elle offre le plus beau visage de Jésus qui existe, à mon avis, à savoir l'icône du Sinaï, de Sainte-Catherine sur le Sinaï, qui est un visage très humain de Jésus d'où transparaît toute son humanité. Si le regard de cet homme lui dit quelque chose, alors qu’il essaie de lire le livre.

L'ouvrage s’adresserait-il également aux périphéries de la foi, celles que François aime rencontrer, depuis le premier jour de son pontificat, il y a presque dix ans?

J’ai eu des retours positifs, je dois dire, même de la part de non-croyants qui l'ont lu et qui m’ont dit avoir été impressionnés. Ils ne l’ont pas été par mon livre. Mon livre retrace les Évangiles, il contient les textes de l'Évangile. C'est plutôt la personnalité de Jésus telle qu'elle ressort de l'Évangile qui peut impressionner. J'ai essayé de l’agrémenter d’une imagination, de l’imagination d’un journaliste. J’ai essayé de me positionner dans chaque scène, de me faire une petite place dans un coin, pour voir, pour écouter, pour suivre les pas de cet homme, comme on le faisait à l'époque sur les chemins de Judée, de Galilée, de Samarie, de Tyr, de Sidon... Dans tous les déplacements qu'il a effectués au cours des trois années de vie publique - il ne s'est jamais arrêté un seul instant - la plupart des rencontres de Jésus ont eu lieu dehors, dans les rues, sur les chemins, et c’est une très belle indication pour la vie de l'Église aujourd'hui.

«Une semaine après la résurrection, alors qu’il était une nouvelle fois apparu aux apôtres, réunis dans le cénacle, pour montrer ses plaies à Thomas, Jésus avait trouvé ses amis s’affairer aux préparatifs du voyage. Les célébrations de cette Pâque de l’an 30, qui resterait unique dans l’histoire de l’humanité, avaient pris fin, et les disciples s’apprêtaient à retourner en Galilée, comme il l’avait lui‑même demandé aux femmes devant le tombeau, au matin de sa résurrection. Quitter Jérusalem, s’éloigner de la capitale religieuse, signifiait pour eux échapper au contrôle des chefs des prêtres, qui, bien que convaincus d’avoir résolu leur problème avec la mort du Nazaréen, se demandaient ce qu’étaient devenus ses disciples.
Ils partirent donc et atteignirent Capharnaüm après cinq jours de marche. Ils purent de nouveau embrasser leurs proches et leurs amis. Ils racontèrent ce qui s’était passé et beaucoup les crurent. Ceux qui rencontraient les apôtres ou les autres disciples, ces jours‑là, s’attendaient à trouver un groupe d’amis en train de faire leur deuil et de digérer un échec total. Or, ils se trouvaient, au contraire, face à des hommes et des femmes habités par une certitude: celui qu’ils avaient vu torturé, suspendu en haut d’une croix et exécuté, était revenu les voir, parler et manger avec eux. Leur Maître était mort et ressuscité. Les questionnements, les difficultés quotidiennes et les polémiques entre eux n’étaient pas terminés. Mais cette certitude, la certitude de ce qu’ils avaient vu et touché, était omniprésente. N’importe qui les connaissant savait qu’ils étaient tout sauf des visionnaires. Des pêcheurs, des gabelous, des artisans… mais pas des prêtres ou des philosophes, ni des exaltés, en proie à des crises mystiques. La seule chose qu’ils annonçaient à ceux qu’ils rencontraient était la résurrection du Seigneur. Cet événement qui les avait surpris et émerveillés, cet événement qui avait eu raison de leurs résistances et de leurs doutes, venait sceller les paroles que Jésus avaient prononcées et les actes qu’il avait accomplis quand il se trouvait parmi eux. Non, celui qu’ils avaient vu vivant n’était pas un fantôme. Ce n’était pas non plus une hallucination. C’était vraiment lui, leur Maître.»
(extrait, La vie de Jésus, chapitre 26)

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08 février 2023, 17:43