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Maladies mentales en RDC: le centre Telema en première ligne

Quand le Pape rencontrera le 1er février des œuvres caritatives, il se rendra compte de l’apport considérable des différentes congrégations religieuses présentes en RDC qui s’occupent de tous les aspects de la vie des Congolais. Parmi les structures existantes, le centre de santé mentale Telema des sœurs hospitalières est dédié aux malades mentaux. Face à l’ampleur de la demande, un second centre a été ouvert, conséquence visible d’une société congolaise en souffrance.

Xavier Sartre – Envoyé spécial à Kinshasa, RDC

Matete est un point névralgique à Kinshasa. Situé le long de la route qui relie le centre-ville à l’aéroport international de N’Djili, le centre de santé mentale Telema – lève-toi en lingala, la principale langue parlée dans la capitale congolaise – passe presque inaperçu pour un œil non averti, caché par l’intense activité des transports collectifs, des vendeurs ambulants, des étals de marchandises diverses et de la foule qui s’agite le long de la voie. C’est là que les sœurs hospitalières du Sacré Cœur de Jésus ont fondé en 1989 ce centre qui traite des malades mentaux et neurologiques.

Ce matin, l’activité du centre de Matete est tranquille. Il y a pourtant une longue file de patients qui attendent pour acheter leurs médicaments, être pris en consultation ou recevoir des soins. «Mais d’habitude, vous ne pouvez pas passer. Il faut se frayer un chemin» précise sœur Lyna Kanakana, la supérieure de la communauté des sœurs hospitalières de Kinshasa, qui nous sert de guide. En 2022, 46 000 personnes ont poussé les portes de l’institut pour des consultations psychiatriques. 2300 pour des problèmes neurologiques. «Nous accueillons les pauvres comme les riches, ceux qui ont une famille pour les soutenir ou les personnes délaissées» explique tout simplement la supérieure. «Les malades mentaux, dans notre pays, sont le plus souvent abandonnés et nous essayons de les mettre debout» ajoute-t-elle.

Soeur Lyna Kankana, supérieure des soeurs hospitalières de Kinshasa
Soeur Lyna Kankana, supérieure des soeurs hospitalières de Kinshasa

Un centre bien seul face à l’ampleur des besoins

23 personnes travaillent à Matete, dont neuf sœurs venues d’Espagne (la congrégation a été créée en Espagne à la fin du XIXe siècle) ou du Congo. Deux opérateurs en pharmacie, une laborantine, trois médecins – un neurologue et deux neuropsychiatres – plus un psychologue, ainsi que six consultants les accompagnent au quotidien. Sans compter deux réceptionnistes et des gardiens. Ils ne sont pas de trop pour accueillir les patients et leurs familles. D’autant que «le centre Telema n’est pas soutenu par le gouvernement» regrette sœur Lyna qui précise: «nous essayons d’aider ces malades par nos propres moyens» qui sont bien limités et qui dépendent pour beaucoup de généreux donateurs.

L’enjeu des dons est essentiel pour la bonne tenue du service. Cela est particulièrement sensible pour les médicaments. Parmi les 350 patients qui poussent chaque jour les portes du centre, il y a ceux qui viennent pour une consultation et d’autres pour acheter leurs pilules. «Nous vendons les médicaments selon les moyens des patients, explique sœur Benelie Kimia, la directrice. On peut vendre un comprimé ou deux seulement, le temps que le patient gagne assez d’argent dans la journée pour revenir le lendemain».

Le centre vend au prix coutant. Pas question de faire des bénéfices sur le dos de malades dont la majorité n’a pas le sous. Ce qui a des conséquences sur l’approvisionnement en produits pharmaceutiques. La pharmacie de Telema est parfois en rupture de stocks, ce qui contraint les patients à se fournir en ville où les prix sont beaucoup plus élevés.

Soeur Benelie Kimia, directrice du centre Telema Matete
Soeur Benelie Kimia, directrice du centre Telema Matete

Une société malade

Les pathologies soignées sont diverses: épilepsie, schizophrénie, psychose puerpérale, toxicomanie, psychose chronique et aigüe, dépression, céphalée chronique. Pour Robert Mulamba, un des consultants, des causes organiques, comme le paludisme, le VIH-Sida, ou des causes sociales peuvent en être à l’origine. Le chômage, la violence quotidienne, la guerre, la pauvreté ou la dureté d’une vie précaire favorisent l’apparition des troubles psychiatriques. «La société fabrique les malades mentaux» estime-t-il entre deux consultations. 

Pour y répondre, le centre Telema Matete est devenu une référence, non seulement à Kinshasa, mais aussi dans toute la RDC, affirme sœur Belenie. «Les malades nous témoignent de leur reconnaissance, raconte-t-elle. ‘‘À Telema, j’ai trouvé la solution à mes problèmes’’ nous disent-ils. ‘‘À Telema, je me sens stabilisé, accueilli, je me sens chez moi parce que j’ai été chassé de ma famille, rejeté par la société. J’y prends mon traitement, je suis les prescriptions. Cela m’aide à vivre et à me relever’’».

«L’important c’est que le patient reconnaisse qu’il est malade, qu’il accepte sa situation, qu’il prenne en charge sa vie et qu’il vive comme tous les autres et qu’il trouve quelque chose pour se valoriser» explique la directrice de Telema Matete. «Nous les aidons à retrouver leur dignité, et c’est ce qui nous rend fiers» confie-t-elle. Il faut aussi convaincre la famille de soutenir le malade dans son combat pour éviter des rechutes ou une aggravation de sa pathologie. Un travail de longue haleine, au quotidien.

Le centre Telema de Matete
Le centre Telema de Matete

Des consultations délocalisées

Vu le nombre croissant de demandes, la communauté religieuse a ouvert un autre centre, à Kintambo, à l’autre bout de la mégapole congolaise. Plus spacieux, plus moderne, il permet surtout de brèves hospitalisations.

En attendant, l’antenne de Matete fait le plein. Et comme les besoins en matière de soins psychiatriques ne concernent pas que la capitale, les sœurs et les médecins se rendent dans la brousse aux alentours de la ville une à deux fois par mois pour des consultations délocalisées, comme à N’Sele, au sud-est de la ville. Il n’y a pas de frontière pour la maladie.

Écoutez le reportage au centre Telema

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30 janvier 2023, 13:00